Chapitre 18

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Se réveiller aux aurores ne fut pas compliqué pour Earl. Il était même debout bien avant les premiers rayons du jour. Dormir aux côtés du capitaine l’avait rassuré et mis mal à l’aise en même temps. Il voyait ce pirate comme une figure presque paternelle, là pour le protéger du monde qui lui était inconnu. Mais leur relation n’était pas encore assez fusionnelle pour le considérer vraiment comme un père. Peut-être comme un grand frère sur qui compter, ou un très bon ami qui vous tend la main dans les moments difficiles. Il ne savait pas.

Il y a bien une chose qu’il savait en revanche, c’était la rapidité qu’avait Arawn pour se faufiler à travers la foule de Thorrak le matin. Le garçon fut même surpris de voir autant de monde de si bon matin. Il pensait que les soirées alcoolisées et mouvementées pousseraient certains à dormir jusqu’au zénith, mais il semblait s’être trompé.

Les deux hommes vagabondaient de rue en rue, le plus jeune suivait la piste du pirate sans connaitre leur destination. Ce ne fut qu’à la sortie de la ville qu’il comprit où ils allaient. Une vieille bâtisse, une taverne à l’écart de l’agitation du port, portant le nom du Cardinal.

Le cardinal, comme Arawn pensa Earl en ralentissant à l’entrée du bâtiment. Les yeux levés vers l’enseigne, il observait l’écriture graver au fer rouge dans le bois. Il devina la raison de ce nom et pour quoi le capitaine était venu ici en premier. D’autres cardinaux ou pirates de renoms devaient se donner rendez-vous ici, dans la plus grande des transparences pour ceux qui ne connaissaient pas ce terme.

En entrant, il fut surpris du peu de clients présent. À vrai dire, il n’y en avait que trois, plus lui et le capitaine. Deux d’entre eux étaient attablés dans un coin, pinte en main ; le troisième se tenait assis au comptoir, discutant avec le tavernier. Arawn s’en alla naturellement vers le dernier et s’installa à ses côtés, attirant Earl à sa suite.

— Ça alors ! s’exclama l’inconnu en lançant un regard au capitaine du Phoenix, ça fait un bail yet ! Quel bon vent amène le phénix jusqu’ici !

Earl le dévisagea un instant. Son accent l’interpella en premier, son physique en second : il était de taille moyenne et devait avoir environ la trentaine, sa peau métissée était recouverte d’étrange tâche sombre, dont une en particulier placer sur son visage faisait presque office de masque, comme un raton laveur.

— Heureux de te revoir ici Kepri, répondit Arawn en demandant au tavernier deux verres.

— Je pensais que tu naviguais vers Corak, qu’est-ce que fais plus à l’Est ?

— Disons que j’ai rencontré quelques imprévues sur le chemin.

Le dénommé Kepri se recula de son tabouret pour observer le garçon assis de l’autre côté du phénix. Il l’examina un instant avant de revenir à sa conversation.

— C’est lui l’imprévu en question ? dit-il en désignant Earl

— Ont peux dire ça.

— Tu sais que sa tête est mise à prix au moins ?

Le concerné ouvrit grands les yeux en prenant son verre. Le gouvernement avait vraiment mis un avis de recherche sur sa personne. Ses mains se resserrèrent, les doigts crispés, la respiration presque interrompue, attendant la suite des informations fournies par l’inconnu.

— De combien ?

— Dix-mille. Et ça ne cesse d’augmenter de jour en jour.

— Tu sais si certains s’y sont intéressés ?

— Tout le monde s’intéresse aux affiches avec une récompense pareille Arawn, et certains se sont déjà mis en route.

La mâchoire du capitaine se contracta à cette nouvelle. Il savait que certains de ses frères de côtes n’hésiteraient pas à se battre pour une récompense qui leur permettrait de vivre librement jusqu’à la fin de leurs jours. Tandis que le phénix était plongé dans ses réflexions, Kepri se pencha en arrière pour entamer la discussion avec le protégé de son vis-à-vis.

— Enchanté gamin yet. Si t’as bien suivi, moi c’est Kepri.

— Mais son surnom est Wet Raccoon, l’interrompe Arawn en buvant une gorgée de sa boisson.

— T’as des oreilles partout, yet.

— Toujours lorsqu’on s’adresse à un membre de mon équipage.

— Oh je vois, ce garçon a donc rejoint tes rangs. Tu l’y as forcé ou c’est de son plein gré ?

