Décharge 1

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Johanne envisagea de retourner dans les étages avant d'être repérée par le garde-passage.

– Tu m'entends  ? gronda Titi.

Johanne retint se souffle et entama sa retraite quand un bruit de course résonna en-dessous.

– Joue pas à ça avec moi, fit encore Titi avant de se mettre à courir lui aussi. Johanne passa la tête par-dessus la rambarde et vit le garde-passage disparaître dans le couloir du rez-de-chaussée de l'aile gauche. Parfait  !

Elle serra le poing de victoire et dévala les escaliers le plus silencieusement possible. Sans attendre, elle se précipita à l'opposé des éclats de voix du gardien. Le couloir de l'infirmerie ne disposant d'aucune fenêtres paraissait très sombre comparé au vestibule. Elle croisa les doigts pour trouver la porte du parc ouverte.

Selon Ludovic, des soldats du corps anti-andréides patrouillaient à l'extérieur du parc. Ils guettaient surtout l'extérieur, du coup ce devait être envisageable de sortir. Lors de son observation, Johanne avait repéré les cabanons de sentinelles Il y en avait une près du portail, il ne fallait donc pas compter sur son escalade. Quant aux murs, ils étaient trop lisses, en revanche, la croissance d'un un arbre à saphir avait approché ses branches vers l'enceinte.

À défaut de rapaces nocturnes ou de rongeurs, la nuit de M-95 bruissait de raclements métalliques et de bourdonnements. Heureusement la plupart étaient assez loin pour ne constituer qu'un fond sonore, telle une autoroute. La petite exfiltrée comptait dessus pour assourdir ses propres déplacements.

Johanne courut vers son pont végétal, grimpa en quelques gestes efficaces et sauta sur le mur. Elle dérapa et resta accrochée par les mains. Après quelques secondes à retenir son souffle, elle tira des bras et poussa des jambes pour passer par-dessus. Là, elle se laissa tomber sans trop réfléchir à la hauteur. Elle eut beau se réceptionner par une flexion, Johanne se fit mal au pied. Elle serra les dents le temps que la douleur passa.

Du côté de la plus proche sentinelle, elle vit une silhouette s'agiter dans sa direction. Une lampe balaya le sol vers elle.

Johanne bondit vers les broussailles et se jeta dedans.

Un cri d'alerte lui confirma qu'elle avait été vue. Se maudissant intérieurement, Johanne rampa sous les buissons. Leurs feuilles étaient plus molles que les feuilles-fruits des arbres à saphir, mais demeuraient rêches et plus d'une cogna le visage de la petite humaine. Un bourdonnement ressemblant à une machine qui rembobine résonna derrière elle, l'aidant à avancer sans gémir de douleur. Et s'ils tiraient  ?

Une sorte d'onde de choc fit dresser ses cheveux et ses habits lui collèrent à la peau. À chaque mouvement elle se prenait un coup de jus jusqu'à ce que l'électricité statique apparue brusquement s'estompa.

– Qu'est-ce qu'il y a  ? demanda une voix étouffée.

– J'ai cru voir quelque chose. J'ai du le ralentir, allons voir.

Johanne se mit à quatre pattes et accéléra. Des petits cailloux lui griffaient les paumes. Elle entoura ses mains de mouchoirs emportés à cet effet.

Elle jugea s'être assez éloignée et tendit l'oreille. Les deux gardes n'ayant rien trouvé repartaient. Johanne leva la tête et attendit de ne plus voir leurs silhouette pour se remettre debout et courir franchement, son Amci en mode lampe-torche.

Qu'importe si elle était surprise, tant qu'elle trouvait l'objet de sa quête.

Johanne activa l'application boussole de son Amci. Dotée d'un champ magnétique, M-95 possédait aussi un nord et qu'importe s'il différait de celui terrien. L'aiguille numérique pointa vers l'académie. L'élève évalua sa position par-rapport à ses repérages et entreprit de poursuivre vers la décharge.

Après quelques dizaines de minutes en alternant marche et course, Johanne quitta la forêt. Elle était assez loin pour ne plus attirer l'attention et elle devait y voir pour repérer sa cible.

M-95 possédait un satellite similaire à la Lune qui éclairait chichement le paysage. Johanne balaya les environs du mince rai lumineux de son Amci et trouva la décharge.

Ce monticule de déchets de toutes sortes la dominait telle une colline. Le bourdonnement ambiant se faisait plus calme ici, comme dans un cimetière électronique. L'odeur de rouille l'emportait sur tout, la moisissure se faisait discrète.

Réalisant l'ampleur de la tâche qui l'attendait, Johanne gonfla ses poumons et s'avança d'un pas décidé. Il lui fallait trouver l'ouvrage ou ne jamais rentrer  !

