Chapitre 29

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Deux matins s’étaient levés et trois couchers de soleil avaient sublimé l’horizon. La journée, l’équipage s’occupait des réparations du navire et de son amélioration, tandis que d’autres aidaient les villageois à la chasse ou la pêche. Les plus jeunes restaient fascinés par l’agilité des gabiers qui se promenait de vergue en vergue, grimpant sur les haubans et redescendant à l’aide des balancines.

Le soir, tous se rassemblaient dans la taverne autour d’une grande table ou un buffet à volonté leur était servi. C’était donnant-donnant : ils aidaient à la vie sur l’île et étaient récompensés en conséquence. Les hommes du phénix possédaient des connaissances que les Mannred n’avaient pas, il était tout à fait normal pour eux de les partager.

La nuit, le capitaine écoutait les essoufflements de son protégé. Ce dernier restait à l’écart du groupe depuis son premier entrainement avec son mentor. Il consacrait la quasi-totalité de son temps à s’entrainer dans la maitrise de ses pouvoirs. Arawn ne pouvait rien dire, il l’avait conduit ici pour ça.

— Capitaine, vous devriez venir avec les autres. Ne restez pas dans votre coin.

Syllas vint le rejoindre sur la terrasse de la taverne, deux pintes en main. Son supérieur lui sourit avant de boire une gorgée de la boisson apportée. Il était resté assis sur balustrade à observer le gamin sur la plage. Le quartier-maitre s’installa à ses côtés et soupira.

— Il devrait se reposer.

— Il n’en a surement pas envie. Il n’arrête pas, du lever au coucher du soleil, et même tard dans la nuit.

— Ce n’est sans doute pas ce qu’il y a de meilleur pour lui.

— En effet.

Des pas résonnèrent sur le plancher et Ferum fit son apparition. Ses vêtements étaient mal arrangés, ses cheveux blonds en pagaille comme de la paille fraichement défaite. Un bâillement lui échappa même lorsqu’il s’arrêta proche de ses supérieurs.

— Que vous êtes matinale…

— Tu n’avais qu’à continuer de dormir, crétin.

— Le crétin fait ce qu’il veut. Je voulais savoir comment s’en sortait le p’tit.

— Bien, comme tu peux le constater.

Les trois hommes lancèrent un lointain regard vers le garçon au moment même où ce dernier perdit le contrôle de ses pouvoirs et se fit submerger par une vague. Trempé de la tête au pied, il abaissa les bras le long de son corps.

— Ouep, bien, comme je peux le voir.

Un ricanement de la part du subrécargue agaça le capitaine.

— Arrête donc de te faire du sang d’encre pour lui, il est grand, il peut se débrouiller tout seul.

— Je ne pense pas t’avoir sonné, Ferum.

— Doucement capitaine, je ne compte pas faire face à votre fureur. Mais Earl a bien appris depuis qu’il est arrivé dans l’équipage. On l’a tous remarqué, il arrive à apprendre plus vite que n’importe qui à bord. Faites-lui confiance.

Confiance. Une chose rare que le capitaine ne donnait pas si facilement, et ses hommes le savaient. La loyauté était un atout important dans un équipage, chacun devait avoir foi en son prochain les yeux fermés. Le gamin était nouveau et imprévisible dans ses actes, le capitaine ne parvenait pas encore à lire en lui comme pour ses hommes.

— Ce pourrait-il que vous vous fassiez de mouron pour lui pour que pour nous ?

— Je n’ai pas de préféré.

— Tu es sûre de toi ?

L’intervention de Syllas l’interpella dans sa conversation avec Ferum.

— Qu’est-ce que tu insinues ?

— Earl est le petit fils de Wig, nous l’avons compris, mais il est également le fils de Sibel. Bien que peu d’entre-nous l’ai connu, certains se souviennent du lien fort qui vous liait.

Arawn ne rajouta rien. Son quartier-maître avait raison. Seulement les hauts gradés avaient connu cette jeune femme pleine d’énergie. La même énergie qui débordait dans le corps de ce gamin étrange.

— Donc-

— Tu feras mieux de ne pas en rajouter Ferum, l’avertit le capitaine. Earl est sous ma protection pour une raison et chacun d’entre vous est prié de le protéger également. Ce n’est ni du favoritisme ni de l’amour.

— Vous vous mentez à vous-même capitaine.

Le subrécargue disparut dans la bâtisse comme s’il n’était jamais venu. Le phénix soupira en se laissant tomber sur le reste de la rambarde, faisait chuter son verre de rhum par la même occasion. Cette réaction surprit Syllas ; jamais il n’avait vu Arawn dans cet état-là.

