1.6

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 Tandis que Père va à la rencontre du Baron, je m’assois par terre pour reprendre mon souffle. Cette libellule m’aura donné du fil à retordre. Il faudra que je demande à Bertelot comment il s’y est pris. J’ai du mal à croire que les énormes mandibules de ces insectes n’aient pas broyé son bras.

 Je le reconnais, j’ai eu peur. Si ça n’avait tenu qu’à moi, j’aurais pris la poudre d’escampette. Mais je devais tenir. Pour Ferine. Pour Elisolth et Dain. Pour Tanière. Pour mon père aussi… Quel exemple aurais-je donné si je les avais abandonnés à leur sort sans lutter ? Mais là où les prédateurs que nous affrontons d’habitude se laissent facilement intimidés par les flammes de nos Ronces, ceux-ci n’en avaient cure. J’en ai perdu contenance. Je manque encore d’expérience. Il faut que je devienne plus fort.

 Néanmoins, notre mission est un succès. Ferine a terminé d’enfanter. Deux souriceaux et trois souricettes ! Après tous nos disparus, cette nouvelle a de quoi réchauffer les cœurs. Blesse et Lotus viennent à la rescousse pour remplacer Dain et Elisolth. Malgré toute leur bonne volonté, ceux-ci ne savent comment s’y prendre avec les petits. Comme je les comprends ! Mieux vaut laisser ça à des mères expérimentées.

 Mon regard balaie le champ de bataille. La tête de la libellule tuée par Père est toujours là, deux Trappeurs regardent s’ils peuvent en tirer quelque chose. À part ça, il ne reste rien de leur passage ici. Tiens, Canine applique des bandages à Figment… Il a du prendre de plus gros risques que moi. Il est en vie, c’est ce qui compte. Un bruit rêche attire mon attention. C’est le Baron qui vient de s’éclaircir la voix.

 — Chères Souris de Tanière ! dit-il en repoussant Père qui essaie de passer devant lui. Vous êtes cordialement les bienvenues dans ma demeure. Ainsi, vous passerez une nuit à l’abri et au chaud. Nous prendrons aussi toutes les dispositions afin de garantir la bonne santé de vos nouveaux nés et de leur mère.

 L’annonce est accueillie avec des exclamations de joie et même quelques applaudissements. Moi-même, je suis tout sourire. Pour nous qui quittions à peine la sécurité de Denbros, c’est une bonne nouvelle. Pourtant, je ne peux m’empêcher de remarquer la mine sombre que tirent Père, Roese et Bertelot. Quelque chose cloche.

 — C’est formidable, pas vrai, Symon ? s’exclame Elisolth en me sortant de mes pensées.

 Je lui rends son sourire et cache mes appréhensions. Ce n’est pas le moment de faire ma tête de lézard. Je serais bien cruel de leur retirer ce soupçon d’optimisme dans le chaudron de nos mésaventures. Le moral est une ressource bien trop difficile à conserver et nous en avons cruellement besoin.

 Nous nous mettons en route, guidés par les trois Grenouilles qui accompagnent le Baron. Je pensais que c’était ce dernier qui avait créé le gigantesque poisson aqueux venu à notre rescousse. Mais on dirait que ses compagnons sont tout aussi capables de pareilles prouesses. L’un d’eux a même disposé une barque de fortune sur un gros poisson-chat liquide afin de déplacer Ferine plus facilement.

 Notre mission terminée, Elisolth et Dain rejoignent les plus jeunes à l’avant. Eux aussi veulent voir de quoi sont capables nos hôtes en termes de magie. Je leur promets de les rejoindre plus tard, mais pendant que nous marchons, j’essaie de comprendre pourquoi Père semble si mal à l’aise.

 Je connais le Baron uniquement de réputation. On dit de lui qu’il est un enfant du Triton. J’ignore si c’est vrai, mais cela expliquerait peut-être pourquoi il n’a pas l’air plus âgé que ça. À titre de comparaison, il n’y a aucun doute sur l’âge avancé de Bertelot. Or, ils ont tous les deux participé à la Guerre des Rats. Père aussi, ceci dit, mais il n’était que l’écuyer de son propre géniteur. Mes connaissances s’arrêtent là. Les anciens ne sont pas avides de détails en ce qui concerne cette période.

 Père et Bertelot ne quittent par le Baron d’une semelle. Ou bien est-ce ce dernier qui reste en leur compagnie ? Pour un batracien, il est très grand. Je remarque aussi, à sa ceinture, une arbalète. Enfin, je crois que c’en est une. C'est une arme peu commune. 

 Lorsque pointe l’heure du Hérisson, là où le soleil décline peu à peu, nous arrivons enfin à la propriété du Baron. Tout me parait gigantesque ! Derrière de hautes haies d’orties se profile une sorte de château, avec trois hautes tours. C’est la première fois que je vois un bâtiment fait de pierres. Sa construction a dû prendre des lustres…

 Comme nous passons un portail, je me rends compte que la demeure du Baron est à moitié sur terre et à moitié par-dessus la Mare Cage. Il y a aussi d’autres bâtiments, des sortes de granges, sur le côté. Je remarque même un enclot dans lequel de grosses larves mangent des feuilles qui n’ont rien à voir avec le reste de la végétation du coin.

 Deux Grenouilles entreprennent de nous guider à l’intérieur tandis que la troisième reste dehors avec le poisson qui porte Ferine. Interpelé, je reste en sa compagnie le temps d’en apprendre plus. Ces trois-là me turlupinent. Ils ne ressemblent pas au Baron.

 — Je vais guider votre amie dans l’aile ouest, m’indique-t-elle sans attendre ma question. Ce sera plus confortable pour elle et ses bébés. Nous allons prendre soin d’eux.

 — Je compte sur vous ! Puis-je demander votre nom ?

 — Voras.

 — Vous êtes un enfant du Baron ?

 — Nous sommes ses serviteurs, me corrige-t-il. Il nous a choisis pour nos dons en magie.

 — Ah, ça, vous êtes très doués ! Mais… comment ça, choisis ? Vous n’avez pas... postulé ?

 J’ai dû dire une bêtise, parce que Voras ricane et esquive ma question.

 — Vous feriez mieux de suivre Auras et vos amis jusqu’à vos appartements. Ne vous inquiétez pas pour votre camarade, nous nous occupons de tout.

 Je jette un regard vers Ferine. Elle est toujours sur le petit rafiot, par-dessus l’invocation d’eau de Voras. Elle dort sereinement, ses petits emmaillotées dans des tissus près d’elle. Je souffle du museau et m’apprête à suivre les conseils de la Grenouille quand un drôle de bourdonnement atteint mes oreilles.

 Je n’ai pas le temps de voir de quoi il s’agit que Voras me pousse en avant avec son poisson. Je suis obligé d’accélérer le pas et d’entrer dans le château du Baron. Les portes se referment aussitôt et je reste tétanisé dans le hall d'entrée.

 Je ne les ai pas vues, mais je suis certain que c’était elles.

 Les libellules.

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