Journée 32 : Je ne suis plus cette fille résiliente 

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Je me sens perdue, comme une enfant égarée au milieu d'une forêt dense. Le regard triomphant de Lia me hante, mais elle n'est plus là pour le voir. Mon estomac me fait mal, pas seulement à cause des coups, mais aussi à cause de la trahison de Shaun et du poids de ce secret entre la famille de Lia et la mienne. Une boule se forme dans ma gorge, et les larmes commencent à couler librement sur mes joues. Je fouille frénétiquement dans mon sac pour y trouver mon téléphone. Mes mains tremblent, mais je compose le numéro que je connais par cœur. La sonnerie résonne une, deux, puis trois fois avant que j'entende enfin la voix familière de ma mère.

— Ma... maman...? Ma voix est étranglée par les sanglots.

— Virginia ? Que se passe-t-il? Tu as l'air bouleversée.

L'inquiétude dans sa voix me fend le cœur.

— Peux-tu venir me chercher à l'école, s'il te plaît ?

Les mots sortent à peine, ma gorge est nouée.

— J'arrive tout de suite. Je sens dans sa voix qu'elle ressent mon désarroi, même sans en connaître la cause.

La voiture de ma mère arrive bien plus vite que je ne l'aurais cru possible. Peut-être n'a-t-elle jamais vraiment quitté les parages depuis qu'elle m'a déposée ce matin. A-t-elle eu un pressentiment ? Ou peut-être n'est-ce qu'une coïncidence ? Peu importe, je suis soulagée de la voir. Je m'empresse de grimper à l'intérieur, m'effondrant sur le siège, cherchant un refuge dans cette coquille protectrice. Ma mère démarre, et je sens immédiatement la chaleur enveloppante de la voiture m'entourer. Nous roulons quelques instants en silence, puis je sens son regard posé sur moi, inquiet.

— Mon bébé, qu'est-ce qui s'est passé ? Tu es toute pâle.

Je veux le lui dire. Je veux lui dire ce qui s'est passé, parler de Lia, de Shaun, de cette bagarre absurde que j'ai déclenché. Mais les mots restent coincés dans ma gorge. Je sens que dire la vérité mettrait en lumière des choses que ma mère préférerait peut-être ne pas savoir.

— Rien, maman, je réponds finalement, décidant de mentir. C'est juste une petite dispute avec une amie. Rien d'important.

Sa voix est douce, mais je sens qu'elle ne me croit pas entièrement.

— Virginia, tu peux me parler de tout. Je suis là pour toi.

Je le sais. Mais j'ai tellement peur de ce qui peut se passer si je lui dit la vérité. La famille de Lia est influente, et je crains les répercussions.

— Je te promets, maman, c'est juste une dispute stupide. Ça va passer.

Ma mère me lance un regard qui dit clairement qu'elle ne me croit pas, mais elle acquiesce.

— Ok. Eh bien... si tu as besoin de parler, je suis là.

Nous roulons encore quelques minutes, le paysage défilent à l'extérieur de la fenêtre, un contraste saisissant avec la tourmente intérieure qui m'agite, se forme rapidement. Je me perds dans mes pensées, cherchant un moyen de me sortir de cette situation. Comment vais-je gérer ma relation avec Lia à l'école ? Et Shaun ? Et surtout, comment pourrais-je protéger ma famille de ce secret ?

La voiture finit par s'arrêter devant notre maison, et je m'empresse de sortir, désireuse de trouver refuge dans ma chambre. Ma mère me regarde, toujours aussi inquiète.

— Repose-toi, ma chérie, dit-elle doucement. "Et n'oublie pas que je suis là pour toi, quoi qu'il arrive.

— Oui... merci maman... d'être venu me chercher.

