Chapitre 21 : Celle qui voulait savoir

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Elle attendit que le soir tombe. Que l’appartement se calme.
Sa mère était dans la cuisine, une tasse de thé entre les mains, le visage fatigué, les épaules rentrées.
Anna s’approcha, doucement, mais cette fois, sans détour.

— Il faut qu’on parle.

Un silence.
Sa mère ne leva pas les yeux, mais Anna vit ses doigts se crisper autour de la tasse.

— J’ai tout lu, dit-elle.
— Anna…

— Non. Je t’en prie. Dis-moi la vérité. Juste une fois.

Elle sortit le carnet de sa poche. Le posa sur la table.

— C’est moi qui ai écrit ça. Tu le sais, pas vrai ?
— Tu étais petite, tu faisais des cauchemars…
— Tu veux vraiment qu’on dise encore ça ? Même maintenant ? Tu veux encore qu’on appelle ça des cauchemars ?

Elle tremblait, mais sa voix était ferme.

— Pourquoi j’ai passé des mois dans un centre de soins sous un autre prénom ? Pourquoi j’ai écrit que j’étais Suzanne ? Pourquoi tous ces documents sont cachés dans un tiroir que tu ne m’as jamais laissé ouvrir ?

La mère d’Anna recula un peu, comme si les mots avaient une masse, un poids qu’elle ne pouvait plus porter.

— Je voulais t’épargner.

— M’épargner quoi ? Qui était Suzanne ? Qui suis-je, maman ?

Sa mère ferma les yeux.

— Tu étais une petite fille... différente. Tu passais d’un nom à l’autre. Un jour tu étais Anna, le lendemain Suzanne. Tu changeais d’humeur, tu changeais de voix. Tu disais "elle" pour parler de toi-même. Tu disais que Suzanne pleurait quand tu partais.

Elle posa la tasse, enfin. Et ses mains étaient rouges d’avoir tant serré.

— J’avais peur. Et les médecins aussi. Ils parlaient de dédoublement, de dissociation. Moi je ne voulais pas y croire. J’ai cru que si je ne nourrissais pas cette… part de toi, elle disparaîtrait.

— Tu l’as étouffée, souffla Anna.
— Je t’ai protégée, répondit la mère.

— Non, tu m’as fait croire que j’étais folle.

Un silence.

— Tu m’as laissé grandir avec un trou dans la mémoire. Avec la peur de devenir quelqu’un d’autre sans le vouloir.

Elle sentait ses larmes monter, mais elle les retint. Il fallait aller jusqu’au bout.

— Et aujourd’hui ? Est-ce que tu crois que Suzanne existe encore ?

La mère ne répondit pas tout de suite.

Puis, dans un souffle :

— Je crois qu’elle a toujours été là. En toi. Peut-être même qu’elle t’a protégée, elle aussi. À sa manière.

Anna sentit quelque chose bouger en elle. Une douleur ancienne. Un nœud.

— Alors pourquoi avoir fait comme si elle n’avait jamais existé ?

— Parce que je n’ai pas su faire autrement. Parce que j’avais honte. Et peur. Et que je ne savais pas comment t’aimer entière.

Le mot tomba comme une gifle douce.

Entière.

Pas à moitié. Pas coupée. Pas par morceaux.

Anna ne dit rien. Elle resta debout un long moment.

Puis, doucement, elle dit :

— J’ai décidé de la retrouver. Pas comme on trouve une sœur. Comme on retrouve une part de soi.

Et elle quitta la pièce.

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