Chapitre 19 - La visite du directeur
— Oui ?
— Bonjour, c'est Benoît, le directeur. Je peux entrer ?
C'est la première fois qu'il donne son nom, enfin, son prénom plutôt. Ce sera plus facile que "Monsieur le directeur" bien qu'un peu familier tout de même. Pourra-t-elle l'appeler ainsi ?
— Bonjour, vous pouvez venir.
Lorsque le directeur entre dans la pièce, il constate que l'adolescente a les joues rouges et les mains légèrement tremblantes. Elle semble fuir son regard. Il fait un pas, avant de lui demander :
— Je peux venir sur la chaise à côté de toi ?
— Euh... Oui, bien sûr.
— Est-ce que ça va ?
— Oui, oui, s'empresse-t-elle d'ajouter.
— La psychologue m'a informé de ton souhait de me voir. Comme je t'avais invitée à le faire, je te remercie de bien vouloir à nouveau me parler.
Son regard est toujours empli de la même bienveillance qui met Lili à l'aise. Elle sent ses muscles se détendre un à un, non pas dans un apaisement complet, ce n'est pas possible, mais à un seuil plus qu'acceptable.
— Comment te sens-tu ce matin ?
— Un peu mieux. Je n'ai pas encore mangé mais je sens que mon ventre a faim.
— C'est une bonne nouvelle ! Je t'en prie, tu peux manger pendant que nous discutons.
C'est le moment précis que choisit son estomac pour émettre un grognement terrible. Elle rougit davantage en baissant les yeux.
— Vas-y, sinon ça va être complètement froid.
— Merci, répond-elle timidement.
— As-tu repensé au lycée, hier ?
L'adolescente relève la tête tout en mâchant une bouchée de pain tartiné de beurre et de miel. Le goût sucré lui ravit les papilles. Elle attend d'avoir avalé sa bouchée pour parler. Cela lui laisse le temps de se préparer à communiquer, ce qui est particulièrement difficile. Après avoir dégluti et rassemblé son courage, Lili répond :
— Oui.
Il y a aussi Alex et les doutes qu'elle entretient le concernant, mais cela ne le regarde pas, du moins préfère-t-elle le garder pour elle.
— Peux-tu m'en dire un peu plus ?
— J'ai peur qu'en sortant d'ici, tout recommence comme un tsunami qui m'emporterait à nouveau. Quand j'y pense, ça me paralyse ou alors j'ai l'impression que ma tête va exploser.
Lili se surprend elle-même. Est-ce vraiment moi qui viens de dire ça ? Dévoilant à voix haute et à un parfait inconnu ce que je tais depuis de si longues années. Était-ce si difficile ? L'adolescente ressent un léger poids que l'on aurait oté de ses épaules, et à la fois une envie de pleurer et de hurler. La sensation est des plus étranges mêlant ce côté agréable, à cet autre sombre et dur. Autre paradoxe.
Le directeur ne la brusque pas. Il attend près d'elle, toujours aussi engageant.
— J'ai peur aussi que ça se reproduise ici. J'ai l'impression que je ne peux pas y échapper... Que je le mérite.
— Et pourquoi mériterais-tu que l'on te traite ainsi ?
— Je ne sais pas, je n'y ai pas réfléchi, répond-elle en haussant les épaules.
Lili prend une autre bouchée de sa tartine. Cela lui permet de temporiser. Elle n'a jamais autant parlé de ce qui la ronge, cela lui demande des efforts presque aussi importants que de sortir de son lit.
— Tu as parlé d'une impression et non d'une réalité. Et je crois que tu as tout à fait raison. Quelqu'un a-t-il essayé d'être désagréable avec toi, ici ?
Lili lève la tête étonnée. Il a pourtant lui-même expulsé les trois jeunes et sanctionné Julie. Il ne peut pas avoir oublié tout de même ! Cela doit l'amuser de remuer le couteau dans la plaie.
— Si, à deux reprises, se force-t-elle à répondre.
— Et que s'est-il passé ensuite ?
Elle n'avait pas anticipé cette question. La jeune fille se sent pantoise. Elle se repasse rapidement les scènes mentalement, tout en essayant de ne pas s'attarder sur les moments les plus difficiles, puis finit par répondre :
— Ils ont été sanctionnés.
— Tout à fait. Personne n'a le droit de faire peser son propre mal-être et ses propres complexes en dévalorisant les autres. Nous ne tolérons ni la violence ni les paroles rabaissantes. Personne ne le mérite. C'est à eux de trouver un autre moyen de panser leurs plaies ; car c'est souvent la raison qui les poussent à s'en prendre à une personne qu'ils auront identifiée comme plus fragile. Et nous sommes là pour les aider tout comme toi. Mais quand cela va trop loin, ils sont renvoyés.
— Je crois que je comprends mais ma tête me dit souvent le contraire, et dans ces moments, j'ai l'impression de perdre toute mon énergie. Je me sens nulle et inutile.
— Tu n'es ni nulle ni inutile. Tu n'as peut-être pas remarqué que, depuis peu, Maéline est moins triste et accepte de l'aide. Sans parler d'Alex ! On le voit plus apaisé, même si cela ne fait que peu de temps que vous vous connaissez. Tu vois, ce n'est pas rien. Tu comptes pour eux et ils ont besoin de toi comme tu peux avoir besoin d'eux.
Lili n'avait pas envisagé les choses sous cet angle. Puis-je vraiment faire confiance au directeur ? Ai-je été d'une quelconque aide pour Maéline ou pour Alex ? Est-il possible que je puisse avoir des amis ? Voir plus ? Elle sent de nouveau les picotements annonciateurs d'un raz de marée de larmes qu'elle s'efforce de refouler au mieux. Le directeur semble l'avoir senti et lui dit aussitôt :
— Tu dois être fatiguée. Merci d'avoir parlé, tu peux être fière du pas que tu viens de franchir. Les autres seront plus faciles à faire. J'attends ta prochaine demande de rendez-vous. En attendant, finis ton petit-déjeuner et repose-toi.
Comment fait-il pour être si prévenant ? On dirait qu'il sent les moments où il faut parler comme ceux où il est préférable de se taire. Et il sait trouver les mots justes qui touchent son coeur et son âme meurtris. Rien à voir avec cette soi-disant psychologue !
— Merci. Bonne journée Monsieur.
— Appelle-moi Benoît, comme tout le monde ici.
— D'accord... Je vais essayer.. Benoît, finit-elle par dire les joues rouges.
Annotations
Versions