Le marché

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Les deux gardes les poussèrent vers une porte, au bout du couloir, et les emmenèrent, par un dédale d'escaliers et de couloirs, jusqu'à une grande salle où des femmes s'affairaient autour d'un bassin.
-Faut laver ces deux là, ordre du patron!
Les femmes opinèrent sans dire un mot.
-Ah, il veut aussi qu'on leur mette des habits propres.
Nouveau opinement.

Sans un mot de plus, les deux hommes tournèrent les talons et sortirent, claquant la porte derrière eux. Les femmes s'approchèrent des enfants et leur prirent la main pour les amener à proximité du bassin. Ovräm n'avait jamais vu ce genre d'installation et resta éberlué devant cette masse d'eau. Les deux enfants furent déshabillés, baignés, lavés, séchés puis rhabillés, sans douceur mais sans non plus de violence. Cette attitude neutre des femmes qui s'occupèrent d'eux leur parut douce après ce qu'ils avaient vécu. Quand ils furent prêts, la doyenne des femmes alla taper à la porte du couloir qui s'ouvrit sur deux gardes, différents de ceux qui les avaient amenés. Toujours en silence, les enfants furent de nouveau poussés dans le couloir. Les deux hommes les firent cheminer de nouveau dans la grande bâtisse.
Ils finirent par arriver dans une grande cour cernée de hauts murs. Le lieu était plein de gardes, armés de piques et d'épées. Ovräm frissonna en remarqua trois carrioles qui semblaient attendre au milieu de l'activité ambiante. Des personnes y étaient déjà installés. Des adultes, des enfants, habillés aussi chichement qu'eux deux, leurs visages résignés, sombres, abattus. D'une bourrade, l'un de leurs surveillants les fit avancer en direction des véhicules. On les fit grimper et ils durent s'asseoir, à même le plancher de bois de la charrette. Une fois les derniers prisonniers chargés, les trois véhicules s'ébranlèrent, accompagnés d'une importante troupe armée. On n'avait même pas pris la peine d'entraver le bétail humain. Que pouvaient des gens épuisés et affamés contre des gardes entrainés et armés? Toute tentative d'évasion était vouée à l'échec...
Après une bonne heure de trajet sur une route poussiéreuse, le convoi arriva à une grande cité entourée de murailles. Les chariots s'engagèrent dans le dédale de rues pavées, toujours encadrés par leur escorte. Ils ne tardèrent pas à débouler sur une gigantesque esplanade, encombrée d'étals et de stand en tout genre. Le convoi s'arrêta à proximité d'une estrade vide et les gardes firent descendre l'ensemble des prisonniers. Ils durent ensuite grimper sur l'estrade, toujours flanqués et surveillés par les gardes, mais également par deux hommes qu'ils n'avaient pas remarqués. Devant la plate-forme, les badauds commençaient à s'agglutiner. Ovräm sentit la petite main d'Idda qui cherchait la sienne. Sans un mot, sans un regard, il la prit dans la sienne et serra doucement les doigts de la fillette.

On les fit s'asseoir au fond de l'estrade. Le groupe de prisoniers restait sous la surveillance étroite des gardes tandis qu'un des deux hommes en civil commençait à interpeller les badauds pour attirer de potentiels acheteurs. Une petite foule s'agglutina au bas de la plateforme et, petit à petit, les gardes amenèrent des prisoniers pour alimenter la vente en cours. Trop tôt, bien trôp, ce fut le tour d'Ovräm et d'Idda. Quand on vint chercher la petite fille, le garçon se leva avec elle, leurs deux mains toujours enlacées. Pas un instant il n'envisagea de la laisser affronter la foule seule. Les gardes n'y firent pas attention et, bien qu'haussant un peu les sourcils, le vendeur les présenta comme "un lot".
Tandis que ce dernier commençait à vanter la force du garçon, la douceur de la petite, Ovräm regardait droit devant lui, fixant un point invisible par delà les têtes des acheteurs. Idda de son coté, tremblait comme une feuille, le visage baissé, le regard fixé sur le plancher devant ses pieds. Si les tremblements qui agitaient la petite fille étaient dûs à la peur, c'était en revanche, la rage qui faisait frissoner son jeune compagnon. La rage face à ses gens qui considéraient des humains comme des meubles, la rage de la situation dans laquelle il se trouvait et par dessus tout, la rage de se sentir impuissant face à tout cela. Ses oreilles bourdonnaient, il n'arrivait même plus à entendre les échanges entre le vendeur et les personnes interressées. Tout juste comprit-il quand les enchères commencèrent. A coté de lui, il percevait les tremblements d'Idda. La petite fille, la tête baissée, cachait sa peur derrière le rideau de ses cheveux. Des cris autour, des prix. Tout alla si vite, et tout lui sembla pourtant durer une éternité. Soudain, son regard croisa le regard de glace d'une femme, montée sur un cheval. L'espace d'un instant, il se perdit dans ce regard d'un bleu irréel. La femme se détourna, fit signe à quelqu'un à ses cotés qui lança à son tour une enchère. Tandis que son serviteur encherissait pour elle, son regard se reporta sur les deux enfants. Un regard sombre, neutre, avec une étincelle d'intérêt. L'homme à ses cotés lança enfin un prix que personne d'autre ne fut prêt à dépasser. Comme dans un cauchemar, Ovräm vit l'homme approcher de l'estrade, une bourse s'ouvrir et une pile de pièces changée de mains. Le vendeur, arborant un sourire amplement satisfait, fit un signe vague aux soldats qui flanquaient les deux enfants. Ces derniers poussèrent Idda et Ovräm vers le petit escalier de la plateforme. En quelques minutes, pour quelques morceaux de métal, les deux enfants étaient devenus des marchandises, des biens meubles.

En bas de l'escalier, l'acheteur les attendait. Il les fixa quelques secondes, silencieux. Puis, sans rien dire, il leur prit à chacun la main. Désorientés, sonnés par ce qui venait de se passer, les deux enfants se laissèrent tirer jusqu'à la cavalière. Derrière eux, les enchères avaient repris. Leur... propriétaire les regarda un instant, puis se tourna vers l'homme.

- Emmène-les à la maison. Veille à ce qu'ils soient lavés, vêtus convenablement et ... nourris également. J'ai l'impression qu'ils n'ont pas vu un repas correct depuis quelques temps.

L'homme acquiesca d'un mouvement de tête et, sans une parole supplémentaire, la femme partit au galop.

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