XXVI. Au cœur du Cœur

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Le souffle court, les trois amis s'avachirent au sol sous le regard amusé de Feorl et Sangaë. Ils avaient rattrapé Maya sans difficultés. Elle bougonnait sur des marches, fulminant après chaque Istiol qui passait. Heureusement, Saylin et Arse l'avaient rapidement remise sur pied et poussée à avancer sans rechigner. Après une heure de grimpée, ils étaient donc épuisés et furieux envers leur compagnon. Le Passager était resté sur le dos de sa "sœur", sans se fatiguer, mais très amusé de les voir avancer en sueur. L'air de la forêt, bien que frais, ne leur donnait pas la vigueur nécessaire à une telle ascension.

" On est presque arrivés les amis, s'exclama Feorl plein de vie.

– Traduction, nous avons fait moins de la moitié, râla la Reflétée.

– Pour une fois que je suis honnête, personne ne me crois, c'est dingue ! Regardez là-haut, à la naissance des branches principales, c'est ici que nous nous rendons. Un dernier effort et vous serez débarrassés ! se réjouit l'Istiol en se remettant en route.

- Facile quand on ne pose pas le pied à terre ! lui cria Maya. "

Un sourire fendit le visage du petit homme, mais il ne répondit pas pour autant à la provocation de la jeune fille. Avec un soupir, Arse se releva, pestant contre ce satané arbre, cette satanée forêt, ce satané peuple. Saylin ne tarda pas à suivre le mouvement, habituée aux longues randonnées, laissant Maya assise sur l'une des minuscules marches de l'escalier. En passant devant elle, un Istiol la regarda avec de grands yeux ronds, qui l'agacèrent au plus haut point. Bouillante de rage et d'exaspération, elle se releva et courut rejoindre ses amis.

Feorl n'avait pas menti, au bout d'une vingtaine de minutes, l'escalier déboucha sur une immense place, nichée à l'embranchement des plus grosses branches. L'endroit fourmillait d'êtres verdâtres, de petits animaux de la forêt mais également de Passagers transformés, ne présentant pas la lueur caractéristique aux êtres du bois. Dès la base des épaisses branches, de minuscules cabanes étaient taillées, percées de quelques fenêtres, d'où entraient et sortaient d'autres créatures des bois. De loin, difficile de comprendre la raison de tout ce monde. Aucun marché, spectacle, magasin ne trônaient sur la place, seulement des Istiols.

" Que font-ils ? murmura Maya, bouche bée."

Feorl lui jeta un regard intrigué.

" Eh bien, ils... Parlent ? Nous ne sommes pas muets et je suis déçu de voir que vous ne l'aviez pas encore remarqué.

– Vous rigolez ? J'aurai tellement aimé que vous soyez muet ! explosa la Reflétée. Mais tous ces gens se rassemblent uniquement pour parler ? "

Saylin lui posa délicatement une main sur l'épaule.

" Un peuple, sa culture. Avons-nous crié au scandale en voyant les étranges fleurs rouges de ton pays ? susurra-t-elle. "

Arse approuva de la tête, forçant Maya à acquiescer.

" Si vous voulez rameuter des gens, c'est ici qu'il faut le faire, annonça Feorl en s'engouffrant au cœur de la foule. "

Décidé à se faire des alliés, Arse le suivit sans hésitation, dépassant de plusieurs têtes la marée d'Istiols.

