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- Je te comprends. Tu crois peut-être que je ne le peux pas, mais je te comprends. Je sais que le monde est truffé d’injustices. Mais là où nos opinions divergent, c’est que je ne pense pas être rien. Si je peux ne serait-ce qu’à ma portée, donner un peu de bonheur, cela me suffit.

Ses yeux étaient baignés de larmes.

- Même si ce monde est loin d’être parfait, je ne le déteste pas. Je veux juste le rendre meilleur. Et je crois que toi aussi, tu pourrais.

- Je ne le crois pas, murmurai-je. Je sais que tu le voudrais, mais…

- Je suis désolée pour ce qui t’est arrivé. Pour le traumatisme que tu as vécu.

-Tu n’as pas à l’être.

- Il y a tellement de belles choses sur terre, n’es-tu pas capable de les voir ? Me coupa-t-elle. Elle est belle la vie. Malgré tout.

Croyait-elle donc que j’étais aveugle, en plus d’être un salaud d’égoïste ?

- Elle est belle la vie ? rétorquai-je. C’est ça ton argument imparable ? La vie n'est pas une chance ou un cadeau. C’est une malédiction. Un mauvais sort qu'on nous jette à la naissance.

- Joli, mais totalement faux, rétorqua-t-elle, ne se laissant pas démonter. C’est un enchantement constant.

- Joli, mais totalement faux, l’imitai-je, narquois.

Soudain, je n’avais plus envie de parler. Le silence se poursuivit donc. Interminable. Insatiable, il grignotait chaque minute avec un peu plus de gourmandise. Je ne savais pas si elle était toujours là. Je n’osais pas vérifier. J’avais peur qu’elle soit toujours là, mais terrifié à l’idée qu’elle ne le soit plus. Elle m’avait fait une promesse, allait-elle la tenir ? M’avait-elle finalement laissé dans ma solitude ? Avait-elle enfin abandonnée ?

Je regardai du coin de l’œil, juste pour vérifier.

Elle était toujours là, martyrisant sa lèvre inférieure.

Elle ouvrit la bouche, la referma. Elle était à court de mots. Intéressant. Elle avait pourtant été intarissable jusque-là. Pour ma part, je ne voulais plus rien rajouter. Je ne voulais plus parler du tout. Je commençais à avoir vraiment froid, ma tolérance s’essoufflant. Le bout de mes orteils me faisait souffrir, engoncés comme ils étaient dans mes chaussettes trempées.

Tout se taisait autour de nous. Le calme qui planait était un contraste saisissant avec la vie si agitée de la journée. Un oiseau téméraire osa briser la quiétude des lieux en hululant non loin de là. Ce bruit eut l’impact d’un coup de tonnerre qui nous fit sursauter tous les deux. L’inconnue se ressaisit au même moment comme émergeant d'un rêve. Elle observa, hébétée, autour d'elle.

- C’est magnifique, chuchota-t-elle, comme un secret connu d'elle seule.

Elle désigna le paysage enneigé, de l'aspect féerique qu'il prenait ainsi illuminé par la lune et les étoiles. Elle parlait aussi du chant de l'oiseau nocturne dont l'écho raisonnait encore dans la nuit. Elle rejeta la tête en arrière pour contempler les étoiles scintillant dans le ciel.

- Je me sens toute petite, déclara-t-elle. Quand je constate à quel point l’univers est grand, lui.

Elle avait les yeux écarquillés comme si cela lui permettait d’absorber l’immensité du ciel. J’imitai sa position, rejetant la tête en arrière. Je le connaissais bien. Je l’observais toutes les nuits. J’en avais même étudié les constellations avec Noémie. Ou plutôt moi, j’avais perfectionné mes connaissances alors que nous débattions de l’origine de l’univers. On se mettait sur la petite terrasse de son appartement avec un télescope. Cet endroit était une petite bulle hors du temps. Mais comme toute cachette on ne pouvait y rester enfermée indéfiniment.

- On voit bien Andromède cette nuit.

La fille à côté de moi se retourna vers moi, surprise que j’eusse pris la parole.

