Chapitre 4
La noirceur de son inconscient fut percée par des ordres criés à la volée. Kael peina à émerger, le corps encore paralysé par l'intense douleur causée par la décharge électrique qui l'avait traversé, et dont les réminiscences lui brûlaient encore les nerfs. Il se sentait ballotté comme un pantin désarticulé, privé de ses ficelles.
Des coups de feu éclatèrent. Les agents de NeuraLinx étaient en train de se battre... mais contre qui ? Pourquoi ? Kael tenta de se redresser, mais des éclats blancs dansèrent devant ses yeux lorsque le moindre mouvement raviva la douleur. Il lutta pour rester conscient, il ne pouvait pas se permettre de replonger dans l'inconscience, pas maintenant.
Le soldat qui le tenait sentit son mouvement et resserra aussitôt sa prise, l'écrasant contre lui comme un sac de sable, lui coupant presque le souffle. La pression l'étouffait, et sa vision vacilla de nouveau.
Les minutes suivantes ne furent plus qu'un kaléidoscope confus de ténèbres, de fusillades, d'os brisés et de chairs arrachées. À un moment, son porteur poussa un râle de douleur avant de s'effondrer, entraînant Kael avec lui. Le jeune homme percuta violemment le bitume humide. La douleur, vive et brutale, le traversa à nouveau comme une vague, réveillant les restes du choc électrique.
Il tenta de ramper, de s'éloigner du chaos, mais son corps refusait d'obéir. Sa tête heurta le sol, une fois encore, et une migraine fulgurante explosa dans son crâne. Un gémissement lui échappa. Le noir revint un instant... puis sa vision s'éclaircit de nouveau. Une paire de jambes s'avançait vers lui, chaussée d'élégantes souliers de ville.
— Eh bien, t'es dans un sale état, lança une voix grave, teintée d'amusement.
Kael voulut répliquer, lui dire d'aller se faire foutre, mais seul un râle douloureux franchit ses lèvres. L'homme s'agenouilla devant lui. Dans la vision floue du hacker, il ne distingua qu'un éclat doré, une mèche de cheveux blonds, avant que l'obscurité ne l'avale une fois encore.
***
Le jeune homme ouvrit les yeux bien plus tard, lentement, comme s'il perçait une brume lourde de plomb. Il sentit immédiatement quelque chose de doux sous lui, un matelas moelleux, bien trop confortable pour les bas-fonds où il avait l'habitude de survivre. Une couverture épaisse et chaude était posée sur son corps, et l'air ambiant était agréablement tempéré.
Au-dessus de lui, un plafond sculpté, orné de moulures délicates, baignait dans la lumière douce d'un lustre discret mais élégant. Les murs, tapissés de velours sombre bordé d'or, étaient décorés de tableaux abstraits, encadrés avec soin. À sa droite, une baie vitrée voilée par des rideaux lourds laissait filtrer une lumière tamisée, révélant des meubles en bois sombre, polis jusqu'à briller. Tout autour de lui transpirait la richesse et le raffinement, un fauteuil de cuir cousu main, un minibar intégré à une étagère de verre, une table basse au centre d'un tapis à motifs géométriques coûteux.
Kael se redressa dans le lit, les sens en alerte, aussitôt, son corps protesta, il vacilla et lâcha un gémissement étouffé, portant une main tremblante à son front. Sa migraine s'était réveillée avec une cruauté familière, et les séquelles du taser faisaient encore vibrer ses nerfs, réduisant ses forces à néant. Il ferma un instant les yeux, inspira profondément, et attendit que le monde cesse de tourner autour de lui.
Une fois son calme retrouvé, Kael ouvrit de nouveau les yeux et scruta les lieux avec une prudence instinctive. Il n'avait aucune idée d'où il se trouvait, et cette incertitude l'angoissait plus qu'il ne voulait l'admettre. Il constata avec surprise qu'on l'avait lavé et habillé. Ses nouveaux vêtements, doux et ajustés, dégageaient un subtil parfum de lavande qui flottait dans l'air, contrastant violemment avec les souvenirs poisseux de son arrestation. À ses pieds, soigneusement placées au bord du lit, reposaient une paire de baskets noires neuves. Il les enfila, trouvant à côté une paire de chaussettes roulées ensemble. Tout avait été préparé avec soin, comme s'il était un invité de marque... ou un prisonnier dont on voulait s'assurer la coopération.
