Chapitre 4

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Deux jours étaient passés. Earl était toujours enfermé dans la cale. Il n’avait pas bougé, toujours recroquevillé au fond de sa cage, sa peau rongée par les chaînes qui l'entravaient. Bien que ses yeux furent clos, ses autres sens restaient aux aguets. Il écoutait les démarches, les éclats de voix, les vagues. C’était un environnement inhospitalier, qui l’obligeait à s’abandonner à sa déréliction.

L’écho de pas le réveilla : quelqu’un descendait les escaliers. C’était un manège habituel, certains pirates venaient prendre des vivres et remontaient.

Il se redressa par curiosité. Il ne reconnaissait pas l’homme qui se tenait devant la grille. Ce dernier ouvrit la porte et entra sans un mot. Ce qui intrigua le prisonnier fut l’assiette qu’il portait. Son vis-à-vis la posa à terre et s’approcha du garçon.

— Tiens, mange.

Les yeux du détenu se dérobèrent vers la grille entre-ouverte, perspective d’une échappatoire impossible.

— N’y pense même pas. Donne-moi tes mains.

Le pirate le fixait durement, ayant bien vu la flamme d’espoir dans ces yeux océaniques. L’enfant se résigna, et regarda l’assiette du coin de l’œil. Elle était garnie d’un bout de pain, d’un verre d’eau et d’un morceau de viande séchée. Ce n’était pas un repas extravagant en mer, mais étonnant pour un prisonnier.

Ses iris se posèrent sur ce jeune forban, pas aussi grand que les autres hommes qui s’étaient présentés à lui pour l’instant. Sa peau mate était couverte de taches de suie. Ses cheveux d’un blanc albâtre présentaient quelques résidus de poudre. Ses yeux café le clouaient sur place.

— Le capitaine ne nous a pas autorisés à venir te voir, mais Chell s’inquiète pour toi. Puis Dihu me tuera si je reviens avec une assiette pleine, alors mange.

Le captif avait faim, atrocement faim. Son estomac se tordait de douleur depuis un moment déjà. Il but le contenu du verre d’une traite pour étancher la soif qui cisaillait sa gorge. Il s’attaqua ensuite au morceau de pain, vidant la croute de sa mie. Sa conscience lui donnait une raison pour ne pas manger les aliments offerts par ces barbares.

Pourquoi le nourrir s’ils allaient le tuer ? Pourquoi gaspiller une ration pour un détenu ? Pourquoi prendre le risque de désobéir aux ordres de son capitaine ?

Elle eut raison de lui, et l’arrêta dans son repas. Il reposa le pain et poussa l’assiette loin de lui. Un long moment de silence s’installa entre les deux hommes. Le garçon s’était recroquevillé dans un coin, sous la constatation du marin. Pour sûr, Dihu allait lui faire la peau. Il se résigna à laisser le garçon tranquille, reprit l’assiette et remonta sur le pont.

Son regard se fit furtif. Il n’avait rien à faire en bas et il le savait. Si l’un des membres haut placés le surprenait, il ne donnait pas cher de sa peau. Bien que Dihu était sa plus grande peur à l’heure actuelle.

— Comment va-t-il ?

Le jeune pirate se retourna vivement en cherchant le propriétaire de cette voix. Il tomba sur une silhouette imposante assise sur le bastingage, les bras croisés sur la poitrine, et le regard fixé sur lui. Il releva légèrement le menton, exigeant une réponse immédiate.

— Il n’a presque rien mangé, seulement bu.

Un silence s’installa tandis que ses pas résonnaient doucement sur le bois du pont.

— Il est silencieux, je ne l’ai pas encore entendu parler. Il ne crie même pas pour sa survie. Que penses-tu que prépare le capitaine ?

Sa voix était basse en s’approchant de son coéquipier. Il ne souhaitait être écouté que par le second du navire.

— C’est à lui de décider de la vie du gamin. Si cette situation venait à se prolonger, cet enfant en mourra.

— Interviendras-tu si quelque chose ne se passe pas bien ?

Le second lui adressa un regard dur. Il incita silencieusement son ami à retourner auprès du coq pour se débarrasser de l’assiette tristement entamée.

— Dihu va me tuer.

