Le Kaïros

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L’objet tombe, l’objet caché, le soleil brille dans les yeux, éblouissant. Le soleil, juste une étoile. La vie voit le jour. Ça peut être violent, furieux ou bien paisible, et bienveillant. C’est là où commence la vivisection de la pensée. Il suffit d’un rien pour que la vie débute mal ou commence bien. Ça enfonce ou ça élève. C’est pur hasard.

Il suffit d’un jet ; pas grand-chose, un jet ! Rien ne va plus ! L’opportunité est base de toute vie. Time vs right time.

Le hasard ne laisse jamais tomber. L’espace et le temps s’accordent à l’harmonie de la vie. Tout enchaîne, tout déroule. Les choix se succèdent, se transforment en acte, puis en scène et le livre d’une brève de vie s’ouvre sur une fin imprévue et bienheureuse. Tout étonné que ça se construise par hasard en dehors de la conscience ; Union sacrée de la coïncidence et de la contingence ; Instant précieux qui s’apparente au bonheur ; Saisissant si on sait le déceler et le retenir.

— Regarde !

Je me tournais vers l’évènement.

— Si tu n’arrives pas à le capturer…

— Ta gueule !

— Concentre-toi au lieu de m’écouter !

— Putain, mais tu vas te taire, nom de Dieu !

— Chut, il arrive.

Au-delà du brouillard poussiéreux du désert, j’entrapercevais son crâne chauve avec, sur le haut du front, sa touffe de cheveux, protéenne, mouvante et versatile. Il venait assurément des lointaines contrées grecques, fuyant quelques tragédies fomentées par on ne sait quel aède ; Homère peut-être.

— Tu crois qu’il nous apporte de bonnes nouvelles ?

— Lesquelles, celles de Philidippidès ?

— Non, celles du dème.

— Mon pauvre ami, occupe-toi d’abord de l’attraper, tu penseras à la politique plus tard. Chaque chose en son temps.

C’était une opportunité. L’essentiel lié à l’absolu du hasard. Allais-je le reconnaître ou n’étais-je qu’un agnostique ? Etait-ce un évènement parmi d’autres ou la révélation signifiante de mon propre savoir, ou encore le certificat de mon intuition ?

Une angoisse mêlée d’espoir se réfugia au creux du sternum. Il approchait.

— Merde, il a des ailes.

— Tu croyais que ce serait facile.

Ça rit. De ce rire goguenard qu’il affectait dès que je réalisais une évidence.

— T’es sûr de toi ?

Je le dévisageais. Je devais avoir l’air d’un crétin, avec la bouche ouverte à le regarder surpris, béat. Comment peut-il mettre en doute mes certitudes ? L’entreprise est propice. Le temps est propice. Rester et profiter des contingences ou abandonner et laisser passer. Le moment est fugace, la seconde d’éternité. La seconde est déjà beaucoup trop longue au moment d’agir. Avais-je le choix ?

Un claquement de doigts et le temps est passé. Trop tard. Il est parti. Un claquement de doigts, il s’enfuit déjà vers d’autres coïncidences ; pour d’autres qui sauront saisir le passager.

Pourtant, j’ai bondi. Ses cheveux ont frôlé ma paume. Ils avaient un toucher de soie, sa peau n’en parlons pas ! Elle envahira mes jours et mes nuits. Il y a des souvenirs entêtants ; Ceux qui précèdent les regrets. Il y a des souvenirs stimulants ; Ceux qui précèdent les passions.

Sur le sable, sous les pieds du fuyard, les lettres se nouèrent, les ponctuations fébriles s’agitaient autour des mots qui se construisaient. Je sais l’éphémère des traces laissées sur le sable ; Le vent, les vagues grand pourvoyeur de destructions. Je suivis le verbe et les ramassais un par un. Je ressentais ce témoignage comme un présent. Au souffle de la brise douce et patiente, la phrase surgit. « En toutes choses, il est préférable de saisir le bon moment. »

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Je retourne dans le désert.

— Tu n’as donc rien compris ?

— Entre regrets et passions, je préfère les passions.

— Il y a la troisième voie.

— Ah oui, laquelle ?

— Celle d’avancer !

L’essentiel s’est faufilé comme le courant d’une rivière. Je reste seul comme un rocher immobile, soumis aux caresses des éléments, au contrôle illusoire, usé de laisser fuir.

Aurai-je une autre chance ?

J’ai choisi d’avancer avec ou sans lui. Ça me laisse tranquille. Je ramasse le stylo. A l’intérieur, il y a un soleil brûlant. On voit bien qu’il grossit à vue d’œil. En fin, tant qu’il ne rougit pas, on peut rester. Il y a des décisions que je ne peux prendre à minuit, même les nuits de pleine lune. Pourtant, il fait si froid dans la conscience de l’homo natura. Celui de toute éternité façonnant le monde en fonction de ses propres intérêts, de sa vertu, la plus dangereuse, celle qui veut ce qui est juste pour nous tous. Je serai toujours et encore ce pâle criminel, de ceux qui, par choix, débarrassé des illusions, refuseront de porter les sacs à dos qui ne lui appartiennent pas, et sectionnera les sangles du sien. Par curiosité, je regarderai les obscurités qui s’y cachent, juste par sympathie ; Histoire de re-connaître le mien non encore débarrassé de ses impostures que j’éliminerai sans regret. Le monde pourra s’interroger à l’infini sur le désintéressement, il découvrira, s’il s’arrête un tant soit peu sur sa justesse personnelle, la seule vertu -elle décline toutes les autres- qui soit digne d’intérêt, envisageant, face aux reflets de la conscience, l’objet et non le sujet, que l’abnégation est portée exclusivement par l’ambition. Le désintéressé est diablement intéressé.

Je sais que j’ai besoin de lumière. L’ours sort de sa caverne. L’ours reste ours. Sa nature ne le détermine pas à porter la parole. C’est un taiseux. Il agit et d’autres suivront ou l’attraperont ou le tueront en pleine course. Ça engage toujours.

Et c’est ainsi que j’ai appris la nouvelle ; De celle qui inquiète, qui pousse à la fébrilité, aux mouvements. J’étais assis sur le rocher soumis à la tyrannie des vents furieux chargés de poussières fines et pénétrantes. J’étouffais. Ça supportait la douleur et s’acharnait à recoudre les cicatrices. Tout surgit. L’évidence frappa. Le sublime redescendait dans les bas-fonds. La plaine fertile sombrait dans les marécages stériles. Le vieil homme dans son obsolescence abandonna et laissa fuir cette exception bienheureuse du hasard ; La concordance furtive de l’espace et du temps. La vie cessa et la pensée lâcha prise pour s’enfuir avec le Kaïros emportant comme un présent l’immanence de l’éternité.

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