Chapitre 33

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Une masse immense sortit de l’ombre, son envergure paralysa le jeune homme. Il n’avait vu ce genre de galion que dans le port de Nelak et Dakroa ; des vaisseaux de guerre armée pour décimer toute une flotte. Une seconde détonation plus aigüe résonna dans l’air. Son regard se porta sur Liham qui s’affolait dans le nid de poule, avant de prononcer ces deux mots qui ne présageaient rien de bon :

— Boulet chaîné !

Le bois craqua tandis que le grand mât penchait dangereusement à tribord. Earl contempla dans l’impuissance la chute de la mâture, entrainant avec lui la vigie et les gabiers qui se tenaient sur les vergues. Il se précipita vers le bastingage, ne voyant que des masses plonger dans l’eau et attendit de voir s’ils remontaient à la surface. Mais son attention fut immédiatement captée par le bruit assourdissant des canons adverses. La coque du brick fut transpercée par des boules de feu, le pont fissuré était devenu dangereux.

Leurs ennemis entamaient une manœuvre de rapprochement que le capitaine du Phoenix se devait de parer. En haut de la dunette, Helm savait ce qu’il avait à faire, Arawn n’eut rien à lui dire. Ses ordres allèrent directement au reste de son équipage.

— Carguer les voiles restantes ! On barre le T, on monte au vent en perdant le moins de vitesse ! Que les canonniers préparent les pièces de travers !

— Et pour les hommes à la mer, capitaine ? s’écria Ferum dans la panique.

— Ils savent quoi faire.

L’équipage s’affola à contre-attaquer. Alors que l’attention du capitaine était trop focalisée sur leurs rivaux, Earl se faufila sous le pont pour aider les canonniers à préparer la riposte.

— Qu’est-ce que tu fous là gamin ?!

Sa présence ne semblait pas être appréciée par Wynric, mais il n’avait pas le choix. Le garçon avait choisi de se battre à leur côté, et il ne pouvait pas le lui reprocher.

— Je viens vous aider. Dites-moi quoi faire.

Hésitant, le canonnier en chef finit par obtempérer.

— Va aider Meribi à mettre la poudre dans les canons, au pas de course !

Il ne lui fallut pas plus de cinq secondes pour préparer la poudre en question et l’apporter au second canonnier du navire. Il pouvait sentir le navire glisser à vive allure sur l’eau malgré la perte du mât principale. Leur vitesse n’égalerait certainement pas celle du galion adverse, mais la petite taille du Phoenix lui permettait d’être plus maniable et rapide, et l’environnement qui les entourait leur permettait de se mettre à l’abri des tirs un court instant en se cachant derrière les îlots.

Lorsque les canons furent tous prêts, Syllas descendit à mi-chemin dans l’escalier, le regard oscillant entre l’accès aux canons et le pont, attendant le signal du capitaine. Meribi se plaça à côté de son ami et lui mit entre les mains deux pierres et un morceau de coton.

— Mets ça dans tes oreilles ou tu risques de devenir sourd. Ne te soucie pas de la viser, allume simplement la mèche lorsque tu entendras Syllas hurla « feu », c’est clair ?! s’écria-t-il pour se faire entendre à travers l’agitation ambiante.

— Comme de l’eau !

Il repartit vers un canon et regarda son compagnon dans les yeux. L’appréhension pouvait se lire à travers son regard. Ce n’était pas la première fois qu’ils étaient attaqués, mais la réputation du Neptune le précédait pour une bonne raison.

À travers les écoutilles, Earl observa la position qu’ils avaient face à la proue du galion. Ce dernier était proche, à environ une centaine de mètres, et leur fonçait dessus à vive allure. Il entendit un sifflement strident venant du pont, plaça les morceaux de coton dans les oreilles et distingua la voix du quartier-maître hurler ses ordres.

— Feu !

Une friction entre les deux pierres, la mèche s’embrasa et le canon cracha son boulet d’une telle violence que le mousse fut obligé de reculer. Ils touchèrent le beaupré du galion, mais ça ne découragea pas leur ennemi qui continua de foncer en leur direction.

— Il va nous harponner !

— Earl ! Dégage de là !

Le jeune homme ne se fit pas prier et déguerpit de sa position. La proue du Neptune vint se planter à bâbord du Phoenix avec violence, déchirant la coque du brick. Les membres de l’équipage présent dans le sous-pont ne purent qu’admirer avec effroi leur navire meurtri par leurs ennemis.

Ils n’eurent cependant pas le temps de se morfondre, des pas résonnaient à leurs oreilles au-dessus de leurs têtes, accompagnés de cris de rage et de coup d’épée. Leurs adversaires les avaient abordés, l’heure était au combat.