Je monte les marches de l'entrée, les jambes lourdes, le cœur prêt à exploser. Ma chambre devient un autre monde, un univers d'innocence perdue. Je m'allonge sur mon lit, cherche du réconfort dans mes coussins moelleux, mais le sommeil refuse de venir. Mes pensées tournent en boucle, revenant sans cesse à cette journée qui a tout changé. Puis, sans que je m'en rende compte, je m'engouffre dans un sommeil à moitié profond. Cette journée a eu raison de moi...

***

Trois heures plus tard...

La lueur bleue de mon téléphone me tire de mon sommeil agité. La journée a été si tumultueuse, si bouleversante, que chaque coin de silence est envahi par les fantômes de mes inquiétudes. La notification d'Instagram attire mon attention, et je me redresse légèrement, caressant l'idée qu'un message d'un ami pourrait apporter un réconfort ou une distraction.

Mais lorsque j'ouvre l'application, ce n'est pas le soulagement que je trouve. C'est une vidéo, une vidéo que je reconnais instantanément. Mon cœur rate un battement. Comment est-ce possible ? Mon ancien petit ami et moi, en plein ébat, lors de notre première fois. C'est un souvenir que j'avais choisi d'enfouir profondément, une vidéo que j'avais supprimée, pensant la faire disparaître à jamais. J'en avais presque oublié son existence.

Ma respiration s'accélère, je me sens soudainement étourdie, prise au piège d'une spirale d'émotions allant de la honte à la colère. Puis, un nouveau message arrive, et je n'ai même pas besoin de voir le nom pour savoir qu'il vient de Lia.

— Alors, Virgie, tu te souviens de ce petit moment ? Le ton du message est moqueur, presque jubilatoire. Tu te demandes sûrement comment j'ai obtenu cette vidéo. Eh bien, disons simplement que rien n'est vraiment ''supprimé'' sur internet.

Mon estomac se noue. Comment Lia a-t-elle pu mettre la main sur cette vidéo ? Et dans quel but veut-elle l'utiliser contre moi ?

— Écoute attentivement, Virginia. Tu feras tout ce que je te dirai, ou sinon cette petite vidéo fera le tour du lycée de Springton. Imagine la honte, l'humiliation...

Je suis terrifiée, prise en otage par cette menace, incapable de penser clairement. Mes pensées sont embrouillées, mais je sais une chose : je ne peux pas laisser cette vidéo être exposée à tout le monde. Mes parents, mes amis, mes professeurs... l'idée est insupportable.

Je prends une profonde inspiration, essayant de rassembler mon courage.

— Pourquoi fais-tu ça, Lia ? tapé-je rapidement.

Sa réponse arrive presque instantanément, comme si elle attendait derrière son écran, savourant chaque moment de ma détresse.

— Pourquoi ? Parce que je le peux, Virginia. Et parce que tu dois comprendre ta place. Tu dois comprendre que PERSONNE n'est au-dessus de moi, ici, à Springton !

Je me sens désemparée, piégée dans une toile d'araignée tissée par Lia. Elle devient plus forte, plus puissante. Mais je ne peux pas me permettre de céder à la panique. Je dois trouver un moyen de sortir de cette situation. Le reste de la nuit est un tourbillon d'émotions. Je pense à tout ce que je pourrais faire : parler à un conseiller scolaire, aller voir la police, en parler à mes parents. Mais je sais aussi que cela pourrait aggraver la situation. Lia a clairement l'avantage, et elle ne reculera devant rien pour m'humilier.

La douleur est là, brûlante et omniprésente, accompagnée d'une sensation d'étouffement, comme si un poids s'était installé sur ma poitrine. Je regarde le message menaçant de Lia et, après un moment d'hésitation, je tape :

— D'accord, Lia. Je ferai ce que tu veux.

Je n'arrive pas à croire que j'ai cédé, que je me suis soumise à ses menaces, mais la peur de voir cette vidéo exposée est bien trop grande. Quelques secondes plus tard, je reçois sa réponse, et le ton triomphant qui s'en dégage me fait frémir.

— C'est bien, Virginia. Tu comprends enfin ta place. Tu suivras mes instructions à la lettre, ou sinon...