Les iris sombres d’Arawn s’abattirent sur son frère de côtes, qui abandonna le sujet.

— Bon, quelle autre information te ferait plaisir, mon cher ami, yet ?

— Sais-tu où vogue le Kingston ?

— Elle doit être sur les mers du Nord en ce moment.

— Et le Mary ?

— Aucune idée. Je n’ai pas eu de nouvelle d’Ambroise depuis plusieurs mois.

Les deux hommes continuèrent leur discussion alors qu’Earl les écoutait calmement et attentivement. Il enregistrait les informations qui étaient énoncées, les noms de navires ou de capitaine et les positions. Il avait déjà entendu parler du Kingston et du Silent Mary par Meribi, mais n’en savais pas plus à leurs sujets.

Un brouhaha à l’extérieur de la taverne attira immédiatement son attention, car il reconnut la voix de Iter et Mannly parmi celles d’inconnu. Arawn sembla les reconnaitre également. Il se leva et se mit entre la porte et son protégé, au moment où cette dernière s’ouvrit dans un fracas. Mannly se retrouva à terre, le visage couvert de sang, tandis qu’un groupe d’homme entra dans la taverne. Iter était retenu sous le bras d’un inconnu, salement amoché lui aussi.

— Alors, il est ou votre soi-disant capitaine, hein ?!

Un imposant homme se présenta devant son groupe et posa son pied sur le ventre de Mannly avec force, faisant gindre ce dernier de douleur.

— J’vois pas d’capitaine ici mon gars, rien qu’des guignoles.

— C’est que vous êtes aveugle, grimaça le gabier.

L’inconnu scanna la salle et s’arrêta sur le trio au comptoir. Il ricana, délaissa sa victime au sol et s’approcha des deux pirates et du garçon.

— C’est l’un d’vous l’capitaine d’ces imbéciles ?

— Il y a un problème avec mes hommes ? rétorqua Arawn d’une voix lugubre.

— Ah ! C’est qu’il nous avait pas menti le bougre ! « Mon capitaine est un homme d’honneur et de renom, vous ne devriez pas nous chercher d’ennui si vous ne voulez pas finir au fumier », quelle blague !

Arawn lança un regard à ses hommes mal en point et compris qu’ils n’avaient cherchés qu’à intimider ces fauteurs de trouble, afin d’éviter les ennuie et une éventuelle bagarre. Il faut dire que ça ne semblait pas avoir fonctionné.

— Je repose une seconde fois ma question : y a-t-il un problème avec mes hommes ?

— Ouais y’en a un. Ces fils d’putains nous ont emmerdés p’dant une bonne partie d’carte, et nous ont fait perdre un bon pactole.

— Vous ne faisiez que tricher ! s’exclama Iter avant de recevoir un coup dans le ventre.

— Toi la ferme ! C’est à ton capitaine que j’cause.

L’inconnu se retourna vers le phénix et l’examina de plus près.

— Vu qu’t’es hommes nous ont fait perdre, ça va être à toi d’nous rembourser.

— C’est n’importe quoi, retentit la voix d’Earl à leurs côtés.

Les yeux des gabiers se révulsèrent tandis que ceux du capitaine s’agrandirent avec surprise. L’étranger se tourna vers le garçon, qui se tenait droit sur sa chaise, sans une once d’hésitation.

— Qu’est-ce t’a dit gamin ?

— Si vous avez triché, le capitaine n’a pas à vous rembourser quoi que ce soit.

— Et en quoi ça t’concerne, hein ?

Le ton du pirate s’était élevé, mais cela ne semblait pas intimider Earl. De plus près, il pouvait sentir l’odeur répugnante de l’alcool émaner du corps entier de cet homme. C’est ce qui le dégouta le plus. L’ivrogne quant à lui étudia son interlocuteur avant de reculer.

— Eh mais, ce s’rait pas l’gamin de l’affiche ça les gars ?

L’annonce qu’il venait de faire glaça les membres du Phoenix, gabier comme capitaine. Même Kepri se tendit face à cette remarque.

— Mais ouais, c’est bien lui, dit-il en s’approchant un peu plus d’Earl. Ça nous f’rait un bon paquet d’or si ont l’ramenais aux autorités, hein les gars ?

Ses hommes ricanèrent et relâchèrent Iter qui tomba à terre à son tour.

— Tu vois, tu vas v’nir sagement avec nous, comme ça ton cap’taine n’aura plus rien à nous rembourser.

