Conflits 2

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Au début, Johanne crut qu'elle y arriverait mieux ainsi. Le fait de reculer en tenant un bâton moins moite lui donnait plus de force, mais Kouakou pesait de tout de poids et elle commençait à glisser. Sylvestre les encourageait l'un l'autre, donnant des conseils de positionnement du dos ou de basculement du corps.

– Suffit  ! Et maintenant, Kouakou, laisse-là te redresser.

Doutant d'y arriver, Johanne tira de nouveau et, oh surprise  ! Leva avec facilité Kouakou.

– Bravo  ! Vous avez vus, tous  ? Avoir du poids ne sert à rien si les appuis ne sont pas bons.

Il donna une tape sur l'épaule de Kouakou.

– Toi, tu vas devenir un tank, prophétisa-t-il.

Cette fin de cours remonta le moral ébranlé par Maurine des deux amis.

– Il est bien Sylvestre, apprécia Johanne dans le vestiaire.

– Je le trouve moins sérieux que mon professeur d'escrime, reprocha Léopoldine.

Ne voulant pas recréer une crise de larmes, Johanne retint sa réponse cinglante. Maurine ne profita pour singer la phrase de Léopoldine.

– Tu faisais du poney, aussi  ? se moqua la brute.

– De l'équitation, s'offusqua la blonde.

– T'es jalouse, Maurine, balança Johanne. On a dit plus de luttes des classes.

Maurine renifla en fronçant les sourcils.

– Vous sentez  ? On dirait l'odeur d'une sainte-nitouche.

– T'en as pas marre  ?

– Mêle-toi de tes affaires.

Elle sortit en bousculant Johanne.

Quand elle retrouva Kouakou, elle lui raconta la derrière et il leva les mains, paumes à l'air.

– Oublie, c'est le mieux avec ce genre de personnes.

Les semaines passèrent, les arts martiaux se succédaient dans les séances d'initiation. Il apparut évident pour tout le monde que Sylvestre les étudiaient de près pour déterminer leurs points forts et faibles. Kouakou devenait sa référence pour les postures d'appui et la stabilité, Léopoldine celle pour la démonstration des techniques car elle les appliquait scrupuleusement. À côté de ça, il prenait soin de valoriser la moindre progression, corriger sans stigmatiser et d'encourager, toujours. En fait, il peinait davantage avec les élèves plus timorés comme Rebecca ou Damien qui répugnaient à donner des coups, même contrôlés.

Johanne adorait les cours de gym presqu'autant que ceux de langue des signes ou de technologie. Maintenant, ils devaient relever des défis comme ne pas parler lors d'un repas autrement que par gestes. En s'appuyant sur les leçons de géométrie et de dessins, ils durent concevoir un ensemble de table et chaises en groupe. Johanne et Kouakou firent équipe avec Léopoldine et Rebecca.

Si ce choix avait été motivé par l'affinité – à défaut d'aimer Léopoldine, Johanne la préférait aux trois autres filles – les deux paires se contrebalancèrent plutôt bien. Kouakou, plus théorique que concret, se perdait dès qu'il fallait penser en trois dimensions, la studieuse Léopoldine recentrait les idées trop ambitieuses de Johanne et Rebecca excellait dans l'assemblage de parties distinctes.

En parallèle des ateliers découvertes, ils eurent une activité de loisir encadrée par des enseignants ou des aînés. L'idée étant qu'on leur proposait plusieurs pratiques artistiques ou créatives pour explorer leurs goûts. Il leur faudrait, dès l'année suivante, s'engager dans un club de l'académie. C'était plutôt varié et la seule limite étaient les possibilités des enseignants. Les initiations de musique se résumaient à de la chorale et du solfège grâce à la professeure Fraise qui savait chanter.

Johanne adorait ces temps et déplorait de ne faire que survoler les activités. Tout l'intéressait, notamment parce que c'était plus ludique et actif que des cours classiques.

Tout ce passerait très bien si la brute de service ne manquait pas de placer quelques piques bien senties. Elle modifiait les noms-signe des élèves en leur défaveur – singeant l'obésité à chaque fois que Kouakou signait – et commentait à voix haute les erreurs et maladresses en sport des autres.

Bien sûr, elle savait y faire pour ne pas être entendue par les adultes, ni par les élèves délégués. Comme elle visait les victimes les plus susceptibles de lui tenir tête – évitant soigneusement Ludovic et Altaïr – elle s'assurait d'avoir le dernier mot. Johanne était la seule qui s'opposait à elle, mais elle devait reconnaître que les insultes et remarques la visaient bien moins que Kouakou, Rebecca ou Laurie.

