Lucy in the sky (chronique)

de Image de profil de Richard Gildas Richard Gildas

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A quoi pensiez-vous, Mademoiselle, en regardant le ciel bleu qui, certains jours, pleurait sur la dune mais qui, le plus souvent, brûlait le sol, la rive et jusqu’à vos pupilles. Vous le redoutiez comme l’on craint une soudaine furie cachée jusqu’alors derrière de gros cotons blancs qui maculent l’azur. Vous y preniez garde avec la même prudence que celle qui vous faisait, dès que le jour chassait les ombres, ruser avec les babouins, gazelles, hippopotames, antilopes, girafes et autres cochons sauvages, tous ces êtres avec qui vous partagiez les herbes et les arbres, l’eau et le chant de l’oiseau grimpeur, aux premiers matins du monde. A quoi rêviez-vous lorsque la lune veillait votre couche ? Comment et qui aimiez-vous, mademoiselle, en ces heures où les mots et les grondements étaient inutiles, seuls suffisaient la brillance de l’œil et la douceur d’un doigt, d’un grain, d’une langue, d’un téton ou d’une queue. Qu’espériez-vous d’un matin l’autre, aviez-vous déjà ces dents qui claquent lorsque la terreur vous attrappe et l’angoise ronge, aviez-vous l’envie dévorante de franchir le rift, de vous envoler, vous laisser aller pour en finir avec l’incompréhensible et les vertiges, forger le caillou qui pourrait fendre les têtes et les fruits, étiez-vous docile, maîtresse, mère, à la recherche d’une âme, d’un trésor ou d’une vérité ? Que vous est-il arrivé, mademoiselle ? Avez-vous chuté par maladresse d’un arbre où, ce matin-là, vous étiez la sentinelle qui veillait sur la plaine, des fois que l’inconnu se serait hasardé sur ce bout de terre qui ne connaissait que vos pas pressés, faufilés, parfois enchantés ? Vous aviez, me dit-on, moins de 5 000 jours dans les mollets lorsque que vous avez fermé les yeux, à jamais. Il y a cinquante ans, en novembre 1974, une équipe d’hommes et de femmes à la recherche des origines vous a retrouvée. Cinquante-deux fragments d’os. Ils nous ont parlé de vous, petite femme qui taillait 1,10 mètre et qui, disent-ils, marchait alors sur ses deux jambes, contrairement à vos ancêtres. Vous fûtes mise à ciel ouvert alors que vous dormiez depuis 3,2 millions d’année, une époque où les températures étaient beaucoup plus chaudes qu’aujourd’hui, les Amériques pas encore jointes et le Groenland pas encore glacé. Figurez-vous, mademoiselle, qu’à mon tour j’habite ce même monde. Tous ces millénaires, les bipèdes n’ont eu de cesse de le transformer, l’assécher et le décimer au point de le voir aujourd’hui disparaître à grands feux. Souvent, nous pensons à vous mademoiselle. Longtemps, d’aussi loin que nous sachions, vous êtes notre grand-mère, notre sœur, notre proche et si lointaine, mademoiselle. Il y a quelques années, on a retrouvé votre aïeul, votre frère, votre proche en humanité, Toumaï. Son nom veut dire Espoir de Vie. Un jour, je vous ai vue au musée national d’Addis-Abeba, à 600 kilomètres de là où vous vagabondiez. Sur le châssis de l’écrin où vous reposiez, était écrit votre prénom en amharique : Dinqnesh. Ce qui signifie vous êtes merveilleuse.

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Lucy in the skyChapitre2 messages | 10 mois

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