14. L’héritage de Marie

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Quand Renaud Keller quitta réellement le monde des vivants, il y eut une période de deuil, qui s’acheva. Quand il fut parti pour de bon, Marie fut triste, mais en paix. Elle avait accepté l’absence de son père.

Dans les mois qui suivirent ce fameux procès, une nouvelle amie fit son apparition dans sa vie quotidienne, Lisa.

Mathieu et Coralie Nordet avaient bel et bien accepté le travail que sa mère leur avait proposé. Marie ne sut jamais exactement combien elle les payait pour ce travail. Ce qu’elle savait, en revanche, c’est que les Nordet, une fois acheté un appartement dans le 18e arrondissement, continuèrent de mener une vie simple. De temps en temps, cependant, ils suivaient des matches de football, ou partaient à Disneyland. Plus d’une fois, Marie fut invitée avec son amie Chloé.

Cette dernière et Lisa s’entendirent très bien, d’ailleurs. Elles formaient désormais un fabuleux trio dans le lycée où elles étaient scolarisées. Autre entorse à leur simplicité, les Nordet s’offraient des voyages, en avion ou en train, dans des destinations diverses. Enfin, depuis qu’ils avaient commencé un travail dont ils ne sortaient pas exténués, ils avaient pris goût à la lecture, et avaient de nombreuses bibliothèques dans leur appartement.

Marie, au contact de cette fille de syndicalistes, cultiva d’autres valeurs, un autre regard sur les gens. Elle devint, en quelque sorte, une transfuge de classe. Cela eut une légère incidence sur sa réaction quand, à sa majorité, sa mère lui révéla qu’elle avait une fortune personnelle autour de 400 millions d’euros.

La jeune fille faillit se trouver mal quand elle l’apprit. Elle n’estimait pas avoir besoin d’autant, considérait que ce n’était pas juste.

À dix-huit ans, désormais étudiante en droit à l’université, elle était un peu moins surveillée par les gardes-du-corps. Elle sortit son téléphone portable. Elle avait toujours le numéro de Célestine.

Fée Célestine, j’écoute ?

– Bonjour, Célestine, c’est Marie Keller.

Ooooh ! Je suis tellement contente de vous entendre, mon p’tit chou ! Comment allez-vous ?

– Bien… Très bien… dit-elle après un moment d’hésitation

Ce n’est pas trop l’impression que ça donne.

– En fait, je me posais une question, et je me disais que vous pourriez peut-être me dire ce que vous en pensez.

Bien sûr, mon chou. Je vous l’ai dit : vous venez me voir quand vous voulez.

– Je peux venir maintenant ?

Je fais chauffer de l’eau, et je vous prépare des scones.

La fée Célestine semblait vivre sur une autre ligne temporelle. Elle avait exactement le même ton de voix que trois ans plus tôt. Marie, elle, avait beaucoup changé. Arrivée au 20 rue Daviel, la jeune fille retrouva cet immeuble à l’ambiance surannée, pourtant impeccablement entretenu. Le couloir, puis l’appartement étaient à l’avenant.

Et là encore, Mélusine aboya, mais cette fois, ce fut de joie. La chienne fit une vraie fête à Marie, qui entra et serra Célestine dans ses bras.

Peu après, les deux femmes étaient assises autour de la table basse.

– Si vous me racontiez un peu ce qui vous amène, mon p’tit chou ?

– Je sais que c’est un peu bizarre, mais j’ai appris quelque chose à mon dernier anniversaire.

– Ah oui ! C’est vrai ! Vous êtes majeure, maintenant. Joyeux anniversaire, mon p’tit chou.

Et la fée sortit de son tiroir un sac une bague ornée d’une belle améthyste. Marie fut ébahie.

– Je me souvenais que vous portiez une améthyste au cou, quand vous êtes venue me voir la première fois. Je m’étais dit qu’une bague assortie vous ferait plaisir.

– Elle est magnifique. Celle que j’ai au cou, c’était un cadeau de Papa, quand j’avais onze ans.

– Oui… Je me souviens. Vous savez à quoi on associe cette pierre ?

– Non ?

– À la sagesse. Et vous en avez fait preuve, plus qu’à votre tour.

Marie fut flattée. Les deux femmes échangèrent un temps des regards, sans rien dire. Marie tartina son scone, et mangea. Puis elle but une gorgée de thé.

– Bien… dit Célestine. Et si vous me disiez ce qui vous amène, mon p’tit chou. Je suis contente de vous voir, mais je me doute qu’il y a une raison pour que vous veniez maintenant.

– Eh bien… Je suis majeure, comme je vous disais. Et là, Maman m’a révélé le montant de ma fortune personnelle.

– Et vous ne vous sentez pas à l’aise d’en avoir autant ? Vous pensez que ce n’est pas juste ?

– Non…

– Et vous avez sûrement raison. Mais ne rien faire de tout cet argent ne contribuera pas à en faire profiter les autres.

– Vous voudriez que je claque tout ?

– Je n’ai pas dit ça ! protesta Célestine. Mais vous pourriez le mettre au service d’une cause qui vous est chère.

– Une cause qui m’est chère ?

Célestine opina du chef, puis but une gorgée de thé. Et de nouveau, elle la regarda fixement.

– Comme vous le savez, mon p’tit chou, en quatre-cents ans d’existence, j’ai accumulé pas mal d’argent et de biens, même si j’en ai sans doute beaucoup moins que vous. Mais l’argent ne m’a jamais vraiment intéressée.

– Alors pourquoi en avoir accumulé autant ?

– Pour être à l’abri du besoin, choisir pour qui je travaille, et vivre en conformité avec mes valeurs.

– Qu’est-ce que vous suggérez, alors ?

– Et si vous vous investissiez dans quelque chose qui compte vraiment pour vous, sans vous soucier de ce que ça va vous rapporter ? Vous n’aurez jamais de soucis d’argent. Vous savez combien de personnes aimeraient pouvoir en dire autant ?

– Quelque chose qui m’est vraiment cher… réfléchit Marie.

– Rappelez-moi les études que vous suivez, mon p’tit chou.

– Droit… J’aimerais bien devenir avocate.

– Et pour quelles causes vous aimeriez plaider ?

– Les questions d’environnement, de droit social, d’humanitaire…

Célestine eut un sourire.

– C’est un beau programme. Et pour vous, en vivre ne sera pas un enjeu…

Marie sourit. Effectivement, cet argent lui offrait une sécurité dont elle eût été folle de ne pas profiter. Mais quand bien même, elle n’avait pas besoin d’autant.

– Vous avez le temps de réfléchir à ce que vous voulez faire de tout cet argent, mon chou. Si vous voulez savoir ce que j’en pense, je vous le redis : vous venez quand vous voulez.

Célestine cligna de l'œil. La jeune fille comprit une chose : le surnom de “Marraine la Bonne Fée” dont sa fille la gratifiait n’était pas usurpé.

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