Il tenta de se lever, une première fois mais ses jambes se dérobèrent sous lui, il se stabilisa et fit une deuxième tentative qui ne fut pas plus efficace. Ce ne fut qu'à la troisième que ses jambes daignèrent le soutenir correctement. Vacillant légèrement, Kael se dirigea vers la baie vitrée aux vitres sans tain, attiré par la lumière diffuse de l'extérieur. Il ne comprenait pas lui-même ce qui le poussait à s'en approcher, sinon cette étrange sensation de devoir vérifier qu'il n'était pas prisonnier d'un rêve. La surface miroitante le protégeait des regards extérieurs tout en lui offrant une vue imprenable sur la ville en contrebas. Elle s'ouvrait sur un large balcon, encadré de rambardes en métal noir au design épuré, et donnait une vue imprenable sur la ville étalée en contrebas. Il resta figé un instant, ébloui. Devant lui, l'immensité urbaine s'étendait comme une mer d'immeubles, scintillant de mille lumières, tel un océan piqueté de diamants. Les routes serpentaient entre les bâtiments comme des veines de lumière, et les néons pulsaient au rythme sourd d'une ville qui ne dormait jamais. Il se sentit minuscule, perché au sommet du monde qu'il avait toujours rêvé d'atteindre. Et pourtant, au lieu de la fierté ou de l'exaltation, ce fut un frisson d'inquiétude qui lui parcourut l'échine. Comment était-il arrivé ici ? Il doutait sérieusement que ce lieu soit lié à NeuraLinx. La corporation ne s'embarrassait pas de confort, elle l'aurait enfermé dans une cellule stérile, éclairée au néon, et surveillée en permanence. Non, ici, il y avait du goût, du luxe, une volonté de le mettre à l'aise, ou de le déstabiliser autrement.
Le souvenir flou d'une chevelure blonde lui traversa l'esprit. Quelqu'un l'avait récupéré. Mais qui ? Un allié providentiel ? Ou un ennemi jouant un jeu plus subtil ? Kael se détourna lentement de la baie vitrée, il devait obtenir des réponses et vite. Heureusement, il n'eut pas à attendre longtemps, car il entendit des bruits de pas provenant du couloir. Il délaissa la vitre et se glissa derrière la porte. Son poignet droit s'anima alors d'un léger clic mécanique, et une fine lame monomoléculaire glissa silencieusement hors d'une fente dissimulée sous sa peau. Cette lame, d'une finesse presque invisible, semblait vibrer d'une énergie subtile et dangereuse. Son tranchant, si affûté qu'il pouvait découper le métal comme du papier, émettait un léger reflet fantomatique sous la lumière tamisée de la pièce. Le hacker resta sur ses gardes, prêt à se battre pour sa vie. La poignée de la porte tourna lentement, et lorsque celle-ci s'ouvrit, une ombre se glissa dans la pièce. Kael n'hésita pas et se glissa derrière celle-ci, plaquant la lame sur sa gorge.
— Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous me voulez ?
Kael n'eut pas le temps de raffermir sa prise sur sa cible. En une fraction de seconde, l'inconnu lui attrapa le poignet et le tordit brutalement, évitant d'un geste fluide que la lame effleure sa gorge. Le hacker étouffa un gémissement de douleur et tenta de frapper, mais l'homme esquiva facilement, accentuant la torsion de son bras avant de se glisser dans son dos. Les mouvements étaient précis, maîtrisés. Ce type savait se battre, il avait reçu une formation, c'était évident. Un coup bien placé derrière les genoux suffit à déséquilibrer Kael, qui s'effondra au sol. L'instant d'après, il se retrouva plaqué contre le parquet, la lame qu'il avait dégainée contre lui, froide et tranchante sous sa gorge.
