DESIERTO 4

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4 février 2029

Le Land-rover s’engagea sur la route abrupte qui menait au sommet du Roque de Los Muchachos. Edward Feldmann éteignit la climatisation qui vrombissait dans l’habitacle sans apporter le moindre souffle d’air et ouvrit sa fenêtre. Saleté de voiture anglaise ! Il commençait à regretter la fraîcheur des rives de l’Elbe et aurait donné une fortune pour une pinte de bière glacée.

Bientôt, la silhouette de Gregor se dessina sur la crête. Son bébé. Un cyclope de trente mètres de hauteur, dont l’œil unique d’un mètre cinquante de diamètre était pointé vers l’astre solaire. Feldmann s’était battu pour que le choix du Centre Européen de la Recherche Nucléaire se porte sur l’île de La Palma. Soutenu par Duisenberg, il avait souligné les avantages du site. Deux mille quatre cents mètres d’altitude, juste au-dessus de la courbe d’inversion, là où l’air de l’atmosphère garantissait une relative stabilité. Sans compter la proximité de l’océan qui permettait de réduire sensiblement les turbulences dues à la chaleur ; et puis l’écosystème général, les infrastructures déjà en place, la proximité des observatoires allemands, espagnols et britanniques. En mai 2012, Gregor avait été inauguré et Edward Feldmann – et il ne l’aurait avoué à personne, même sur son lit de mort – avait été encore plus ému que lors de la naissance de ses deux fils.

Depuis, il veillait sur Gregor. Dix-sept années consacrées au télescope solaire le plus puissant d’Europe.

Il pénétra dans le Bocal. Un astrophysicien espagnol l’avait surnommé ainsi, quand le responsable réseau avait branché les ordinateurs pour la première fois et que le halo bleu des écrans avait envahi la pièce. Le nom était resté.

La porte claqua derrière lui et Romuald, le jeune thésard en astrophysique que lui avait recommandé Duisenberg, s’écarta vivement d’Ingrid Veilho. Le rouge qui leur monta aux joues fit sourire Feldmann. Ah, la jeunesse !

— Messieurs-dames, bonjour !

— Bonjour, professeur, fit Ingrid en reboutonnant le haut de son chemisier.

Le teint de la jeune physicienne avait viré à l’écarlate et Feldmann préféra ne pas insister.

— Quoi de neuf, ce matin ?

— Je sors les relevés sur les couches extérieures, dit Romuald, et je vous les apporte.

Le garçon s’assit sur un tabouret à roulettes, glissa d’un ordinateur à l’autre dans un ballet rapide et coordonné.

— C’est parti !

L’imprimante émit un chuintement puis cracha une vingtaine de feuillets. Le jeune Français saisit la liasse et roula jusqu’au bureau du professeur.

Feldmann jeta un coup d’œil sur la première feuille et jura intérieurement en découvrant la photographie.

— Romuald, je souhaite un état sur cent secondes d’arc ! Pas une. Regardez-moi ça, fit-il en présentant l’image iridescente aux deux tourtereaux. Vous savez combien ça nous coûte, les cartouches d’imprimante ?

Le Français eût une moue de surprise, pivota vers un ordinateur, et tapa une commande sur le clavier. Feldmann vit la ligne des sourcils se creuser, les plis sur le front. Il retint son souffle et, mû par un pressentiment étrange, regarda à nouveau la légende qui illustrait la photographie. Il la lût une fois, une seconde…

— Putain de bordel de merde ! fit le professeur.

Sa première pensée fut pour ses deux fils.

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