– Maurine, est-ce que tu aimerais qu'on te fasse subir la même chose  ? essaya une fois Johanne.

– Cot, cot, cot cooot, eut-elle pour seule réponse.

À la veille des vacances de la Toussaint, Johanne perdit patience. Maurine venait de se boucher le nez en désignant Kouakou et Laurie lorsqu'elle approcha d'eux devant la salle de classe.

– Ferme-là  ! T'en as pas marre t'emmerder tout le monde  ? cria Johanne et la poussant violemment.

Evidemment, c'est à ce moment-là qu'arrivait Naüsicaa, la professeure de dessin. Elle s'interposa entre Johanne et Maurine, ses yeux en amandes écarquillés d'indignation.

– Ce comportement est inqualifiable, Johanne.

– Mais Madame…

– Stop  ! Je ne veux aucune justification à la violence. Présente-lui tes excuses.

Mâchonnant sa langue devant l'injustice, Johanne dut s'exécuter devant une Maurine triomphante. À la fin du cours, elle se vit charger de nettoyer les tables des copeaux de gomme et de crayons, recharger les flacons d'encre et jeter les papiers trainant. Évidemment, la brute en avait profité pour surcharger de déchets sont environnement et se débrouilla perdre plusieurs crayons sous une armoire.

Quand elle eut fini, la prof l'appela.

– Ton camarade m'a expliqué la raison de ton geste, sache que cela ne te pardonne pas. Entre êtres civilisés on se parle, on ne se frappe pas. Me suis-je bien fait comprendre  ?

– Oui, Madame, souffla Johanne.

– Que cela ne se reproduise pas, la congédia-t-elle.

Se sentant humiliée par la situation, Johanne se retint d'informer la prof des commentaires désobligeants de Maurine sur ses chignons formés par des pinceaux et crayons.

Maugréant, Johanne rejoignit Kouakou. Elle trouva son ami dans le couloir, devant les deux salons. L'air excité, il l'empressa de se rapprocher.

– Sylvestre et Titi proposent une séance d'initiation jeux de rôle ce soir, souhaites-tu essayer  ?

– Oh, mes parents en faisaient  ! se réjouit Johanne. Cela me changera les idées  !

L'initiative attira peu de volontaires, soit que les aînés avaient déjà des activités, soit que l'exercice intimidait ou rebutait. Les deux adultes organisèrent deux groupes de six, un par salon. Johanne et Kouakou se retrouvèrent à la table de Titi qui s'était défait de son béret  ; une calvitie lui formait un M aux profondes enjambées. Valentine s'assit à côté de Johanne. Elle lui fit un clin d'œil.

– Un nouveau pseudo, commenta-t-elle à leur intention.

– Franchement, tu pourrais t'en passer ici, râla Johanne.

– Qu'elle importance  ? Appelle-moi Valentine, c'est très bien.

Titi requit leur attention pour leur expliquer le principe du jeu de rôle. Sous l'égide d'un Maître du Jeu, MJ pour aller plus vite, les joueurs incarnaient un personnage et devaient le faire réagir aux situations proposées par le MJ. Cela impliquait beaucoup d'improvisations et quelques contraintes sous la forme des dés aux multiples facettes.

– Pour cette initiation, vous vous jouerez vous-même avec juste une statistique de santé et peu de jets. Je vais privilégier vos improvisations pour faire avancer l'histoire.

Le garde-passage endossa la fonction de MJ et leur présenta des mises en scènes. Pour cette initiations, les joueurs étaient coincés dans un centre commercial où les mannequins de magasins s'animaient. Leur objectif, survivre à la nuit et, si possible, sortir du bâtiment.

Johanne s'immergea pleinement dans le jeu  ; elle s'éclata à proposer des solutions, négocier avec ses comparses et jeter des dés à dix faces. Kouakou s'amusa à se faire fantasque et détendit l'atmosphère à plus d'une reprise. Titi les dirigeait avec maestria, jonglant entre ambiances tendues et situations d'urgence.

Ils arrêtèrent deux heures plus tard en suppliant de poursuivre l'aventure.

– Et affronter, Nadou, la Cerbère des dortoirs  ? menaça Titi avec emphase. On poursuivra demain soir.

La suite ne put avoir lieu.

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