— Ferum à sans doute raison, en conclut-il.

— C’est-à-dire ?

— Tu te mens en affirmant que tu ne l’apprécies pas plus que ça. C’est écrit dans ton regard. Ce môme est plus important que quiconque sur ces eaux, et il me semble que c’est réciproque.

Le quartier-maître abandonna son capitaine dans un sourire. L’homme continua de contempler son protégé sur le sable fin avant de quitter la terrasse à son tour, emporter par la fatigue.

Earl poursuivit ses efforts jusqu’à l’épuisement. Wig avait rejoint le manoir et les derniers villageois encore debout venaient d’éteindre les lumières de leurs logis. Il abandonna et s’effondra sur la plage. Ses membres étaient engourdis par le harassement, sa tête le lançait et ses yeux le piquaient, il arrivait à peine à bouger le bout de ses doigts.

— C’est plus difficile que prévu…

Évidemment, tu t’attendais à quoi, imbécile. Il soupira et se redressa pour faire face à la sortie de la baie. L’horizon semblait lui tendre les bras tandis que les vagues s’échouaient à ses pieds, les cris des oiseaux avaient été remplacés par le clapotis de l’eau.

— Bon… Arriver à contrôler l’eau, ce n’est pas facile. Mais pas impossible vue que j’ai réussie. Il faut que j’arrive à visualiser l’équipage en danger constant pour y arriver.

Alors qu’il s’apprêtait à se relever, il reçut un coup violent sur le dessus de la tête, lui faisant lâcher une plainte bruyante. Légèrement recroquevillé, il regarda l’objet qui venait de tomber devant lui. Une noix de coco ? Il se retourna et examina les environs. Il discerna une silhouette dissimulée dans la végétation, une silhouette presque humaine.

— Un Cangra ?

L’inconnu sortit de sa cachette lorsqu’il remarqua l’attention poser sur lui. La lune reflétait subtilement la peau dorée de l’individu, et ses longs membres intriguèrent de plus belle le garçon. Ce dernier prit la noix de coco en main et la montra à son vis-à-vis.

— C’est toi qui m’as jeté ça ?

L’hybride hocha la tête.

— Pourquoi ? Je t’ai fait quelque chose ?

Il secoua la tête en signe de négation, puis fit signe au Mannred de le suivre.

— Quoi ? Eh, attends !

Earl s’élança à sa poursuite. Il court super vite ! Après tout, ses jambes le lui permettaient, mais ça ne découragea pas le garçon qui prit le même chemin que son guide. Les deux garçons quittèrent la plage pour se plonger dans la jungle, esquivant les branches et racines qui leur barraient la route. Puis grimpèrent quelques rochers et parois escarpés.

Bien que le Cangra prit de l’avance, il s’arrêtait quelques instants pour vérifier sur le garçon continuait à le suivre. Il sembla parfois surpris de voir cet humain réussir à le suivre même sur un terrain accidenté.

Le garçon gravit avec plus de difficulté le flan rocheux qu’avait emprunté l’hybride, ses mains peinaient à trouver une prise et ses pieds glissait à cause de l’humidité. Alors qu’il poussait sur ses jambes pour atteindre une partie de l’escarpement, sa semelle ripa et il se sentit tomber dans le vide. La sensation qui envahit son corps ne dura qu’une fraction de seconde avant qu’on saisisse sa main.

Le Cangra s’était accroché à la paroi avec ses pattes et tenait fermement le poignet de son vis-à-vis. Suspendu au-dessus du sol, Earl ne fit pas le fier et quémanda à ce qu’on le remonte. Ils grimpèrent le reste côte à côte et arrivèrent au sommet.

— Mon Dieu, j’ai eu peur…

Le Mannred se retrouva allongé sur le dos comme une étoile, le souffle saccadé et les mains tremblantes. Ce serait mentir s’il disait qu’il n’avait pas eu peur, et il devait sa vie à cet inconnu.

— Merci.

— De rien.

— Oh, mais tu parles !

La créature hocha la tête.

— Commençons par une présentation si tu veux bien, au moins que je connaisse ton nom. Moi c’est Earl.

— Raja.

— Enchanté. Bien maintenant, tu peux m’expliquer pourquoi tu m’as fait grimper jusqu’ici ?

— Parce que tu t’y prenais mal.

Le concerné leva un sourcil, n’ayant pas bien saisi le sens de la phrase.

— Tu n’arrives pas à contrôler tes pouvoirs, n’est-ce pas ?

— Exact.