Plus prosaïquement, Johanne décida de retrouver le dernier déchargement. Elle scruta le sol, trouver des marques récentes dans la terre craquelée n'était pas une mince affaire. Elle trouva un chiffon esseulé et se précipita dessus avec espoir. Le vieux torchon troué ne présentait que des fils usés. Il lui sembla un rebut assez récent pour suivre cette direction. Parvenue au pied du monticule, Johanne se prit de plein fouet l'absurdité de sa démarche  : «  chercher une aiguille dans une botte de foin  » avait dit Nadou.

Refusant de se laisser abattre, Johanne bondit contre le tas le plus proche, estimant qu'il devait être le plus récent. Petit à petit, elle fouilla un peu plus loin, avançant dès qu'elle voyait un bout de tissu dépasser. Elle déterra des lanières, des sangles, des bandages, des vêtements usés, des chiffons et un sac.

La décharge était grande et certains monticules paraissaient explosés, avec un pan effondré. Tout autour s'éparpillaient des déchets carbonisés.

– Bon sang, où est cette broderie  ! s'écria Johanne envahie par l'angoisse.

Alors que l'écho de son cri résonnait dans un grand tuyau de plastique, un amas s'agita non loin d'elle.


– Ma petite, réveille-toi  ! Hé  !

– Elle ouvre les yeux.

La tête de Johanne tournait, elle se sentait faible. Sa première pensée en voyant la tête de Nadou penchée sur elle fut qu'elle avait à nouveau fait un malaise dans le parc. Pourtant, elle s'était adaptée à l'air ambiant  !

Mais cela ne collait pas.

La nuit d'un bordeaux sombre s'étirait au-dessus de la gouvernante. Celle-ci paraissait bien plus inquiète que l'autre jour. Des voix graves d'adultes parlaient autour d'elle. Elle était dans un la remorque d'une camionnette en mouvement.

– Qu'est-ce que tu faisais là-bas  ? râla un homme inconnu à la mâchoire large.

Nadou l'arrêta.

– Comment te sens-tu, ma fille  ? demanda-t-elle pleine de sollicitude.

Johanne évalua son état  : ses poumons lui brûlaient, une côte lui faisait mal et une nausée menaçait de lui faire rendre son dîner.

– Qu'est-ce qu'il s'est passé  ?

– Tu ne te souviens pas  ?

– Ça me revient…

Elle fronça les sourcils en se remémorant la vision d'horreur.

Du tas de gravats remuant s'extirpa une main rongée par la rouille. Des frissons d'horreur parcoururent l'échine de Johanne. La peur tétanisait ses jambes et engourdissait ses capacités de réflexions. Elle ne pouvait s'empêcher de garder le faisceau de lumière vers un avant-bras écaillé qui suivait. En un mouvement de traction, le membre tira dehors une tête dans le bruit métallique des déchets bousculés.

Cela ressemblait au chef d'un ancien automate avec un restant de chignon. La surface faisait penser à de la céramique piquée de rouille, comme si elle était recouverte de peinture au plomb. Des bouts manquaient révélant un trou noir sous la carapace. Un œil avait perdu sa paupière amovible, lui donnant un air éberlué. Des coulures de rouge et de noir avaient séché le long de ses joues. Comble de l'horreur la partie basse de sa mâchoire pendait de travers, maintenue par un vieux tendon élastique détendu et prêt à rompre.

Fascinée par la créature morbide qui rampait vers elle, Johanne n'entendit pas sonner son Amci.

La tête balbutia quelques syllabes.

– …honhon…

Un buste tout aussi délabré se redressa, entre la saleté et l'usure, il était impossible de déterminer sa couleur originelle. Confirmant l'impression donnée par la tête, le corps présentait des mensurations féminines. Un automate féminin. Une danseuse peut-être  ? se demanda la seule partie du cerveau de Johanne en fonctionnement en voyant des lambeaux de tissus flotter autour de sa taille, comme un vieux tutu.

Si la créature n'avait plus qu'un bras, ses jambes étaient suffisamment entières pour lui permettre de claudiquer. Elle traîna un pied derrière l'autre vers l'humaine.

– …hon nom  ? comprit Johanne.

Spontanément elle commença à répondre et eut le temps de prononcer «  Jo  » quand son cerveau se réactiva subitement. Elle plaqua ses mains sur la bouche pour s'empêcher de finir.

L'Andréide émit un bruit de gorge comme pour répéter la syllabe.

– … Cho…Ch…g…dj…Jo…

Retrouvant le contrôle de ses jambes, Johanne pivota sur elle-même et courut à perdre haleine.

(suite du chapitre dans la partie 2)

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