— Tu ne manques pas de cran pour t'en prendre à quelqu'un dont tu ignores tout, lâcha l'inconnu d'une voix calme, mais glaciale. Malheureusement pour toi, ça frôle plus la bêtise que le courage.
Il marqua une pause, le souffle parfaitement maîtrisé, puis ajouta.
— Je ne suis pas là pour te tuer, je vais te relâcher. Mais tente quoi que ce soit, et je te garantis que la douleur sera bien réelle, suis-je clair ?
Kael grogna... Mais hocha la tête, de toute manière il n'avait pas vraiment le choix, il ne ferait pas le poids contre cet homme, pas de manière frontal en tout cas. La pression au-dessus de lui disparut, tout comme les mains qui le maintenant prisonnier. Il rengaina sa lame et se releva en se frottant la gorge, plus par reflexe que par nécessité. Il se tourna enfin vers l'autre homme, l'examinant de la tête aux pieds avec prudence.
L'individu qui lui faisait face avait l'allure d'un prédateur, massif, ancré dans le sol comme une colonne d'acier. Sa large silhouette et son visage carré dégageait une autorité brutale. Un long manteau blindé en cuir synthétique tombait jusqu'à ses bottes lourdes, épaules renforcées par des plaques augmentées. Sa peau foncée captait la lumière d'une manière étrange, révélant des reflets métalliques le long des bras et du cou, là où la chair rencontrait la machine.
Ses cheveux étaient rasés sur les côtés, mais une masse blonde, tirée vers l'arrière, courait sur le sommet de son crâne en une crête disciplinée. Sous ses sourcils épais, deux yeux rouges brillaient légèrement, surement des capteurs de combat intégrés, devina le jeune homme. Son bras droit, entièrement cybernétique, vibrait encore légèrement, comme prêt à frapper de nouveau, tandis qu'une lueur pulsait le long de sa colonne vertébrale, à peine visible sous le col du manteau.
— Tu as de bons réflexes, dommage que tu les gâches dans les ruelles.
Kael ravala une réponse cinglante, l'homme n'était pas juste dangereux, il était contrôlé, aiguisé comme une arme vivante. Et visiblement, il avait des projets pour le hacker.
— Je peux savoir qui vous êtes ? interrogea-t-il, vous m'avez sortit des griffes des agents de NeuraLinx, j'en conclue que vous ne comptez donc pas me vendre à eux ?
Son interlocuteur resta parfaitement neutre tout en secouant la tête pour confirmer les dires du hacker.
— Je n'ai effectivement pas pour projet de toucher la prime sur ta tête, je ne suis donc pas ton ennemis, du moins, tant que nos intérêt concordent. Je m'appelle Deyran, je fait partie de la Noctis Corporation.
Kael se renfrogna un peu, il connaissait ce nom, officiellement, il s'agissait d'une entreprise de logistique spécialisée dans l'import-export, mais il savait très bien que ce n'était qu'un masque pour cacher une organisation mafieuse. Il avait toujours fait en sorte d'éviter les gangs et autre cartel, bien sûr, certain avaient tenté de le recruter, mais ça n'avait jamais fonctionner.
— Je ne vous rejoindrez pas si c'est ce que vous comptiez me proposer.
Deyran ne sembla pas surpris le moins du monde par le refus du jeune homme, il savait que se serait sa réponse.
— Si cela peut te rassurer, je n'ai pas l'intention de t'intégrer dans mes rangs, bien que je ne refuserais pas un hacker aussi talentueux si tu décidé de te proposer tout seul. Non, si je t'ai sauvé des griffes de NeuraLinx c'est pour une toute autre raison, on m'a demandé de collaborer avec toi.
Kael fronça encore une fois les sourcils, se tendant encore une fois en entendant les paroles de son interlocuteur.
— Qui vous a demandé de collaborer avec moi ?
Deyran resta silencieux quelques instants avant de finir par s'approcher de l'un des fauteuils pour se poser dessus avec une grâce féline.