— Sur quoi te concentres-tu pour réussir ?

— Sur l’équipage du phénix et le danger qui nous guette.

— Donc tu t’y prends mal.

L’hybride reprit sa route à travers la végétation et son interlocuteur n’eut d’autres choix que de le suivre. Il ne leur fallut que quelques minutes avant de s’arrêter devant un lac. Earl fut surpris de voir cette étendue d’eau en amont de l’île, il s’attendait plus à en voir proche de la mer.

— Ce n’est pas qu’un simple lac. C’est ce qui nous unit avec l’océan.

— C’est-à-dire ?

— Il est dit qu’à l’arrivée du Black Swan sur cette île, nous avons découvert que cet endroit regorgeait de magie. Je ne sais pas vraiment comment l’expliquer, mais lorsque tu entres dans cette eau, un changement s’établit en toi.

— Mais bien sûr.

Aucunement convaincu, Earl se retourna pour retourner au village, mais Raja l’en empêcha en le saisissant par le bras.

— Je ne peux rien te prouver, mais si tu veux pouvoir comprendre comment correctement contrôler tes pouvoirs, fais-moi confiance.

Les deux garçons se firent face et s’observèrent. Faire confiance.

— Tu veux que je me jette à l’eau, c’est ça ?

— C’est le seul moyen pour apprendre.

— Tu y es déjà allé ?

— Je n’en ai jamais eu besoin.

Un soupire s’échappa des lèvres du Mannred. Il s’approcha du rebord du lac et se déchaussa. Il ne garda que son bas et sa chemise, lança un regard vers Raja et décida de le taquiner.

— Si jamais ça foire, ramène au moins ma dépouille à mon capitaine.

— Il ne t’arrivera rien.

Le garçon sourit puis entra dans l’eau, sa peau fut parcourue de frisson au contact froid du liquide. Il avança lentement jusqu’au centre du plan d’eau et finit par nager lorsqu’il n’eut plus pied. Il s’immobilisa après quelques minutes et attendit que quelque chose se produise. Il fut curieux de savoir ce qu’il pouvait se cacher au fond de ce lac, il décida donc de plonger sa tête à travers la surface et d’ouvrir les yeux. Mais il ne vit rien, juste l’obscurité.

Déçu, il reprit son souffle et se mit sur le dos. Flottant en étoile à la surface, il contempla le ciel étoilé. La voute céleste était majestueuse, le gamin se surprit même de ne jamais avoir pu l’observer ainsi à bord du Phoenix. Pourtant, être en mer permettant d’avoir d’innombrables avantages.

De longues minutes passèrent sans que rien ne se passe. Pourtant, il ne perdit pas patience. Il se sentait apaisé ici, les oreilles plonger dans l’eau, il n’entendit plus rien. Ni le souffle du vent dans les feuillages, ni le chant des oiseaux nocturnes, ni le clapotis des vagues au loin. C’est comme s’il était coupé du reste du monde.

Il n’avait pas ressenti un calme intérieur comme celui-ci depuis des années. Il finit par fermer les yeux et se concentra sur sa respiration qui résonnait dans ses oreilles. Sans qu’il ne s’en rende compte, la magie opéra autour de lui.

Les étoiles se décrochèrent du ciel et se laissèrent tomber dans l’eau, illuminant le lac de mille couleurs. Le corps du garçon fut peu à peu englouti sans qu’il ne fasse le moindre mouvement. Il sombra à travers les pierres précieuses qui jonchaient les parois du plan d’eau.


Il se réveilla. Assis sur le sable, il constata l’étendue d’eau qui l’entourait. Peu profonde, il put facilement se relever, l’eau ne lui arrivait qu’aux chevilles. Il marcha, encore et encore, sans rien atteindre. C’était un espace vide, sans navire, villages ou personnes. Rien.

Il n’y avait que lui, le sable, l’eau et l’horizon. Le reste avait été effacé. Pourtant, il ne ressentit aucun vide intérieur, aucune crainte et panique face à la situation. Il sentait qu’il devait continuer d’avancer. Vers quoi ? Il ne savait pas.

Des secondes, des minutes, des heures étaient passées. Et il continuait de marcher. Sans perdre espoir, il finit par apercevoir quelque chose au loin. Une minuscule masse qui grossissait au fur et à mesure qu’il s’approchait.

À deux mètres, il s’arrêta. Un sourire germa sur son visage quand il contempla l’oiseau qui lui faisait face. Ce dernier l’examina longuement, puis déploya ses grandes ailes dans un cri aigu. Ses plumes s’embrassèrent et ce monde prit fin.

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