— Vous pouvez toujours rêver.

Earl s’était levé de son tabouret et se tenait droit devant l’étranger, les sourcils froncés et le regard déterminé à ne pas se laisser faire par ces ivrognes.

— T’a pas compris mon p’tit, t’a pas l’choix en fait !

L’inconnu se jeta sur le jeune homme. Mais Earl n’était pas dupe, et ne se laisserait jamais faire face à des déchets pareils. Il ne se battit pas, il esquiva simplement le coup en se décalant sur le côté. L’ivrogne se mangea le comptoir en pleine mâchoire, ce qui eut pour effet de le sonner un peu puisqu’il tomba à terre et ne bougea pas.

Arawn vue surprit de la soudaine confiance en soi qu’avait Earl. Mais il n’eut pas le temps de méditer sur le sujet, car les membres de l’équipage de l’inconnu se jetèrent sur eux en hurlant comme des chiens affamés.

Le jeune homme parvint à en éviter certains, mais il fut pris de court dans un coin, piégé par deux d’entre eux. Il se débattit en criant, attirant l’attention du tavernier qui vint lui donner un coup de main. Sorti du piège, Earl ne savait pas où se mettre. Jusqu’à ce qu’un bras se glisse autour de sa taille et ne l’attire en arrière.

Il ne s’en inquiéta pas. Il reconnut immédiatement la poigne ferme du phénix sur sa peau, une étreinte pour le protéger du conflit. Il put alors observer à l’écart Kepri et le tavernier rendre des comptes aux ivrognes. Cette bagarre ne dura pas longtemps, disons quelques minutes à peine. Certains hommes ne tenaient presque plus debout à cause de l’emprise de l’alcool sur leurs corps, ce qui facilita les choses pour le Raccoon.

— Et voilà, terminé, yet.

— Iter, Mannly, vous allez bien ? demanda leur capitaine.

— Tout va bien, on a connu pire.

Les gabiers se redressèrent avec quelques difficultés. Le tavernier vint leur apporter des chaises pour qu’ils puissent s’y poser.

— Ne vous avais-je pas demandé de rester discret ? Continua Arawn en soupira.

— Nous l’avons été. Ce sont des ivrognes qui sont venus chercher des ennuis, expliqua Iter en grimaçant, essayant de faire cesser le saignement de son nez.

Earl se retourna vers le comptoir, prit quelques chiffons et alla les porter au visage du gabier. Il enroula l’un des tissus pour le faire rentrer dans la narine du marin.

— Garde ta tête penchée en avant, ça finira par s’arrêter, dit-il en souriant.

— Tu sais que tu as été imprudent à leur tenir tête ainsi ?

— Je n’allais pas les laisser nous manquer de respect.

Nous. Une nouvelle fois. Ce fut Arawn qui le souligna silencieusement. Earl avait déjà utilisé ce terme avec Meribi, maintenant avec eux. Le garçon semblait s’être fait une place et l’avoir accepté.

— Merci pour ton coup de main Kepri, Roxane aussi.

— Ne t’en fais pas, ce n’est pas la première fois que j’aide tes hommes à se sortir de situations compliquées, répondit le tavernier dans un sourire. Mais il a raison jeune homme, ta tête est déjà mise à prix, tu ne devrais pas te faire remarquer de la sorte, continua-t-il en regardant le nouveau mousse.

Le concerné ne répondit rien, comprenant son erreur.

— Surtout avec Manles à vos trousses.

— Comment ça ?!

Iter et Mannly n’avaient rien dit, mais leur capitaine semblait surpris et inquiet à la mention de cet homme.

— Explique-toi Roxane.

— Il est venu ici il y a déjà quelques jours. Le bruit courait qu’un bâtiment de l’armée royale avait été attaqué par un cardinal et qu’il avait dérobé un bien du gouvernement. Quelques jours plus tard, les avis de recherche sont apparus dans les rues de certaines villes. Manles s’y ai immédiatement intéressé. Il est resté de nombreux jours dans ma taverne, questionnant les marins et nos frères de côtes pour avoir des renseignements.

— Est-ce qu’il est encore ici ?

— Il a quitté Thorrak il y a une semaine. Mais vous ne devriez pas rester ici trop longtemps Arawn, la vie de ce gamin est en jeu.

Le tavernier désigna Earl du doigt, l’inquiétude se lisait dans ses yeux et dans sa voix.

— Allons retrouver le reste de l’équipage alors.

