VI

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1er septembre 1270, environs de Carthage, Ifriqiya

Baybars, le sultan d’Égypte, averti de la remise en forme du roi Louis au cours du mois d'août et du nouveau souffle apporté à la croisade par l'apparition d'un ange de Dieu, avait envoyé un nouveau contingent de renforts à al-Mustansir.

Trop tard.

La voie vers Tunis lui étant désormais fermée, le contingent mamelouk manœuvra vers le nord dans le but de couper l'accès au port de La Goulette aux croisés. Une stratégie visant à annihiler toute possibilité de retraite et de ravitaillement pour nos troupes.

Forts de leur mobilité, les mamelouks obligèrent le roi Louis à prendre le risque de venir les affronter dans le désert à l'est de Carthage, sans la totalité de nos forces. Il a fallu partir dans la précipitation, dès que les éclaireurs nous avaient confirmé la présence et la direction empruntée par cette armée, si nous voulions les stopper avant qu'ils ne puissent atteindre le port de La Goulette.

Désavantagés par le terrain et par le nombre, cette nouvelle bataille se voulait tout aussi décisive que la prise de Tunis.

Baybars et l’Égypte étaient les prochaines cibles de notre croisade, notre revanche à prendre sur l'échec de 1250. Pour cela il nous fallait tenir notre tête de pont en Afrique du nord : le sultanat de Tunis. Nous devions gagner pour le conserver et pour pouvoir tourner nos regards vers le prochain objectif.

Après une brève volée de flèches pour accueillir notre arrivée, les mamelouks engagèrent le combat comme il se devait, cavalerie contre cavalerie. Mais la légèreté de leur équipement, additionnée à la grande agilité de leurs montures, leur permettait de manœuvrer là où nos chevaux piétinaient dans l'épaisseur du sable. Bientôt notre flanc gauche se fit enfoncer et il ne dut son salut qu'à l'aide inespérée de Philippe le Hardi qui détourna ses hommes pour couper en deux la charge mamelouk.

Si la manœuvre eut l'effet escompté sur notre flanc, elle eut le grand défaut d'amaigrir les effectifs qui tenaient le centre de la formation.

C'est alors qu'avec un sang-froid exemplaire, notre roi, placé à l'arrière des lignes, se saisit tranquillement du tube aux projectiles de feu divin que l'ange avait bien évidemment emmené avec lui.

Dans la foulée, le tube se mit à vomir le jugement de Dieu en direction des rangs ennemis. Des cris apeurés s'élevèrent du désert tandis que plusieurs arcs enflammés se dessinèrent au dessus de nos hommes avant de repiquer en plein cœur de l'armée mamelouk. Le sol gronda, expulsant le sable à plusieurs pieds de hauteur. Je vis des hommes et des montures être engloutis dans le sol, d'autres être propulsés en l'air, virevoltant comme de simples feuilles avant de retomber lourdement sur leurs camarades paniqués.

Le roi Louis était à cet instant la définition même de la main de Dieu, utilisant les pouvoirs qui lui avaient été confiés pour semer la mort chez les ennemis du Christ. Tant de puissance dans les mains d'un seul homme... Cela témoignait de l'évidente supériorité du plus puissant des rois chrétiens. À lui seul, il équilibra le rapport de forces, avant que la violence des explosions ne parachevât de briser à la fois le moral et la formation de nos adversaires.

En milieu d'après-midi, le soleil illuminait le théâtre de notre éclatante victoire. Le désert était jonché de cadavres mamelouks, abandonnés là par ceux qui étaient parvenus à prendre la fuite.

Une partie de nos hommes restait ici pour enterrer et honorer ceux des nôtres qui étaient morts au combat aujourd'hui. Louis IX, complètement vénéré par les croisés, avait pris le chemin du retour vers Tunis, ramené en triomphe sur une chaise à porteurs.

Resté en compagnie de Charles d'Anjou pour organiser la création d'une garnison fixe à Carthage dans le but de sécuriser et de verrouiller la route maritime entre La Goulette et son royaume de Sicile, j'entendais les clameurs s'éloigner avec la procession du cortège royal.

Alors que nous nous dirigeassions vers Carthage, nous vîmes un cavalier prendre la direction de la chapelle érigée autour de l'étrange sphère métallique.

Intrigués, Charles et moi décidâmes de suivre l'inconnu. Il arrêta sa monture à proximité de l'entrée de la chapelle – désormais dotée d'une porte – et nous fîmes de même à quelques encablures de lui. Je le reconnus dès qu'il ôta sa cape, bien que lui-même ne sembla pas nous avoir aperçu. Ses tempes grises s'estompaient sous la chape sombre du crépuscule qui s’attelait à recouvrir l'ensemble de la région.

L'ange avait retiré sa « veste » et il avait retroussé les manches de sa chemise blanche jusqu'aux coudes. Je fus surpris de voir ses yeux masqués par deux étranges verres noirs, verres qui étaient reliés à ses oreilles par deux branches de métal. Décidément, le métal recouvrait chaque objet que manipulait cet être mystérieux.

N'écoutant que ma foi, je voulus le héler, venir prier devant la sphère céleste à ses côtés, mais une main ferme se porta sur mon épaule et me fit reculer brusquement. En me retournant, je vis le visage pâle et autoritaire de Charles d'Anjou se balancer de droite à gauche en guise de négation. L’œil vif, il me contraint au silence d'un simple geste. Puis, avançant minutieusement, il m'invita à le suivre. Je ne savais pas trop quoi en penser. Devais-je obéir au frère du roi et me mettre à espionner un émissaire de Notre Seigneur tout puissant ? Un tel péché me serait sûrement reproché lorsque viendra l'heure du Jugement Dernier.

Pourtant je me pliais à la volonté de Charles et nous nous glissâmes dans l'ouverture de la chapelle, laissée entrouverte.

Tapis dans l'ombre, nous contemplâmes la sphère éclairée par la flamme d'une multitude de cierges. En son sommet, la porte de métal claqua. L'ange venait de pénétrer à l'intérieur. Tous deux, nous retînmes alors notre souffle. Le temps qui s'écoula avant que quelque chose ne se passât me parut être une éternité.

Puis la foudre crépita. Soudainement, sans prévenir. Des fourches bleutées léchèrent les murs, éteignirent les cierges et vinrent pousser le vice jusqu'à nous caresser les cheveux.

Je hurlais, convaincu que Dieu venait me prendre, me punir de mon infamie. Mais je n'étendais même pas mes propres cris. Le son, le temps et l'espace, tout parût se distordre autour de nous, tandis qu'un spectre infini de sonorités pépièrent au creux de nos oreilles. Saisis par l'horreur la plus absolue, je vis le visage de Charles s'allonger indéfiniment, jusqu'à faire le tour complet de la pièce. Plusieurs fois.

Et alors que mes hurlements parachevaient de me rendre aphone, un flash bleu détonna dans la chapelle. Le grondement sourd s'intensifia avant de cesser brutalement. Je fus propulsé en arrière.

Tout s'arrêta.

Au milieu d'une brume de fumée dense, l'impensable c'était produit.

La sphère avait disparu.

Au-dessus de moi Charles d'Anjou se meurtrissait les paumes avec ses ongles. Le visage déformé par une rage d'une ardeur insoupçonnée.

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