Partie 01 : Réveils (02)

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Comment s'enthousiasmer aussi réellement à l'idée de partager sa vie avec un parfait inconnu qui ne se dévoile que quelques jours avant l'union célébrée ? Les sentiments amoureux ne devraient-ils pas prédominer à ce type d'événement... De quelle façon endiguer cette crainte d'une existence gâchée par trop de zèle ?

Suis-je contrainte à me fermer au monde qui m'entoure ? Les traditions familiales, les fidélités loyales aux liens du sang, peuvent-elle obligatoirement prendre le pas sur les sentiments ? Que me cache mon aïeule avec autant de férocité ? Notre nature profonde ? L'identité que l'on nous donne à la naissance, notre premier jour à cette lumière...

Touve-t-on le bonheur et la félicité en se pliant aux exigences d'autrui ? Il m'est impossible de me courber tant que je n'ai aucune idée de toute la beauté de mes racines... La frustration ne prend-elle pas forcément naissance, après bien des sacrifices humains (notamment) pour une femme tzigane ? Je ne suis qu'une pièce rapportée ; ma place, pleine et entière, ne m'attend peut-être pas ici, parmi eux...

Existe-t-il une égalité entre les sexes en dehors de la communauté ? Une femme disposant d'autant de droits que son homologue masculin... Dans ce cas, est-elle respectée, et dans quels domaines s'applique-t-elle efficacement ? Comment s'organise cette modernité ouverte et libérée ? Mais cette égalité est-elle légitime ?

Comment ne pas croire que certaines décisions outrepassent les conditions élémentaires et primaires du mâle et de la femelle ? Cette parité n'est-elle pas contraire à ce que tous nomment l'ordre des chose ? Est-ce bien utile de vouloir tout modifier ? Peut-être les tziganes ont-ils raison de privilégier un communautarisme exacerbé ?

Se concentrer sur eux, et ainsi produire une force de reconnaissance et de respect mutuels et perpétués... Comment se prémunir de cette agressivité sous-jacente et latente entre membres du même clan ? Pourquoi, d'ailleurs, est-ce que je ressens le besoin presque indispensable de m'en protéger ? Pour quelle raison précipiter les adolescentes dans une existence de femme au foyer, sans autre ambition que d'être mère et fée du logis ?

N'est-ce pas plutôt une période pendant laquelle les interrogations se font si nombreuses qu'elle doit être propice à plusieurs expériences ? Où porter judicieusement son choix quand nous ne connaissons rien d'extérieur à notre environnement culturel ? Rejeter toute forme d'ouverture, d'un côté comme de l'autre, ne revient-il pas à se priver d'une richesse, de savoirs, de culture ?

Est-il justifié de se cantonner à l'idée que les gadjé nous rejettent systématiquement ? L'Histoire doit-elle façonner en nous, irrémédiablement, des opinions radicales ? Est-ce si naïf de croire en l'amour de son prochain ? Mais comment tendre la main quand notre vision de notre particularisme demeure un mystère presque entier ?

Possède-t-on justement les capacités adéquates pour "aimer son prochain comme soi-même" ? L'amour, l'affection et la tendresse sont-ils des sentiments qui demandent un apprentissage sur le long terme ? Cosmina recherche-t-elle autre chose de plus symbolique qu'un statut social à travers cette union ?

Cette sensation de désillusion, de déception, voire de fatalisme affronté dans son regard un peu terni... Se reproche-t-elle quoi que ce soit ? Désire-t-elle également se composer un "nouveau visage" afin de tourner la page au mieux sur l'absence prolongée de ses parents ? Le métissage est-il si mal perçu partout dans le monde ?

N'est-ce pas le secret d'une sorte de sérénité quant au genre humain ? Et le handicap ? Cette prothèse tibiale apparue sans que je m'en souvienne exactement, comme le symbole d'un pansement sur une blessure psychologique encore sans réponse... Comment le vivre positivement jour après jour ? Quels arguments opposer à tous ces discours biaisés par crainte de l'inconnu ou un manque cruel de documentations ?

Est-ce finalement si indispensable de se poser toutes ces questions ? Je devrais peut-être consentir finalement à cette sécurité accessible et occultant ma famille paternelle pour me recentrer sur mon avenir au sein de cette communauté... Comment trouver sa place et déterminer son chemin de vie quand la moitié de notre arbre généalogique nous est sciemment dissimulé ?

Voudrait-on me forcer à prendre ma vie d'adulte assumée à bras le corps alors que je marche continuellement sur un fil suspendu au-dessus d'un vide que je voudrais éclairer de tout mon cœur ? Quel secret tente-t-on de préserver ? Dois-je me contenter de simples tâtonnements ? Pour quelle raison ?

Comment disposer des armes nécessaires pour me construire ? De quel danger ? Ce secret de famille en appelle-t-il à la définition même de la dignité pour les tziganes ? Un mariage avec Dragos ne serait-il pas synonyme de détresse ? Dragos qui rôde... De violence ? Dragos s'emportant sur grand-mère en la traitant de vieille pie démente...

De peurs diverses ? Dragos, et le frisson indescriptible qui a parcouru ma colonne vertébrale à la vue de son regard brûlant d'une fureur indomptée et dévastatrice... Pourquoi s'atteler à planifier de nombreuses maternités à seulement dix-huit ans ? Sommes-nous seulement capables de nous assumer pleinement en tant que femme ?

Les demoiselles gadjé se trouvent-elles dans la même situation ? Leur cheminement s'en trouve-t-il plus sain ? Ou bien ont-elles la liberté totale de décider de leur avenir ? Dans ce cas, je suppose qu'elle ont la possibilité de choisir leur sexualité, comme un droit de regard, un veto... Que s'est-il passé pour que Miruna prenne la fuite ?

Elle aurait probablement préféré naviguer entre ces deux univers, ne serait-ce que pour moi... Comment ne pas avoir le sentiment d'abandonner Ilinka pour parcourir le monde ? Une impression de culpabilité virulente semble entamer sa conscience... Nous est-il concevable, à long terme, de nous construire sur une demi base de nous-mêmes ?

Cette démarche ne reviendrait-elle pas, en ce qui me concerne, à entretenir symboliquement ce boitillement causé par une prothèse qui aurait besoin d'être renouvellée ? Ces fondations sont-elles viables ? Pourrai-je sérieusement fonder un foyer par dessus ce vide artificiel ? N'est-ce pas provoquer le risque d'occulter ce mal-être et de l'entretenir inconsciemment, puis de le voir resurgir un beau jour, plus impétueux que jamais ?

Comme un raz-de-marée engloutissant toute tentative de laisser une trace de nous... Un retour dans la communauté serait-il envisageable si un départ a lieu ? Et si je suis déçue de mes explorations ? Comment faire accepter à l'entourage un refus de coller à une quelconque étiquette ? Et si je ne revenais pas au sein de cette communauté qui m'a recueillie ?

La voix d'Ilinka se fait tout à coup entendre.

- Dilane ! C'est l'heure. Viens m'aider, s'il-te-plaît.

La jeune fille soupire. Un de ces soupirs s'étouffant eux-mêmes de maux divers. Sorina dépose alors un baiser sur son front, caresse tendrement son visage en souriant, comme à l'accoutumée, et Dilane rejoint sa grand-mère avec un nonchalance non feinte.

Aujourd'hui, un étranger rend visite à Ilinka...

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