Raideur

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Il ricana d'un ton cassant. Des hoquets résonnèrent pendant plusieurs secondes. Je le fixai. Son souffle était rauque. La cigarette l'avait limé sur un bloc de marbre brut. On ne fragmente pas son corps, dit-on, clope sous la dent.

Nous étions les deux seules personnes en ce lieu, il était encore tôt. L'aube se levait. J'aurais pu être impressionnée par ce vide mais cela importait peu, à l'époque : j'étais jeune et tout m'intriguait. Jeune, forte et profondément heureuse. J'avais cinq ans. Tandis qu'on me surveillait, je courais joyeusement. La fine paupière de l'homme derrière moi, tremblante comme un saule, semblait battre mes mouvements. Intimidée, je riais nerveusement. Papa m'observait. Une fillette courant à côté d'une vieille armure de chevalier : contraste amusant, sinon effrayant.

Je n'en fus pas troublée.

L'armure respirait peu. Papa, assis à la manière des figurants peu importants, sombrait dans un détachement des choses — mes mouvements le berçaient. Après-midi ou douce soirée, le calme régnait. Je regardais tout autour. J'avais peu de recul, ma vision était inclusive, sélective et s'attachait aux mouvements. L'arbre penché paraissait étonné de me voir, le ciel fatigué descendait peu à peu pour annoncer l'orage... L'herbe, beurrée, rappelait le croissant qu'on m'avait acheté auparavant. C'était la période où nous vivions encore dans la maison, tous les trois. Depuis, mon ventre gargouillait tout le temps. Celui de papa également.

Dans un temps relié, tout doucement, comme une miette, sa tête tomba silencieusement. Un ronflement écrasant anéantit l'espace. J'étais surprise, papa n'était pas de ces hommes-là. Amusée, je devins moins attentive. En sautillant dans la haie, tout à coup, mon pied glissa et je tombai par terre, le genou face contre terre. Une douleur pointa. Avec peur, j'essayai de me relever. Je n'y arrivai pas. Ma jambe coinçait sur la pierre où elle s'était cognée et un sang vif se répandit sur ma robe. Cette vue me frappa d'horreur. Je fronçai les sourcils avec peur et mes larmes roulèrent sur la couleur. En relevant la tête, je vis alors, au loin, la figure sombre de papa en équilibre. Plissant les yeux, l'angoisse croissante, j'appelai. La tête ne se releva pas. Je rappelai une deuxième fois, plus doucement cette fois — j'avais honte. Personne. Seulement un silence. Les branches écrasées par un archer invisible tremblèrent en un sanglot aigu.

Je me détendis et pleurai encore.

Papa était devant moi. Relevée, les mains serrant les pans de ma robe, je m'étais rapprochée de lui. En fait, j'avais mal depuis trop longtemps à présent et je n'étais pas fière. Autour de nous, les tombes, comme des violons, expiraient des soupirs solitaires. Papa s'était véritablement endormi. Il s'était recroquevillé sur lui-même, crispé, les doigts froids et roides. En observant mieux, ses ongles violacés formaient un joli contraste avec les touffes de verdure claire. Je l'admirai. Il dormait sans un bruit, tandis que le sang coulait encore. Sa figure, pâle, versait de longues traînées sur le sol. Toutes ces couleurs me donnaient le vertige. Je tenais mal en équilibre. Il fallait désinfecter.

Ça sentait mauvais, papa, le sang et le tabac froid.

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