Saylin était éblouie par ce peuple si calme, différent et gentil. Les Istiols étaient certes, bavards, malicieux, cachottiers, mais les voir ainsi rassemblés, comme une seule et même personne, l'émerveilla réellement. Chez elle, un tel regroupement dégénérait forcément en dispute pour des raisons stupides, d'orgueil et d'avidité. Ici, la paix régnait sous toutes ses formes. De petits animaux semblables à des renards, parés de couleurs étincelantes, allant du vert au violet, gambadaient gaiment aux côtés de rongeurs multicolores. Les yeux pleins d'étoiles, elle plongea au sein de ce groupe paisible et amical. Elle percevait quelques conversations, à propos de la Forêt majoritairement, mais aussi des Gardiens ou de la famille. La bienveillance était la seule maitresse à bord. Chacun se réjouissait du bonheur des autres, non sans malice parfois, se soutenait moralement, s'entraidait, riait. Personne ne faisait attention à son apparence étrange, tout comme à celles de Maya ou d'Arse. Se sentant profondément bien pour la première fois au milieu d'une foule, la jeune fille ôta sa capuche, laissa les rayons verts de la sève caresser son visage et l'odeur du bois envahir ses narines. Personne ne ferait de commentaires cruels à propos de ses yeux, de ses cheveux ou de sa peau, elle le savait au plus profond d'elle-même. Un sourire radieux aux lèvres, elle se fraya un passage parmi le monde pour rejoindre Arse et Feorl, curieuse de leur plan.

Le petit groupe se rassembla environ au centre de la place, ne sachant comment agir. Arse se triturait les méninges, effrayé à l'idée que personne ne réponde à son appel.

" Tu as un discours ? lui demanda Maya."

Avant même qu'il ne réplique par la négative, Feorl se grandit sur le dos de sa tigresse et hurla à la cantonade de sa voix malicieuse.

" Mes chers petits amis des bois ! Je suis de retour, et accompagné comme vous pouvez le remarquer ! Je suis certain que vous êtes ravis de me revoir et je vous prie de croire que c'est réciproque. J'ai cru discerner quelques visages connus parmi cette superbe foule et me ferai un plaisir de les rejoindre plus tard. Mais aujourd'hui, moi, l'un des Gardiens, je requière votre aide ! Pendant longtemps, j'ai été enfermé dans une contrée lointaine, contrée que je n'aurais jamais quittée sans l'aide de mes compagnons ici présents ! J'estime aujourd'hui avoir une dette envers eux, une dette que j'ai jurée de payer. Et j'ai besoin de vous ! s'enflamma le petit homme, jubilant et levant le bras dans un élan de charisme."

Beaucoup parmi la foule se réjouissait de revoir le Passager, dont la disparition, bien qu'habituelle car il était plutôt casse-cou, les avait mûrement inquiété. Tous levèrent le bras avec entrain, suivant le modèle d'un des guerriers les plus connus de la Forêt. Arse jeta un regard impressionné et teinté d'amusement à l'Istiol, qui cachait bien ses talents de beau-parleur.

" Vous êtes un peuple paisible, harmonieux et pacifique, je le sais bien évidemment. Mais les Istiols ne sont-ils pas aussi épris de justice, d'indépendance et de liberté ? Ne sont-ils pas généreux et ouverts ? Ne savent-ils pas aider ceux dans le besoin ? Mon ami ici présent, bien que je ne sache pas précisément sa requête, a besoin de vous, pour le soutenir, afin de se battre pour ce qui est juste. Nombre d'entre vous sont des passagers, de fiers guerriers, talentueux et courageux, prêt à tout pour aider leur prochain. Aujourd'hui, vous, vous tous, avez l'honneur et la chance de représenter les valeurs du peuple Istiol. Alors je vous en prie, saisissez cette opportunité, devenez des héros ! "

Un tonnerre d'applaudissement explosa à ces mots. Des acclamations ferventes jaillirent de toutes les bouches qui formaient l'auditoire. Un immense sourire aux lèvres, Feorl ferma avec délice ses yeux en amande et se fit plus discret, laissant la place à Arse. Celui-ci, déjà visible de tous, s'avança devant Sangaë, au centre de l'attention. Son cœur battait la chamade, sa respiration se faisait haletante. Il balaya la place du regard, croisa ceux de ses amies, confiants et rassurants. Au plus profond de lui, le feu qu'il portait hurlait :

" Tu n'auras qu'une chance, saisis-la !"

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