DESIERTO 6

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Duisenberg posa son téléphone sur la table du salon. Il avait eu raison. Il s’était battu pour que l’on entende sa voix, sans succès, et la nature se chargeait aujourd’hui de montrer à tous ses détracteurs qu’ils auraient mieux fait de l’écouter. Et pourtant, il n’éprouvait aucune fierté, aucun sentiment de revanche. Au contraire.

Il pensait à Feldmann. Lui aussi avait douté de son travail. Au nom de leur vieille amitié, le savant allemand avait cependant accepté de lui envoyer les rapports hebdomadaires des observations du Centre de La Palma. Ces dernières semaines, en marge des commentaires de Feldmann, l’ironie avait laissé la place à l’inquiétude. La fréquence des cordes magnétiques, des éruptions, la fragilité de la magnétosphère. Depuis deux décennies, les organisations écologistes et de trop rares gouvernements s’étaient inquiétés du réchauffement climatique. Avec une cruelle ironie, le soleil allait mettre tout le monde d’accord.

Duisenberg consulta sa montre. 9h15. Si les données transmises par Feldmann étaient exactes, la vague de chaleur frapperait la Terre dans une heure et cinquante-et-une minutes. À 11h 06. L’angle constaté dans l’inclinaison de la langue plasmatique était minime. La température monterait en quelques minutes jusqu’à 350 degrés. Au minimum.

Arrête de te lamenter, et bouge ton cul !

Il prit son mobile et sélectionna le numéro.

« Papa ?

— Lilian, ça a commencé. L’éruption solaire. La langue file droit sur nous. Tu es où ? Le jardin ?

— Oui, mais…

— Non, ne m’interromps pas ! Dans une heure trente, au grand maximum, nous obstruons les couloirs. Je préviens tous mes contacts. Emmène les chiens et enferme-les, je ne sais pas comment ils vont réagir.

— Je peux appeler, moi aussi ?

— Bien sûr. Mais ne perds pas de temps.

— Papa ?

— Oui.

— Fais vite.

— Je t’aime. À tout de suite. »

Sur son téléphone, le professeur ouvrit sa liste de contacts. Des proches, de vagues connaissances, des collègues du monde entier...

« C’est le jour ou jamais pour me faire confiance. Ce message n’est pas une plaisanterie et je vous supplie de me croire. Au nom de Lilian, de ma chère Lucie, au nom de notre amitié, croyez-moi. En quelques mots : une éruption solaire d’une intensité inouïe vient d’avoir lieu. Dans moins de deux heures, une vague de chaleur mortelle frappera la Terre. Plus de 300 degrés. Mettez-vous à l’abri dans les caves les plus profondes, des tunnels ou des mines s’il y en a près de chez vous, sous-sols, caves, parkings souterrains. Isolez-vous, prenez de l’eau, beaucoup d’eau. Calfeutrez : laine de verre, couvertures, isolez-vous. La vague de chaleur durera trois jours, environ, mais l'air risque d'être saturé de poussière, de cendres. Voire de radiations s'il y a des accidents dans les centrales nucléaires. Des incendies aussi. Beaucoup. Restez au moins deux semaines. Plusieurs mois si possible. Prenez surtout de l’eau. Je le répète. Ce n’est pas une plaisanterie. Ne rappelez pas, je ne pourrais pas répondre. Tout va changer. Les téléphones ne fonctionneront plus. Plus d'appareils électriques. Pour ceux qui peuvent, qui vivent par ici, rendez-vous à Angers, place du Ralliement, quand vous pourrez, ou à Paris, sous la Tour Eiffel, il y aura forcément du monde. Par pitié, croyez-moi. Charles. Croyez-moi. »

Il appuya sur envoi.

Que pouvait-il faire d’autre ? Qui prévenir ? Des visages défilaient devant ses yeux. Amir, le collègue Indien, Jessica, l’amie d’enfance, le boulanger, une fillette aperçue sur les bords de Loire, à Saumur…Mon Dieu, mais pourquoi n’ai-je pas anticipé ce moment ?

Il regarda l’heure. 9h20. Secoue-toi !

Question nourriture, eau, Lilian avait tout prévu. Un instant, Duisenberg se sentit complètement démuni. Qu’emmener ? Un moineau se posa sur le rebord de la fenêtre. Un moineau. Les oiseaux… Tous vont mourir. Les fleurs. Charles s’aperçut que des larmes embuaient son regard. Les oiseaux. Même les oiseaux. Oh, Lucie, ma tendre Lucie.

Il bondit quand une main se posa sur son avant-bras.

« Tu fais quoi, là, planté au beau milieu du salon ? » lança son fils.

Ce fut comme une décharge électrique ; le sol retrouva de sa fermeté.

« Papa ?

— Allons-y. »

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