Ça ne sait pas lire

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J’ai peur, l’angoisse me tient comme un maître chanteur. Une barre au niveau de l’estomac me scinde en deux. Je ne parviens plus à penser. Juste axé sur ma douleur. Un conflit dont l’origine m’échappe. Juste une espèce de brouillard qui me colle aux neurones.

Un ciel lourd descend, gorgé de pluie. Le gris m’encercle. Le sommet de mon crâne est un plateau. Le bombé de la clairvoyance s’est affaissé. Je ne reconnais plus rien. Les mots tournent dans un puits sans fond alors que leur sens m’échappe. Je suis les mots. Ils ont assurément quelque chose à me dire. Ils se sont mis à nus juste pour moi. J’avance à tâtons. J’en saisis quelques uns mais ils se dérobent. Ils font des efforts. Ils s’élèvent pour que je les suive, que je monte avec eux, que je me redresse. Ils aimeraient danser, en ma compagnie dans une ronde éclairée. Mais ça m’échappe. Ils essaient de me récupérer. Ils savent que je me noie. Au centre, un feu de tristesse jette haut ses flèches rougeoyantes. Les craquements du bois sous la tyrannie des flammes grésillent des chants d’affection. Je ressens cette tendresse offerte, pleine d’espoir, à la fois empathique et perplexe. Ils me jettent ce regard puissant des urgences. Ils me tendent la main. Ah, si les mots pouvaient parler… !

Au bout du couloir, je sais une porte. J’espère seulement qu’elle s’ouvrira, histoire de prendre un bol d’air. La diction est faite de respiration, comme les partitions. Les clefs auront disparu. Je le sais. Pourquoi aurai-je peur sinon ? J’arrive tout près. Le temps s’est déroulé au rythme de mon engourdissement. La porte reste close. Je n’essaie pas de l’ouvrir. Je sais qu’elle est fermée. Un temps, je m’arrête. Que puis-je faire ? Je ne sais plus. Mon corps agit à ma place. L’esprit n’est plus. Ce corps que j’ai toujours considéré comme un poids insupportable, non pour la laideur, ou l’ineptie humaine, mais à cause de l’attraction terrestre. Toujours cette impression que l’indésirable s’accroche à mes épaules. J’ai souvent envie de m’ébrouer comme les chiens, mais ça revient. Le fâcheux s’éveille à mes côtés, le matin. Il me regarde avec ses yeux d’intrus, implorant. Je ne sais pas dire non. Face à lui, seule la mansuétude, cette faiblesse, cette indulgence excessive, inspire la compassion.

  • Allez, viens.

Le soulagement succède à l’inquiétude. Ça saute du lit, me suit, plein d’une euphorie d’enfant. J’aime la partager, rire avec lui, profiter de sa gaieté. Très vite, sa joie a quelque chose d’étourdissant. Son alacrité excessive confère aux débauches d’ivrogne. Son ivresse me saoule déjà. Les mots, habités d’une frénésie délirante, distribués en vomissures discontinues, projetés en logorrhées incontinentes, suintent sur ma peau. Les pores dégorgent le trop plein. Il s’en abreuve, les crache, les récupère, les recrache. Il tourne en boucle. C’est une fontaine à mots.

J’étouffe. Je respire à grandes bouffées. Je ne veux pas le taire. J’aspire juste au silence, sinon au calme. Je ferme les yeux, sourd aux bruits. Le vacarme s’éloigne. A ces moments d’exaspération, je sollicite la séparation du corps et de l’esprit. Seul secours à ma disposition. Enfin libre. Le silence intérieur pondère les pensées, harmonise les variations discordantes des chaos synaptiques.

Je suis juste au-dessus des dunes. J’entends leurs murmures particuliers. Leur chant interprète le roman secret du désert. La mélodie chuinte, bruit, susurre. Je les vois autrement. Elles changent sans cesse. Le quartz brille sous les reflets lunaires. Un grain glisse encore et tout diffère.

Je reviens et ça continue. Ça ne prend jamais le temps de respirer. Ça ressasse les mêmes culpabilités. Compagnon encombrant, bardé de vastes ailes, ça voudrait s’envoler, se libérer mais ne fait que ramper. Les barrières efficaces, poreuses parfois, l’empêche de marcher. Ça ne lit jamais. La première fois que j’ai entendu l’aveu inconcevable, insoutenable voire scandaleux, j’ai perdu ma naïveté. L’hébétude et l’incompréhension ont pénétré le confort de mon insouciance. Ça bouillonne. Ça végète. Une question s’est invitée d’emblée. Comment peut-on ne jamais lire ? Impossible pour moi de ne jamais avoir soif. Je bois tous les jours. L’appréhension joyeuse de toujours chercher à me désaltérer. Je m’abreuve aux sources du sublime, toujours en quête d’un récit, d’une peinture, d’une musique qui interroge. Et je vous prie d’excuser ça et son incapacité à magnifier les failles. J’aimerai séjourner au dessus des choses humaines. Curieusement, ça aide. Ça débloque sur moi. Le bouillonnement régulier s’éveille et surgit en moi comme une vague irrépressible. Ça tsunamise. Ça chute. Ça angoisse un temps. Les yeux s’ouvrent, les oreilles s’esgourdent, les sens vibrionnent, discrets et vivaces. Ça remue. Ça trébuche. Ça flageole. L’habitude cède toute la place à l’incertitude. Le faux porte en vrai, d’un coup, sans prévenir. Ça jaillit du bas-ventre. Ça subjugue. Ça contraint à l’hébétude. Un véritable ami dès lors que ça fixe les yeux, le matin devant la glace. De bouffon ça devient bouffon. Ça alarme forcément. Ça inquiète. Quand je ne comprends pas, ça digère. Au réveil, même le crachin compagne indéfectible du ciel gris, sourit à la vie. Ça déchire le voile. L’effroi s’efface de bonne grâce au nouvel équilibre. Toutefois, ça souligne la stabilité précaire. Ça engage à l’humilité. Sur moi, ça délègue, je prend le relais.

Je me rencontre, enfin. Ça et là, l’hésitation sème des pétales, ça est là.

Ça nous regarde avec une tendresse surprenante que je n’avais jamais observée, jusqu’ici. Ça berce. Ça embrasse. Ça prend le temps avant une nouvelle exhalaison. Je sais ça. Ça hallucine. Ça connaît Dieu, vu que l’homme l’a créé et que l’homme assassine pour une incertitude illusoire. Dieu est le plus grand prétexte de l’Humanité pour autoriser les plus grandes atrocités. Ça derrière la glace reflète l’ignorance et son armée de barbares. Tu ne lis jamais, passe ton chemin ou bien prends ce livre. Ça se tourne, désœuvré, tremblant.

  • Ça ne sait pas lire.
  • Tu n’es pas un barbare, alors viens dans mes bras.

Je l’embrasse. La barbarie cesse et choisit de tourner la page. Ça change. Ça lit. Un mot, deux mots, une phrase, un paragraphe. Ça rit. Je ris avec lui. Que de temps perdu. Ça retourne à sa besogne. Surmoi veille. Le sas se referme. Tout me protège. Ça concède. Je continue.

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