Chapitre 44

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Les voix éclataient dans la salle. Certains s’étaient levés, révoltés par cette nouvelle. Mais aucun des huit capitaines ne bougea. La jeune femme attendit patiemment le retour du silence, cependant aucun des pirates ne semblait vouloir se calmer, insultant le phénix de traitre et de meurtrier.

Earl s’attendait à une réaction de Rackham face à ces injures, mais fut étonné de le voir si calme et muet. Il comprit bien vite en posant son regard sur Seriea, la peau parsemée de taches orangées semblables à des braises ardentes. Cette réaction fit taire l’assemblée, conscient de l’avertissement muet qu’elle leur transmettait.

L’un des cardinaux se permit de prendre la parole en faveur d’Arawn.

— Mannles était un traitre, brisant des alliances sans scrupules et s’associant avec la couronne dans notre dos. Sa disparition laisse un vide, certes. Mais cela nous permet aussi de nous pencher sur les dangers de nos mers.

— Ce n’était pas son rôle, cracha un second cardinal.

San se raidit en entendant cette voix grave et provocante. Son ami se pencha vers lui discrètement, une simple question dans le regard. Le hochement de tête du plus jeune répondit pour lui. C’était John Robert, le cardinal Est, celui qui avait vendu le garçon à Mannles.

— Il est vrai qu’il t’a échangé un petit paquet d’or contre un Mannred, trancha Arawn.

La grimace que tira son vis-à-vis glaça les deux gamins. Ces cardinaux ne s’appréciaient guère, il n’y avait aucun doute à avoir.

— Les autorités sont bien plus actives au sud, dans la mer de Culith et Nething. Comme s’ils cherchaient quelque chose.

— Nous savons tous pourquoi, sourit un homme à la chevelure pervenche.

L’attention se tourna vers le trio présent derrière Opal et Arawn. Tandis que le phénix fermait les yeux d’agacement, le capitaine du Kingstone invita les garçons à s’approcher entre eux. Mal à l’aise face à ces regards curieux, ils s’avancèrent lentement vers la table.

Si proche de cette grande assemblée, Earl remarqua un détail étonnant gravé sur la table. Au centre du bois se trouvait une rose des vents et chaque fauteuil était placé selon le pôle qu’elle pointait — Arawn au sud-est et Opal au sud-ouest. Seriea se trouvait entre les pôles nord-ouest et sud-ouest. S’il situait sa position sur une carte de Manhal, elle se trouverait directement dans la mer de Wineber, une grande étendue inhospitalière et dangereuse.

— Il y en a deux ? Je pensais qu’il n’en avait sauvé qu’un à Ethel.

— Le deuxième doit venir de Nelak, commenta la seule capitaine de la table.

— Qu’est-ce que ce morveux fou là ?! s’emporta Robert en reconnaissant San.

— Il fait partie de mon équipage.

Tous dévisagèrent Arawn — Earl et San y comprit — surpris de sa déclaration.

— Ces deux Mannred font partie de mon équipage.

— Ce n’est pas étonnant venant de ta part.

Le cardinal du Nord s’était adressé à son camarade sur un ton qu’Earl désigna comme un mélange entre farceur et malice. Une longue tresse dorée reposait sur son épaule et ses yeux miel ne les quittait pas.

— Tu es un homme chanceux pour avoir deux enfants de l’océan à ton bord.

— Pour le moment, je n’ai pas eu d’ennui, sauf avec Mannles.

— Ce n’est pas étonnant venant de lui. Mais tu as bien fait.

Les deux hommes s’entendaient bien, Earl trouvait ça utile. Il valait mieux s’entendre avec ces prochains plutôt que leur faire la guerre.

— Les mers ne sont plus sûres. Les autorités corrompent n’importes quels équipages, nous ne pouvons donc plus savoir qui est loyale à notre cause et qui souhaite l’anéantir, continua Seriea.

— L’honneur se fait rare de nos jours, souffla le capitaine du nord-est.

— Nous devons trouver un moyen de freiner la montée en pouvoir de la couronne si nous ne voulons pas finir par disparaitre.

— Trouver la perle est la seule solution.