- La princesse éthiopienne ?

- La constellation.

- Où ça ? Demanda-t-elle. Je n’arrive jamais à repérer les constellations.

- Elle est en forme de A.

Je tentais tant bien que mal de lui indiquer l’endroit, sans pouvoir utiliser aucun signe de repère parce que mademoiselle ne connaissait pas même l’étoile polaire. Finalement, elle cessa sa recherche, ne sachant pas trop si elle abandonnait ou si elle l’avait trouvé comme elle le prétendait vaguement. Elle me regardait, tout sourire. D’une façon un peu étrange.

- Qu’est-ce qu’il y a ?

- C’est la première fois que je te vois sourire.

Automatiquement, je cessais de sourire.

- Attends, non. C’était une bonne chose. Tu t’y connais bien en étoiles ? Remarqua-t-elle.

Je sentais qu’elle voulait m’inciter à continuer à me comporter comme je venais de le faire en expliquant la position des astres. Je me contentais d’hausser les épaules. Il était peut-être temps de lui rappeler qu’elle m’avait fait une promesse.

- Tu crois que j’ai envie de passer la nuit à t’apprendre les constellations ? Rétorquai-je finalement.

- Ce sarcasme, cette ironie, c’est une armure chez toi, constata-t-elle. Ça et ta façon d’éviter les questions.

Je levai les yeux au ciel. Nouveau round pour miss-je-me-mèle-de-tout-et-surtout-de-ce-qui-ne-me-concerne-pas.

- J'ai vu assez de psy, grimaçai-je.

- Excuse-moi. Je ne suis pas psy, loin de là. Désolée.

Je la sondais du regard. Elle cherchait à gagner du temps. Juste un peu de temps en plus pour me « raisonner ».

- Je t’ai fait une promesse, murmura-t-elle du bout des lèvres.

- Et tu n’as pas envie de t’y tenir, la coupai-je.

- Bien sûr que si, rétorqua-t-elle, comme si c’était un grand sacrilège de la croire être une personne dénuée de parole. Je la tiendrais. Je les tiens toujours. Ou au moins j’essaye. C’est juste, trop dur de te quitter là, sur ces confidences. Je voudrais…

Elle ne finit jamais sa phrase. Soudain, elle fut là, à mes côtés. Plus un mètre en contrebas, mais à côté de moi sur le muret. Je la surpassais quand même en taille. Et d'une bonne tête. Elle n'avait jamais été aussi proche.

La proximité m’effraya alors. Pas pour moi, mais pour elle. Qu'elle glisse, qu'elle tombe. Et elle aurait fait tout ça pour rien.

Elle souriait, un peu timidement. Elle n'avait pas eu peur de me dire tout ce qu'elle pensait à propos du suicide et à présent elle faisait sa timide.

- Whaouh, s'exclama-t-elle, c'est fou comme un mètre plus haut, la perspective peut changer.

Elle se tourna vers moi, braquant ses si beaux yeux dans les miens.

- Je vais partir, me rappela-t-elle et je ne savais pas trop qui elle essayait de convaincre d’elle ou de moi. Mais d’abord, je voudrais te montrer que derrière la laideur du monde, se cache aussi une grande beauté. Je voudrais…

- Tu voudrais que je vive, rétorquai-je.

Déjà, le ciel commençait doucement à s'éclaircir.

- Oui, affirma-t-elle, avec franchise. Bien sûr que je le voudrais. Mais j’ai l’impression que même mon super optimisme ne sera pas suffisant cette fois. Laisse-moi juste te montrer ce que je vois du monde, laisse-moi te guider dans le mien. Laisse moi t’offrir une autre vision du monde.

Je fronçai les sourcils. Au début de la soirée, je ne l'aurais même pas laissée parler. Et maintenant, c’était incroyablement tentant. Elle était facile à déchiffrer et en même temps elle restait une énigme. Elle ne fermait pas les yeux devant l’injustice du monde et pourtant, elle semblait férocement s’accrocher à la vie. C’était fascinant.

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