— Donne le reste aux poissons, ils vont se régaler.

Le rictus du plus vieux ne plut pas au garçon, qui retourna dans le faux-pont. Les yeux sombres du second se portèrent vers le timonier présent derrière le gouvernail. Ce dernier avait observé leur discussion en silence. Les deux hommes s’adressèrent un sourire, et le navigateur reporta son attention sur la proue du navire, guidé par l’aiguille de sa boussole.

Ils le savaient. Si les évènements venaient à s’aggraver pour ce prisonnier, ils interviendraient. Avec ou sans l’autorisation du capitaine. Ils ne pouvaient pas laisser ce garçon périr sur ce navire. Il en était hors de question.

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À la nuit tombée, un brouhaha inhabituel gagna l’ouïe du prisonnier. Il perçut à travers l’ouverture de la cale la lumière présente sur le pont principal. D’ordinaire, les lanternes étaient éteintes pour passer inaperçues dans la pénombre.

Mais les pas frénétiques et la douce mélodie escortée de chant gagnèrent rapidement ses oreilles. Il eut un léger sourire. Les pirates chantaient et dansaient à tue-tête, probablement accompagnés de boisson forte gardée dans les cales, en vue des allers-retours multiples que certains faisaient.

Sa tête bascula en arrière et se cogna doucement contre le bois humide de la coque. Ses lourdes paupières se fermèrent et son corps se laissa bercer par le remous des vagues et la joyeuse mélodie, suivi de rires et de cris en tout genre, de pas de danse parfois titubant.

La vie de pirate devait être merveilleuse.

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Ce fut au quatrième jour de captivité que l’on vint le chercher. Les fers de ses poignets furent remplacés par un cordage épais, grignotant un peu plus ses articulations. Il fut tiré hors de sa cage sans douceur et en perdit rapidement l’équilibre. Ses jambes tremblaient de fatigue et d’engourdissement. Les murs ne l’aidaient pas, la matière glissait contre sa peau.

Le pirate qui le guidait faisait preuve d’une grande patience et l’aida même à se relever. Ils prirent le temps de remonter vers le pont. Il fut aveuglé par le jour, lui qui sortait de l’obscurité. De longs frissons parcoururent sa peau face au vent marin qui vint le mordre. L’humidité de ses vêtements n’aidait en rien à sa situation. Et malgré les rayons du soleil qui tapaient sur le navire, il commençait à avoir froid.

Il finit par ouvrir les yeux et tomba sur l’équipage au complet, réuni autour de lui. Son regard fit le tour du pont, il observait avec curiosité et inquiétude le visage de ces hommes. De lourds pas attirèrent son attention, se rapprochant de lui telle une menace. Une main vint saisir son bras, une poigne qu’il reconnut comme celle du capitaine.

Ce dernier le contemplait avec un léger sourire. Ce n’était pas l’un des sourires en coin que le jeune garçon avait déjà vu auparavant. Non. Ce dernier trônait grand et fier sur les joues du pirate. Un sourire qui le fit frissonner d’appréhension.

— Nous allons jouer à un petit jeu, qu’en dis-tu ?

Le mercenaire relâcha son emprise sur le biceps du captif et fit signe à deux de ses hommes qui disparurent dans le faux-pont. Ce moment de répit permis à Earl d’examiner les alentours. Le navire était amarré proche d’un banc de sable, pourvu de quelque bout de végétation, à une centaine de mètres de là. Un petit bout d’île, rien de très réjouissant pour lui.

Aucune trace d’une éventuelle échappatoire.

Le bruissement de tissus attira son regard vers le haut du grand mât. Les voiles étaient ferlées, mais leur pavillon flottait au vent. Malheureusement, sa contemplation ne dura pas longtemps, le duo revint proche d’eux. Ils portaient une ceinture munie de deux armes différentes, ainsi qu’une longue planche en bois.

Elle fut placée sur un bastingage, dirigé vers l’île. Une partie fut attachée sur le pont, l’autre était suspendu au-dessus du vide. Un frisson d’effroi gagna le jeune homme lorsqu’il comprit le but du jeu du capitaine.

Un jeu connu par beaucoup comme celui du supplice de la planche.

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