Opal s’attira toute l’attention, même celle d’Arawn. Le jeune homme quant à lui ne l’avait jamais entendu parler de ce sujet. La perle noire semblait être l’obsession de bien plus de personnes, pas seulement du phénix.

— Vous vous accrochez encore à cette chimère vous deux ? s’étonna Robert en désignant les cardinaux du Sud.

— Ce n’est pas un mythe, et avec l’aide de Mannred—

— S’ils acceptent de vous aider, la coupa la jeune femme.

— Earl est prêt à nous aider. N’est-ce pas ?

Le capitaine du Kingstone se tourna vers lui, un sourire aux lèvres. Le cœur du garçon s’emballa, la pression qui reposait soudainement sur ses épaules était lourde à porter. Mais elle n’avait pas tort, il avait démenti Mannles sur ce sujet. Même en ayant averti Arawn sur les dangers de ce périple, il ne pouvait plus reculer.

— C’est exact.

— Donc tu fais vraiment partie de son équipage ?

— Oui, définitivement.

Son choix était fait. Alors que le phénix tournait la tête pour lui sourire, il se sentait libéré d’un questionnement qui durait depuis trop longtemps à son gout. Il suivrait Arawn sur n’importe quelle mer et subirait chaque mauvaise décision qu’il ferait.

— Ça n’en reste pas moins une légende. Je me demande comment vous allez faire pour trouver cet objet, ricana d’arrogance Robert, une main glissant sur sa longue barbe grisâtre.

— À deux, nous devrions trouver, sourit San en s’approchant de son ami.

L’assemblée ricana face aux deux garçons, déterminés à trouver un mythe de livre pour enfant, mais les deux cardinaux nord et ouest ainsi que Seriea semblait avoir confiance en eux.

— Nous verrons bien ce que vous trouverez, sourit le blond en tapant des mains. Concernant le nord…

La discussion changea de sujet pour s’axer vers des attaques dans à Brand’mond et dans la mer d’Ashur, puis sur les conflits entre pirates à Jao et Nathon. Une utopie fut citée proche de Hatro, mais le garçon n’y faisait déjà plus attention, la joie remplissait son cœur et sa tête. Il était impatient de regagner le port et d’annoncer sa décision au reste de l’équipage. Il ne doutait pas du choix qu’allait prendre Arawn face à cette demande.

Après tout, il lui avait proposé deux options, et il avait choisi.

À leurs sorties de la salle, une main se posa sur le haut de sa tête, ébouriffant ses cheveux comme un enfant.

— Bienvenue dans l’équipe gamins, sourit Asan en avançant.

Ils regagnèrent le port sans que le capitaine ne prononce un mot. Ce silence ne le rassura pas. Arrivés à la rade, deux navires les attendaient, le Kingstone et un brick un peu plus gros que le Phoenix. À bord se trouvait l’équipage de Rackham, les attendant proche du bastingage.

— Je te préviens Arawn, c’est la dernière fois que je te dégote un rafiot, la prochaine fois tu demanderas à quelqu’un d’autre.

— Nous sommes quittes.

— Jusqu’à la prochaine fois ou je te sauverais les miches.

La jeune femme éclata de rire et monta à bord de son navire. Arawn entreprit de grimper sur le nouveau Phoenix, accompagne d’Asan et de San, mais s’arrêta en chemin. Il se tourna vers son protégé, figer sur la berge.

— Tu ne viens pas ?

— Je…

J’hésite. Il savait que sa place l’attendait à bord. Mais qu’est-ce que l’avenir lui réservait ? Allait-il avoir des ennuis ou en causer à ceux qu’il aimait ? Serait-il à la hauteur des attentes de l’équipage ? Sa tête était envahie de nouvelle question, son corps se tendit et sa poitrine se serra. Mais la voix du quartier-maître dissipa tous ces tourments.

— Il est parfois préférable de ne pas penser à l’avenir et de simplement avancer. Vivre le moment présent.

Le capitaine tendit sa main vers lui, tel un père attendant le retour à bord de son garçon.

— Bienvenue chez toi.

Le sourire jusqu’aux oreilles, Earl s’élança vers lui. De nouvelles aventures l’attendaient à l’horizon.

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