Je n'ai pas besoin qu'elle finisse sa phrase. La menace est claire...

***

Now playing : Lunadira - I'll Be Alright, right ?

Un mois plus tard...

Un mois, trente jours interminables durant lesquels je suis devenue l'ombre de moi-même. Chaque jour, une nouvelle tâche, une nouvelle humiliation. Des rumeurs ont commencé à circuler au lycée : je suis le nouveau jouet des Pretty Faces - Lia, Taylor et Rose. Un surnom que j'ai autrefois trouvé innocent, voire amusant, mais qui aujourd'hui résonne comme un glas dans mon esprit.

Il ne s'agit plus seulement de récupérer des livres ou de réaliser des corvées pour elles. Non, c'est bien pire. Elles me forcent à accomplir leurs devoirs, à me ridiculiser devant tout le monde, à devenir le bouffon de leur petite cour. Et quand je pense à résister, que je songe à me rebeller, le spectre de cette vidéo refait surface, brandi comme une arme par Lia.

Le soir, rentrant chez moi, je peux sentir le poids de leurs rires, de leurs moqueries, qui me suit tel un nuage sombre. Mes pieds traînent, ma tête est baissée, et chaque pas est une épreuve. C'est comme si j'ai perdu une partie de moi, une partie essentielle. Les rires insouciants, les sorties avec ceux que j'ai appellé "mes amis", mes projets d'avenir... Tout cela semble désormais si lointain, presque irréel.

À la maison, mes parents ont remarqué le changement. Il est difficile de le leur cacher. Mes épaules voûtées, mes yeux cernés, mon manque d'appétit... Tout cela les alarme, et je peux voir la douleur dans leurs yeux. Ils savent que quelque chose ne va pas, quelque chose de grave.

— Chérie, commence ma mère un soir alors que nous sommes assis à table, nous sommes inquiets pour toi. Tu n'es plus la même. Qu'est-ce qui se passe ?

Mon père acquiesce, ses yeux sondent profondément les miens.

— Tu sais que tu peux tout nous dire, Virginia. Quoi que ce soit, nous sommes là pour toi.

J'aimerais tant pouvoir leur dire, tout déballer, exposer la vérité crue et douloureuse. Mais la honte me retient, ainsi que la peur des conséquences. La crainte que Lia ne mette sa menace à exécution. Alors je détourne le regard, mes lèvres tremblantes.

— Ce n'est rien. Je suis juste fatiguée, c'est tout.

Ma mère n'est pas convaincue. Elle dépose sa fourchette et pose une main douce sur la mienne.

— Écoute, nous sommes tes parents. Nous te connaissons mieux que quiconque. Ce n'est pas simplement de la fatigue. Il y a autre chose, n'est-ce pas ?

Les larmes montent à mes yeux, menaçant de déborder.

— Maman, s'il te plaît, laisse tomber.

Mon père prend une profonde inspiration, ses traits tirés par l'inquiétude.

— Virginia, tu n'es pas seule dans cette épreuve. Nous voulons t'aider. Tu dois nous dire ce qui se passe.

Je secoue la tête, incapable de trouver les mots. Tout ce que je veux, c'est oublier. Oublier les rires, les moqueries, la vidéo, Lia...

— Je vous dit qu'il n'y a rien ! Laissez tomber, ok ?! crié-je en quittant brutalement la table.

Je monte rapidement les escaliers, entre dans ma chambre et m'emferme à double tour. C'est la première fois que je leur parle de la sorte. J'ai vu le visage de maman virer au bleu pâle, tellement surprise par mes paroles agressives. J'ai été obligée de leur parler ainsi pour qu'ils arrêtent de me poser des questions... mais je crois que ce que je viens de faire, leur a donné raison sur ma situation. Non, effectivement, ça ne va pas bien. Mais il est inconcevable pour moi de leur dire quoi que ce soit. Je suis obligé de garder le secret.

