Ils étaient quatre
Ils étaient quatre.
Quatre amis, disaient-ils. Trois garçons, une fille. Ils étaient une bande, un groupe, tous le monde les voyaient ensemble. Elle avait cru à cette amitié, du moins, au début, elle avait espéré se tromper... Ils riaient beaucoup, ils étaient bruyants, vivants. Elle voulait faire partie de ça. Elle ne se souvient même plus comment ça a basculé.
Elle se rappelle seulement que deux d'entre eux portaient le même nom et qu'elle ne peut plus entendre ce prénom sans voir la nausée, des frissons, des tremblements, les mains moites...
Le premier lui jetait son téléphone dès qu'il l'avait en main, par terre, sur l'herbe, le gravier.
Le deuxième riait. Un jour, il lui avait tiré les cheveux si fort, lui avait fait un croche patte qu'elle avait dû se rattraper sur le grillage devant ces trois amis.
Ils se moquaient de tous : ses formes, sa démarche, son intelligence...
Un jour le premier dit :
"Suicide toi."
Elle rigola, par réflexe et lui répondit négativement.
Un autre jour ce fut :
"Personne ne t'aime, tu n'as pas d'amis, tu sers à rien."
Elle a haussé les épaules, elle ne voulait pas qu'ils voient qu'elle saignait à l'intérieur, que ça la touchait.
Mais le pire, ce n'était pas les mots, c'étais les mains.
Des mains qui ne devaient pas se trouvaient à ces endroits.
Un jour, en cours, le deuxième mit sa main sur son dos "pour la pousser", puis sa main descendit le long du dos et alla sur les fesses.
Elle s'est retourné, lui a fait les gros yeux et lui a dit non.
Il l'a regardé et fit mine de ne pas comprendre.
Mais elle savait, elle l'avait senti bien avant qu'il n'agisse. Elle n’a rien dit. Elle ne savait même pas ce qu’elle ressentait.
Honte ? Dégoût ? Culpabilité ?
Le troisième. Le silencieux. Celui qui ne riait pas autant. Lui, il regardait. Il ne comprenait pas tout mais était témoin et savait que ce n'était pas normal. Il était là pour elle et l'aidait.
Aujourd’hui, elle ne se souvient pas toujours des détails. Elle se dit parfois qu’elle a peut-être exagéré. Qu’elle aurait pu dire non. Qu’elle aurait pu partir.
Mais son corps, lui, sait.
Il se crispe chaque fois qu'un garçon pose la main sur son bras, il sursaute quand son téléphone tombe, il tremble sans raison apparente et maigri très vite. Et surtout, il se ferme dès qu'une personne fait référence à ce nom.
Elle vit avec. Le souvenir n’est plus un film, c’est un écho.
Et parfois, devant la glace, elle se demande :
"Est-ce que c’était vraiment moi ? Est-ce que ça a vraiment eu lieu ?"
Mais son corps répond, sans mots.
Il a gardé la mémoire, il sait.
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