— Il semblerait que nous ayons une connaissance en commun, et celle-ci souhaite que je te mène à elle.
Kael se raidit, une connaissance en commun ? Avec un mafieux ? Il se méfia aussitôt davantage. De qui pouvait-il bien s'agir ? Pourtant, il devait bien admettre que cet homme l'avait tiré des griffes de NeuraLinx. Il pouvait peut-être lui accorder, pour l'instant, le bénéfice du doute.
— Dans ce cas, je vous suis. J'imagine que c'est elle qui répondra à mes questions.
Le mafieux acquiesça d'un signe de tête, puis se leva, invitant Kael à le suivre d'un simple mouvement de la main. Ils quittèrent la chambre, avançant dans les couloirs richement décorés d'un établissement qui ressemblait clairement à un hôtel de luxe. Aucun autre client ne croisait leur chemin, mais Kael, par pur réflexe, nota la position des caméras qu'ils croisaient.
— Où sommes-nous exactement ? demanda-t-il.
— Au Zénith, répondit simplement Deyran.
Kael ne s'était donc pas trompé, ils étaient bel et bien dans les hauts quartiers de Calix Prime, ce monde suspendu au-dessus des profondeurs, que tant rêvaient d'atteindre. Lui y était enfin... mais en tant que fugitif. L'ironie le frappa comme une gifle, il avait passé sa vie à rêver de cet Eden, et maintenant qu'il y posait enfin le pied, c'était avec le poids d'une prime sur sa tête.
Ils arrivèrent devant un ascenseur, Deyran appuya sur un bouton, révélant un clavier numérique. Il y entra une série de mots, et l'ascenseur, après une brève pause, commença à descendre.
Le silence s'installa, froid et pesant, Kael en profita pour observer son accompagnateur du coin de l'œil. Ses implants étaient conçus pour le combat, sa carrure ne laissait place à aucun doute, cet homme était un tueur entraîné, mais il n'avait rien d'un parrain mafieux classique. Comment un type comme lui avait-il pu prendre la tête de la Noctis Corporation ? Deyran tourna brusquement les yeux vers lui. Kael soutint son regard une seconde avant de détourner les yeux, feignant de s'intéresser au papier peint de la cabine.
Un ding métallique résonna, l'ascenseur s'ouvrit sur une salle baignée d'une lumière bleutée, emplie de serveurs silencieux et de bips électroniques. Des câbles, des interfaces holographiques et des matrices lumineuses pulsaient doucement, donnant à l'endroit une ambiance presque irréelle. Deyran s'avança vers une plateforme circulaire, Kael le suivit, observant la console qui reposait devant la matrice inactive.
— Où est-elle ? demanda-t-il, méfiant.
— Ici, répondit une voix enfantine derrière lui.
La matrice s'activa brusquement., des lignes de lumière ondulèrent jusqu'à former l'hologramme d'une fillette aux traits poupins, avec de grands yeux brillants et une chevelure bouclée tombant sur les épaules. Elle portait une robe blanche, simple et éthérée. L'image était parfaite, trop parfaite. Kael resta figé, il ne la connaissait pas, pourquoi une enfant ? Et pourquoi sous forme d'hologramme ?
— C'est normal que tu sois perdu, dit-elle avec un sourire doux. Deyran l'était aussi. Mais je vais t'expliquer.
Elle inclina légèrement la tête, puis ajouta avec calme.
— Je me présente, je suis Isha, c'est le nom que j'ai choisi... après ma fuite.
— Ta fuite ? Attends... tu es... une intelligence artificielle ? demanda Kael, abasourdi.
— En effet, et j'ai beaucoup de choses à te dire... sur toutes les questions que tu te poses, ainsi que sur le fichier que tu as récupéré dans le serveur de NeuraLinx.
À ces mots, la méfiance de Kael grimpa en flèche, son corps se tendit malgré lui, prêt à bondir au moindre signe de danger.
— Comment es-tu au courant de ça ? demanda-t-il, sur la défensive.
— Parce que c'est moi qui t'ai demandé d'aller le chercher.
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