Allongée dans mon lit, j'entends encore mes parents chuchoter dans le salon. Leurs voix sont douces, pleines d'inquiétude. Je sais qu'ils essaient de trouver un moyen de m'aider. Mais c'est trop tard. Je ne suis plus cette fille résilliante. J'ai baissé les bras. Je pensais pouvoir tenir tête à Lia, être différente de ces précédentes victimes... mais il n'en est rien. Quelque chose en moi s'est brisée à tout jamais.

***

Dans le salon, un rayon de lune filtre à travers les rideaux du salon. Une tache argentée se dessinent sur le tapis. Julianne et Franck Jonas sont assis côte à côte sur le canapé, leurs regards emplis d'inquiétude.

J.J. rompt le silence, ses doigts jouent nerveusement avec une mèche de ses cheveux.

— Franck, je suis vraiment inquiète pour Virginia. Elle n'a jamais été comme ça avant. Non mais tu as entendue comment elle nous a parlé ? Ce n'est pas mon bébé, ça.

Franck acquiesce doucement.

— Je sais. J'ai remarqué, moi aussi. Elle rentre tard, elle est toujours épuisée, et elle ne parle plus de ses amis. Et puis il y a cette lueur triste dans ses yeux... c'est comme si elle avait perdu une partie d'elle-même.

J.J. hoche la tête.

— Elle m'évite, tu sais. Et quand je lui pose des questions, elle se ferme comme une huître. J'ai essayé de la pousser à parler, mais elle se braque.

Franck pose une main réconfortante sur l'épaule de sa femme.

— Peut-être que quelque chose s'est passé au lycée. Un chagrin d'amour, une dispute avec une amie... Tu sais comment c'est à cet âge. Tout semble si dramatique.

J.J. soupire.

— Oui, mais je sens que c'est plus que ça. C'est... plus profond, plus grave. Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'elle est en danger, d'une manière ou d'une autre. Mon intuition de mère me le hurle haut et fort.

Un silence lourd s'installe entre eux, seulement interrompu par le tic-tac de l'horloge. Puis Franck dit,

— Tu te souviens de ce gamin, ce Shaun ? Virginia semblait si proche de lui. Mais depuis quelques semaines, je ne l'ai pas revu. Tu crois qu'il pourrait être mêlé à tout ça ?

J.J. fronce les sourcils.

— Je n'en suis pas sûre. Je l'aimais bien, Shaun. Il semblait bon pour Virginia. Mais c'est vrai qu'il a disparu de sa vie du jour au lendemain. Peut-être devrions-nous essayer de le contacter, voir s'il sait quelque chose ?

Franck hésite.

— C'est une idée, mais je ne veux pas violer l'intimité de Virginia. Si elle veut nous en parler, elle le fera quand elle sera prête.

J.J. soupire,

— Mais... et si c'était trop tard d'ici là ? Si elle était vraiment en danger ?

— Que veux-tu dire ? demande Franck, alarmé.

J.J. secoue la tête.

— Je ne sais pas... C'est juste un sentiment, une intuition de mère. Quelque chose ne va pas. Et je suis terrifiée à l'idée de ce que cela pourrait être.

Franck prend les mains de sa femme dans les siennes.

— On va trouver une solution, J.J. On va aider Virginia à traverser ça, ensemble. Mais avant tout, nous devons gagner sa confiance et la pousser à nous ouvrir son cœur.

J.J. hoche la tête, essuyant une larme qui a coulé sur sa joue.

— Oui, tu as raison.

***

Le soleil peine à traverser les rideaux épais de ma chambre, dessinant des motifs de lumière sur le plancher. Encore à moitié endormie, je me glisse hors du lit, sentant la froideur du sol sous mes pieds nus. Je m'habille machinalement, choisissant une tenue qui passe inaperçue, un simple jean et un pull. Mon reflet dans le miroir me montre une adolescente aux yeux fatigués, aux traits tirés, un visage qui a perdu son éclat.

