IX

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2 octobre 1270, Le Caire, Égypte

De bon matin, Charles d'Anjou m'avait fait quérir et sans que je n'eusse le temps de lui poser la moindre question sur les raisons qui animaient cette entrevue, il nous avait fait descendre à grand train de la citadelle et m'avait emmené à l'extérieur du Caire. Une patrouille de templiers aux yeux encore embués par leurs frasques de la veille nous salua gauchement alors que nous quittions les remparts protecteurs de la cité.

La scène était saisissante. Une fine pellicule jaunâtre s'avançait lentement sur la toile des tentes de l'armée croisée et réveillait à la vie cette véritable ville hors de la ville dans un éclat de lumière irradiant. Les premiers individus s'agitaient dans le camp encore bien calme à cette heure matinale : palefreniers, soldats de garde, d'autres ramenant des sceaux d'eau vers leurs tentes, etc. J'avais plaisir à voir de temps à autre l'envers du décor, quittant la sphère du pouvoir pour celle des forces vives, des bras sans qui nous n'en serions pas là.

Mais une inquiétude planait.

Au vu des dissensions naissantes, j'espérais que Charles n'était pas en train de m'amener vers un groupe de comploteurs, des croisés qui tenteraient de reprendre le cours de la croisade à leur compte. Tout à coup, il me sembla que les ombres le long des tentes se remplissaient de chevaliers aux regard torves et inquiétants.

Tétanisé, je me hâtais de me recoller dans le sillon de la cape azure de Charles, mais ce que je vis alors au détour d'un carrefour me fit retomber dans des angoisses bien plus profondes.

Une chapelle de briques rouges.

Avec, dans son ouverture laissée béante, ce terrifiant reflet métallique, laissé au vu et au sus de tous.

Pas aussi traumatisé que moi par ce souvenir, mais néanmoins le visage fermé, Charles pointa du doigt l'objet céleste en me regardant. D'une voix monocorde, il me disait tout le mal qu'il en pensait. Pour lui, cette sphère était sorcellerie et l'ange un usurpateur aux intentions mauvaises.

J'étais heureusement trop estomaqué pour répondre quoi que ce soit. Dieu sait quels blasphèmes j'aurais pu dire sur le coup de l'émotion.

La présence miraculeuse de la sphère de métal à des lieues de Carthage n'avait en soi rien d'illogique, c'était la « monture » de l'ange et de fait, elle le suivait où qu'il aille. J'en avais certes peur depuis les événements du mois dernier mais je devais me convaincre que cette peur était tout à fait saine et pieuse. Les mystères divins devaient susciter frayeur et retenue chez le fidèle, car telle était la preuve de notre foi.

Je n'avais par contre, à mon grand dam, pas su raisonner Charles d'Anjou. Sa colère froide envers l'ange m'inquiétait vivement.

J’espérais qu'elle ne le mènerait pas à des extrémités qu'il pourrait regretter.

Cette interrogation resta en suspens car dès mon retour à la citadelle, j'eus d'autres affaires à régler. Les préparatifs de départ pour Jérusalem battaient leur plein et l'armée croisée se mettrait en branle dès la prochaine aube. Il nous faudrait nous méfier d'un coup fourré de Baybars mais à part cela, le moment semblait bien choisi. En effet, les messagers annonçaient l'arrivée d’Édouard Longshanks en Terre Sainte pour dans un mois, peut-être moins. Cette nouvelle d'un débarquement de l'héritier de la couronne d'Angleterre à la tête de mille hommes supplémentaires serait un atout à ne pas négliger pour notre reconquête des états côtiers dont les seigneurs chrétiens avaient été spoliés par les sarrasins.

Le roi Louis siégea une dernière journée sur le trône de l'empire mamelouk avant de passer symboliquement la main à son frère Alphonse de Poitiers qui, moins porté sur le combat, ferait un excellent administrateur pour la cité. Comme à Carthage, des troupes seraient laissées derrière pour assurer la garnison dans la ville conquise.

Lorsque tout fut prêt, la famille royale et toutes les personnes présentes à la citadelle se félicitèrent pour le chemin accompli et s'encouragèrent avant d'aborder l'ultime étape. Ce fut à cette heure tardive de la journée, au détour d'un couloir, alors que je guidais mes valets pour les derniers chargements de mes affaires, que je vis Charles, épaulé par Jean Tristan et Robert II d'Artois, aborder chaleureusement son frère Alphonse pour le saluer avant de rapidement changer d'attitude et de s'entretenir avec le plus grand des sérieux avec lui.

Je lus une compréhension grave mêlée d'inquiétude dans le regard d'Alphonse de Poitiers, puis tout ce petit monde se sépara solennellement.

Mais dans leur dos, tout au fond du couloir, l'émissaire divin se tenait bien droit, les yeux cachés par ses insondables verres noirs.

Il avait tout vu.

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