Arawn s’approcha de son protégé pour lui passer un bandana autour de la tête, recouvrant ses cheveux, l’arrêtant au milieu de son front. Il l’observa un instant, avant de se résigner et d’abaisser l’un des bords du tissu pour recouvrir l’œil gauche.

— Pourquoi ?

— Pour que ce soit plus difficile de te reconnaitre.

Le jeune homme ne posa pas plus de questions et suivit le groupe en dehors de la taverne, saluant une dernière fois Roxane avant qu’il ne disparaisse derrière la porte de son enseigne. Marchand à vive allure dans les rues, le petit groupe esquiva les quelques ivrognes qui cherchaient des règlements de compte dans certains recoins.

Arawn savait où retrouver une partie de ses hommes. L’arsenal leur fournirait de quoi réparer le beaupré du Phoenix. Une partie de son équipage devait se trouver là-bas ; le reste devait être resté à la Taverne du Loup.

— Au fait Kepri, as-tu enfin trouvé ton rhum ?

— Hélas non, je vais finir par croire que ce n’est qu’un mirage…

— Vous cherchez un rhum ? demande Earl dans leurs dos.

— Oula, tutoie-moi gamin, yet ? J’suis pas encore assez vieux pour qu’on me vouvoie, rigola Kepri.

— Pardon…

— T’excuse pas voyons ! Eh faut t’détendre, j’vais pas te manger.

— Donc tu cherches du rhum, reprend Earl en souriant.

Yet, un rhum mythique ! J’en ai trouvé une bouteille après l’incendie de ma maison. J’ai même gardé l’étiquette !

Il sortit ledit papier et le montra au garçon.

— « Les larmes de Scylla » ? C’est un alcool si rare que ça ?

— Oh que oui ! J’en ai jamais revu, et personne n’en a jamais entendu parler.

— C’est une obsession chez lui, ricana Iter.

— Tous les pirates ont une obsession mon gars, une quête à suivre jusqu’à la mort ! s’emporta Kepri en bousculant amicalement le gabier.

— Même vous ? demanda Earl en regardant le phénix.

Le capitaine ne répondit pas, ce qui n’étonna pas Earl.

— Tu ne connais pas la quête du phénix ? questionna le Raccoon, s’attirant immédiatement les foudres du concerné.

— Non, tu les connais ?

— Earl, Kepri, ce sera mon seul avertissement, retentit la voix du capitaine.

— Tu sais que je ne crains pas tes menaces Arawn. Ton protégé peut-être, mais pas moi. L’obsession du phénix concerne un trésor appartenant à deux anciens pirates réputés de Manhal : le capitaine Jackcome et son acolyte Trimac.

— Ces noms ne me disent rien.

— C’est normal, peu de gens les connaissent sous leurs vrais noms. Ils sont surtout connus sous les pseudonymes des Milans royaux.

— Les pilleurs de Nelak !

— Exactement ! s’exclama Kepri, heureux de voir que le jeune homme les connaît. Et bien ces deux pirates ont réussi à mettre la main sur un objet d’une valeur rarissime qui, selon les légendes, renfermerait le contrôle absolu sur les océans de Manhal ainsi que les créatures mythiques qui y sont liées, comme sirènes, les monstres marins ou les—

— —Mannred.

Le silence prit place entre les deux hommes. La joie dans la voix d’Earl s’était transformée en de l’appréhension. Son regard s’était tourné au fil des mots vers le capitaine du Phoenix.

— Et quel est cet objet en particulier ? demanda-t-il sans pour autant quitter le visage d’Arawn des yeux.

— Une perle, aussi noire que l’encre qui tache le corps des enfants de l’océan.

L’enfant et le pirate se fixèrent sans dire un mot. Les gabiers et le raccoon furent les seuls spectateurs du doute qui s’était formé dans les yeux du garçon et l’appréhension dans ceux du capitaine.

— Vous aviez dit que vous ne m’utiliseriez pas, souffla Earl en serrant les poings.

— Et c’est toujours le cas.

— Même avec cette quête personnelle ?

Le phénix s’approcha d’un pas, mais son protégé en fit deux en arrière. La confusion se lisait sur le visage des gabiers qui ne comprenait pas vraiment le sens que cette conversation. Mais l’intervention de Kepri fit prendre une autre tournure à la discussion.

— Attendez… S’en ai un ? demanda-t-il en désignant Earl du menton. C’est un Mannred ?

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