L'odeur du café frais et du pain grillé me guide jusqu'à la cuisine. Maman est déjà debout, comme toujours, préparant le petit-déjeuner avec ce même sourire doux qu'elle affiche tous les matins. Elle tourne la tête vers moi, ses yeux scrutant brièvement mon visage.

— Coucou mon bébé ! Tu as bien dormi ? me demande-t-elle, tentant d'instaurer une conversation normale, celle que nous aurions eue il y a quelques mois.

— Ouais, ça va, je réponds, ma voix éraillée par la fatigue et la tension.

Elle pose une assiette devant moi, garnie de tartines grillées et d'une omelette. Pourtant, malgré la faim qui me tenaille, je n'ai pas l'appétit pour manger tout ça. Je picore quelques morceaux, perdue dans mes pensées.

— Virginia, commence-t-elle d'une voix hésitante, si tu veux, je peux t'accompagner à l'école aujourd'hui. Ça pourrait être sympa, non ?

Je la regarde, surprise.

— Pourquoi ferais-tu ça ? J'ai pris l'habitude d'y aller seule.

Elle hausse les épaules, tentant de dissimuler son inquiétude.

— Juste comme ça. Ça fait longtemps que je ne t'ai pas déposée. Et puis, cela pourrait me permettre de voir comment tu vas, vraiment.

Son regard est si sincère, si rempli de préoccupation que cela me brise le cœur. Mais je sais que si elle vient avec moi, cela pourrait attirer davantage l'attention sur moi. Et en ce moment, tout ce que je veux, c'est passer inaperçue.

— Merci, maman, mais ce n'est pas nécessaire, dis-je en essayant de donner le ton le plus détaché possible. Je préfère y aller seule.

Elle semble déçue, mais elle acquiesce.

— Bon d'accord, si c'est ce que tu veux.

Je finis rapidement mon petit-déjeuner, attrape mon sac et me dirige vers la porte. Maman me suit, ses pas légers sur le parquet.

— Virgie, dit-elle doucement en me retenant par le bras, s'il te plaît, si tu as un problème, n'importe lequel, tu peux m'en parler. Tu le sais, n'est-ce pas ?

Je la regarde, mes yeux se remplissant de larmes. Je sais, maman. Merci. Et... pardon pour hier. Je n'aurais pas dû être aussi insolente avec toi et papa. Je vous aime tellement, si vous saviez...

Les larmes aux yeux après mes paroles, Maman me serre fort dans ses bras, sa chaleur me réconforte brièvement.

— Passe une bonne journée, d'accord ?

— Je vais essayer, Maman.

***

Dès que la porte de la maison claque derrière moi, je sens des larmes chaudes couler le long de mes joues. Les dernières paroles échangées avec ma mère résonnent dans mon esprit, la douleur que je ressens s'amplifie. La pression, la peur, l'isolement... Tout me paraît peser dix fois plus lourd à cet instant.

Au loin, le ronronnement du bus scolaire me parvient. Je prends une profonde inspiration pour tenter de me calmer, J'essuie rapidement mes larmes avant de monter à bord. Je me fraye un chemin jusqu'à l'arrière, jusqu'au fond du bus, loin des regards curieux.

Pour un instant, le monde extérieur s'évanouit, remplacé par le vacarme familier du bus. Mais ce calme est de courte durée. Des murmures agités commencent à s'élever, suivis par des rires étouffés, des regards à peine dissimulés. Je les sens tous converger vers moi. Les visages de mes camarades passent de la surprise à l'hilarité, puis à la pitié.

Une boule d'angoisse se forme dans mon estomac. Qu'est-ce qui se passe ? Une notification de mon téléphone attire mon attention. C'est sur Instagram. Je clique dessus par réflexe, ma poitrine me fais mal, je stress.

L'écran s'allume sur une vidéo. Ma vidéo. Celle que Lia m'a menacée de révéler. Je n'arrive pas à détourner le regard. Là, pour tous à voir, je suis exposée dans mon moment le plus intime et vulnérable. Les commentaires de toutes sortes, cruels, moqueurs, compatissants... affluent à un rythme effarant sur l'écran de mon téléphone. Mais ce n'est pas le pire.

