L'équilibre dissimulé.
Le rendez-vous de l'intersyndicale me tend les bras. Une belle journée s'annonce. Dix kilomètres, une broutille à vélo sous ce soleil printanier. L'idée a germé, une bouffée de liberté avant l'engagement. Sacoche lestée à la hâte, me voilà lancé, cheveux au vent, le sourire vissé au visage par cette sensation si familière et douce. La campagne déroule ses charmes, loin du tumulte des grands axes. À l'approche de Crécy, à un croisement, un sifflement sinistre a déchiré le silence. Pschhhit. La panne, bête et noire ! Et la roue arrière, bien sûr, la plus capricieuse. Pied à terre, vélo en bandoulière, je remonte la rue pour me réfugier sur une placette pour ausculter le désastre. Sous la selle, la trousse de réparation... vide ! L'oubli fatal. Midi et quart. La droguerie n'ouvrira qu'à treize heures trente, l'heure où je dois retrouver les camarades. Une pause forcée, hors du temps prévu. Mes pas m'ont guidé au hasard des ruelles et là, au détour, une scène inattendue. Un jeune homme gracile, le visage et les bras poudrés de farine, s'essaie à l'art du mime sur un vestige de pierre, humble piédestal d'un monument disparu. Le soleil a lentement baigné son visage jusqu'alors ombragé, traçant une ligne nette. La chaleur allait rendre son exercice d'équilibre physique plus ardu, peut-être même intenable. Mais peut-être que je me fais le mauvais interprète, il est possible qu'il attendait précisément cette lumière pour sublimer la beauté de son effort. Captivé, mon regard s'attarde, trouvant une étrange fascination dans cette immobilité expressive. Mes pensées dérivent, bercées par cette image. Le temps s'est arrêté, effaçant l'urgence initiale. Soudain, un klaxon me ramène brutalement à la réalité. Un coup d'œil à ma montre. L'équilibre fragile de ma journée vient de voler en éclats. Il était temps pour moi de prendre la poudre d'escampette.
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