Chapitre 9 – Celle que je sens sans la voir
Elle resta debout un moment devant le miroir, sans bouger.
La lettre encore pliée entre ses doigts, le souffle un peu court.
Elle n’avait pas rêvé.
Quelque chose—ou quelqu’un—venait de disparaître dans son dos.
Elle tourna la tête. Personne.
Mais l’air semblait… changé.
Chargé d’une présence.
Pas menaçante. Pas étrangère.
Presque intime.
Elle reposa la lettre sur le bureau, sans la relire.
Elle n’en avait pas besoin. Les mots vibraient encore en elle.
“Rappelle-toi l’absence. Elle a toujours ton goût.”
Ce n’était pas une voix inventée.
Ce n’était pas un jeu.
C’était quelqu’un.
Et pour la première fois, l’idée s’imposa sans heurt, sans fracas :
Et si elle avait été là, vraiment ?
Une sœur.
Quelqu’un qu’on lui aurait caché.
Un nom qui avait glissé hors des récits.
Un prénom effacé de toutes les photos.
Une absence... cultivée.
Elle descendit au salon. Elle n'avait pas vu que la nuit était déjà tombée.
Sa mère dormait.
L’appartement baignait dans le silence, presque figée.
Elle s’assit sur le canapé. Les rayons de la lune brillaient avec douceur.
Lentement, elle prit l’album photo posé sous la table basse.
Celui avec les bordures dorées, que sa mère n’ouvrait jamais.
Les premières pages sentaient la poussière et le plastique.
Des clichés d’elle bébé.
Elle en robe à fleurs.
Elle dans les bras de son père.
Elle seule.
Toujours seule.
Mais une image attira son regard. Une photo floue, mal cadrée.
On y voyait un petit lit. Et, dans un coin, une silhouette à moitié coupée.
Un bout de robe. Un bras.
Une mèche brune identique à la sienne.
Elle tourna la page. Rien.
Et sur celle d’après, sa mère enceinte.
Mais aucune date. Aucun nom.
Elle sentit une vibration monter en elle.
Pas de la peur.
Une sorte d’appel.
Elle referma l’album.
Et, sans y penser, elle murmura :
— Suzanne… c’était toi, n’est-ce pas ?
Quelque part, en elle, ça résonna comme un oui.
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