Les canonniers et le quartier-maître sortirent leurs sabres, suivis par le mousse qui se tenait prêt à l’attaque. Mais le regard que lui porta Syllas en disait long : il était le protégé du capitaine, il n’était pas censé se battre à leurs côtés. Mais la détermination qu’il vit dans les iris bleutés du garçon le persuada. Ce gamin voulait en démordre et rien ne l’en empêcherait.

— Je ne te donnerais qu’une seule consigne, gamin, dit-il en s’adressant à Earl. Ne te fais pas tuer.

Et il disparut en haut de l’escalier, directement attaqué par un opposant. Les canonniers le suivirent immédiatement, mais le dernier hésita. Il se questionna soudainement sur la raison de l’attaque, pour quel motif le Neptune les avait pris par surprise, et comment savait-il que le Phoenix passerait par ici.

Ses questionnements furent écourtés par l’apparition d’un inconnu en haut des marches, sabres ensanglantés entre les mains, un malin sourire sur le visage. Son regard froid se posa sur la silhouette du jeune mousse, et un rire glacial lui échappa.

— Tu n’aurais pas été trop difficile à trouver. Le capitaine va être content.

Il descendit lentement les escaliers, pas à pas, il s’approcha de sa proie. Earl était acculé, la seule sortie possible se trouvait dans le dos de son ennemi. Il n’avait pas d’autre choix : il devait gagner ce combat.

Son adversaire fit le premier pas et attaqua de front, parer par le garçon. Il réitéra son attaque trois fois, mais l’enfant maudit ne se laissa pas faire et para ses coups. Leurs lames s’entrechoquaient avec force dans un tintement métallique. La puissance qu’avait son assaillant lui permit de comprendre une chose cruciale : il n’était pas là pour jouer, son but était de l’anéantir.

Il para un dernier coup avec robustesse. Sa poignée dans une main, il appuya le bout de la lame sur l’autre, tandis que le sabre de son rival se trouvait à quelques centimètres de son visage. Les traits de son faciès se décomposèrent lorsqu’il entendit la voix gutturale de son ennemi lui susurrer quelques mots.

— J’ai pour ordre de ne pas te tuer, mais rien ne m’empêche de t’amocher un peu !

Le pirate profita de la surprise du plus jeune pour lui assainir un coup de pied dans le ventre, l’envoyant valser au fond du faux-pont. Earl était sonné, des tonneaux et caisses à moitié éventrés avaient amorti sa chute, mais son dos lui faisait mal. La respiration saccadée, il peina à se relever. Les pas de son vis-à-vis se rapprochèrent lentement de lui, la lame scintillant à la lumière qui traversait les écoutilles endommagées.

— Eh bien. L’avis de recherche disait que tu étais un dangereux Mannred, mais tu n’es rien de plus qu’un gosse de riche qui ne sait pas se servir de ses jambes.

Bien qu’il eût envie de se relever pour lui en flanquer une, le concerné s’arrêta sur l’information de l’avis de recherche.

— Vous êtes là pour moi.

— Exact. Notre capitaine a reçu une offre très alléchante du gouvernement pour ta capture. Nous ne pouvions pas refuser.

— Comment avez-vous su que nous passerions par ici ?!

— Notre capitaine savait que votre pauvre phénix allait protéger un rejeton maudit dans ton genre. Il n’a pas été difficile de vous retrouver après ça.

— Votre capitaine…

Il n’y avait qu’une seule personne à craindre sur ces eaux pour lui. Un seul homme capable de trahir les siens pour assouvirent ses désirs. Un pirate dont lui avait parlé le capitaine et qu’il avait appris à craindre.

— Mannles…

Le pirate ne perdit pas de temps pour attaquer de nouveau. Earl n’eut qu’une fraction de seconde pour agir. Il attrapa une poignée de poudre à canon étalé au sol, et la lança au visage de son adversaire. Profitant de sa diversion, il contourna le pirate et se précipita vers la sortie. Mais une main attrapa ses cheveux et le plaqua au sol. L’homme le retourna et plaça sa lame sur sa gorge, l’intimant de ne plus bouger.

— Sacrément vif le gosse, cracha-t-il les yeux irrités. Je vais t’apprendre les bonnes manières.

Le sabre s’appuya un peu trop sur la peau du garçon, l’entaillant légèrement. La panique saisit le corps du Mannred, une peur incommensurable s’empara de ses membres, le faisant bouger sans qu’il n’en prenne conscience.

Il agrippa le pistolet ranger à la ceinture de son ennemi, pointa le canon vers l’abdomen du pirate, abaissa le chien et appuya sur la détente. Un soubresaut prit l’homme, les yeux exorbités, avant de s’effondrer sur le sol.

Earl se recula brusquement, s’éloignant le plus possible du cadavre de son adversaire. Le pistolet toujours en main, il ne se sentit pas coupable de son action. Ce fut tout le contraire, il était satisfait. Il se sentit enfin capable de se battre, même si la mort se tenait entre ses mains.

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