Un autre message s'affiche. Sur Twitter. Puis Tik Tok. La même vidéo est partagée sur tous les réseaux. Mon estomac se retourne, une nausée écrasante m'envahit.

C'est officiel. Je suis la risée de Springton.

Je ne peux plus rester assise dans ce bus. Sans un mot, je me lève brusquement, bousculant quelques élèves sur mon passage, et m'élance vers la sortie. Le chauffeur, surpris, freine brusquement.

— Hé, où vas-tu ?! crie-t-il.

Je ne réponds pas. Tout ce que je veux, c'est fuir. Fuir les regards, fuir les moqueries, fuir cette réalité qui est devenue un cauchemar.

Les rues de Springton défilent dans le flou, tandis que je cours sans réfléchir, poussée par l'urgence de me cacher. Les bruits de la ville me parviennent étouffés, lointains. Les klaxons, les voix, les rires... Tout semble irréel.

Je ne sais pas combien de temps je cours ni où je vais. Tout ce que je sais, c'est que je m'éloigne un peu plus de la honte et de la douleur. Enfin, épuisée, je m'arrête. Je me trouve à l'orée d'un petit parc, un endroit que je connais bien pour y avoir joué étant petite. Le soleil matinal brille doucement à travers les feuilles, créant des ombres dansantes sur le sol.

Je m'effondre sur un banc, le souffle court. Les larmes me submergent à nouveau, mais cette fois, elles sont différentes. Ce ne sont pas des larmes de tristesse ou de douleur. Ce sont des larmes de rage. Rage envers Lia, rage envers moi-même pour avoir été si naïve, rage envers le monde entier.

Lentement, le calme revient. Je respire profondément, mes bouffées d'airs apaisent un peu plus la tempête à l'intérieur de moi. Je ne peux pas continuer comme ça, me dis-je. Je dois trouver un moyen de reprendre le contrôle, de ne plus être la victime. Mais comment ?

Assise sur ce banc, la brise légère joue avec mes cheveux tandis que les ombres des arbres dansent doucement autour de moi. Les sons de la ville bourdonnent en arrière-plan, mais je suis trop absorbée par mes pensées pour les remarquer. Le lycée, les camarades, les rires, les regards accusateurs... comment pourrais-je y faire face ?

Je prends une profonde inspiration, je me laisse envelopper par la sérénité du parc. L'idée de retourner au lycée aujourd'hui m'est impossible. Je ne suis pas prête. Pas encore. Les souvenirs de ce matin dans le bus sont encore trop frais, trop douloureux.

Décidée, je me lève du banc, prête à me perdre dans les rues de Springton. Je veux flâner, me cacher de la réalité pendant quelques heures, oublier cette honte insupportable.

J'erre sans direction précise, traversant des ruelles pavées, longeant des boutiques de quartier et des cafés tranquilles. Le soleil brille haut dans le ciel, offrant un semblant de chaleur dans cette matinée autrement glaciale.

Au détour d'une rue, une silhouette familière attire mon attention. C'est ma mère. Elle parle à une voisine, sans doute sur les potins locaux. Mon premier instinct est de faire demi-tour, de fuir, mais quelque chose m'en empêche. Sa présence, sa chaleur, la familiarité de sa voix... tout cela m'attire irrésistiblement vers elle.

Alors que je m'approche, elle me remarque enfin. Ses yeux s'élargissent en me reconnaissant, puis se resserrent en réalisant que je ne suis pas à l'école.

— Virgie ? murmure-t-elle, son visage passant de la surprise à l'inquiétude. Qu'est-ce que tu fais ici mon bébé ?

Je suis incapable de répondre. Les mots restent bloqués dans ma gorge, retenus par une boule d'émotion qui menace d'exploser. Elle doit le voir dans mes yeux, car elle s'excuse rapidement auprès de sa voisine et se précipite vers moi.

— Chérie, que se passe-t-il ? Pourquoi n'es-tu pas en cours ? Elle pose ses mains sur mes épaules, son regard se plonge dans le mien.

Et c'est là que les digues cèdent. Les larmes jaillissent, torrentielles, inarrêtables. Je m'effondre dans ses bras, je laisse libre cours à ma douleur, à ma honte, à ma peur. Mes sanglots secouent tout mon corps alors que je lui murmure tout : Lia, la vidéo, les moqueries, la douleur.

Elle m'écoute, me berce doucement, me permet de libérer cette pression qui me pèse depuis si longtemps.

— Oh, ma chérie, murmure-t-elle. Je suis tellement désolée...

Nous restons ainsi, enlacées, pendant plusieurs secondes. C'est elle qui finit par rompre le silence.

— Viens, dit-elle doucement, rentrons à la maison.

un élan de rébellion s'empare de moi.

— Je ne veux pas rentrer, dis-je fermement, essayant de contenir la frustration qui monte en moi.

Elle me lance un regard perplexe, fronce légèrement les sourcils.

— Mais Pourquoi ?

Je prends une grande inspiration.

— Je ne peux pas affronter tout le monde après... tout ça. Ma voix tremble un peu, évoquant la vidéo et le chaos qu'elle a engendré. Je ne peux pas retourner là-bas.

— Virginia, commence ma mère, d'une voix douce mais ferme, ce n'est pas une solution. Tu ne peux pas te cacher pour toujours.

L'exaspération monte en moi.

— Pourquoi pas, hein ? Je crie presque. Tout le monde au lycée m'a vu dans cette vidéo. Je suis la risée de la ville ! Je ne peux pas leur faire face. Tu ne comprends pas !

Le visage de ma mère s'assombrit.

— Bien sûr que si, je comprends. Mais fuir n'est pas la solution. Il faut que tu te battes, que tu affrontes la situation.

Mes larmes commencent à couler à nouveau, alimentées par la colère et la frustration.

— Mais putain, tu ne comprends pas ou tu le fais exprès ?! Je ne peux pas ! J'abandonne !

Sans réfléchir, je me mets à courir, laissant ma mère derrière moi. J'entends ses appels désespérés alors que je m'enfonce de plus en plus loin de la route principale. Ma course m'amène à la lisière de la forêt de Springton. Sans hésiter, je me faufile entre les arbres, cherchant un refuge loin du monde qui me semble si cruel en ce moment.

La forêt m'engloutit, les arbres forment un dôme protecteur au-dessus de ma tête. Le bruit de mes pas sur le tapis de feuilles mortes est le seul son qui perce le silence de cette forêt ancienne. Les ombres me guident plus profondément, loin du monde extérieur.

Après une demi-heure de marche, je découvre une petite cabane en bois. Elle est ancienne et délabrée, mais elle offre l'abri que je recherche. Je pousse prudemment la porte, qui grince en protestation, et je pénètre à l'intérieur. La poussière flotte dans les rayons du soleil qui filtrent à travers les fissures du toit.

On dirait que la cabane est été abandonnée depuis longtemps, mais elle me semble être le refuge parfait. Je m'effondre dans un coin, me recroqueville sur moi-même. Les larmes, que j'ai réussi à contenir pendant ma fuite, jaillissent à nouveau. Mes sanglots me déchirent, laisse une douleur sourde à la place.

La réalité de ma situation me frappe alors. Ma mère, ma maison, mon lycée, tout est si loin, si inaccessible. La vidéo, les moqueries, Lia, tout se fond en une bouillie d'émotions que je ne parviens pas à traiter.

La fatigue me gagne, mes paupières deviennent lourdes. Le calme apaisant de la forêt m'enveloppe, doucement elle me berce. Avant de m'endormir, une pensée me traverse l'esprit : comment vais-je affronter le monde après ça ? Je sombre dans un sommeil agité.

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