Pour le weekend, Lynn a décidé de m’inviter passer la journée chez elle, un somptueux manoir au bord de la côte. Escortée par son chauffeur venu me chercher très tôt, je me fais chaleureusement accueillir par celle-ci en arrivant sur les lieux.

Mal à l’aise, je ne la laisse initier aucun autre contact qu’une sobre poignée de main, mais heureusement, elle ne semble pas en faire grand cas.

Une fois en face d’Edwin, je tente difficilement de cacher mon trouble derrière un masque d’apparente normalité. Jugeant qu’il vaut certainement mieux chercher un moyen de naviguer à travers cette situation périlleuse sans alerter Lynn qui ne serait, en fin de compte, qu’une victime collatérale de toute cette mascarade.

Un jeune homme, en retrait, s’approche rapidement pour me souhaiter la bienvenue. Celui-ci se présente comme étant Andrew le meilleur ami d’Edwin.

Très extraverti, il engage directement la conversation avec moi. Je fais de mon mieux tout du long pour ne pas paraître renfermée même si, il faut l’avouer, la stérilité de ses conversations n’a d’égal que son manque flagrant de considération pour son prochain. Du moins, à en juger comment il traite le personnel.

Ma patience atteint ces limites lorsqu’il commence à évoquer de grossiers clichés liés à l’Afrique. Heureusement, je suis paradoxalement secourue par Edwin qui nous propose d’aller du côté de la mer, ce que j’accepte avec grand plaisir.

Lynn, censée me conduire aux vestiaires, m’accueille avec une froideur inattendue lorsque je m’adresse à elle. Confuse, je profite d’un moment, seule à seule, pour essayer de m’enquérir de son état.

• Qu’est-ce qui ne vas pas ? Tu es très silencieuse.
• Parce que ça t’importe ? Tu m’as totalement ignorée tout à l’heure.

Embêtée, je me passe la main dans les cheveux.

• De quoi tu parles ?

Boudeuse, elle refuse de répondre, mais je finis par comprendre. Je lui prends la main et je m’excuse sincèrement, promettant de ne plus la laisser à l’écart.

Nous partons rejoindre les garçons après nous être toutes les deux changées. Edwin me regarde avec insistance mais je n’en fais pas cas, émerveillée par la grande étendue d’eau turquoise qui s’étend devant moi.

La sensation du sable chaud sous mes pieds me met du baume au cœur, me rappelant mille et un souvenirs d’enfance alors que la brise marine me souffle dans les cheveux.

• Waouh tu caches bien ton jeu Moune ! Lance Edwin avec un sourire malsain.
• Par contre. Renchérit Andrew. Tu devrais essayer de perdre un peu de muscles, sinon les mecs risqueraient de se sentir émasculés à tes côtés.

Sans lui adresser un regard, je reviens sur mes pas pour prendre ma main de Lynn qui était restée en retrait. Très vite, Edwin vient nous rejoindre et lui chuchote quelque chose à l’oreille, elle s’éloigne sans un mot juste après.

• Fais-moi des tresses s’il te plait. Demande-t-il avec un sourire.

Nerveuse, j’accepte sans trop poser de question. Ses cheveux de son frère sont longs et très soyeux, je fais de mon mieux pour faire quelque chose qui pourrait tenir, mais le fait qu’ils soient aussi lisses ne me facilite pas la tâche.

• Tu as du mal on dirait.
• Ça va.
• Merci de prendre soin de ma sœur.
• Tu parles comme si tu m’avais laissé le choix. Lynn est quelqu’un de très bien, tu ne lui rends pas service en menaçant ses amis.
• Je ne suis pas de ton avis. Le monde est ainsi fait, les gens puisant doivent toujours obtenir gain de cause.
• Tu penses que ta sœur te verrait toujours du même œil si elle découvrait la vérité ?

Il laisse échapper un petit rire.

• Et toi ?

Je n’ose rien répondre, il continue.

• Nos parents, sont constamment absents pour affaires. Je suis le seul à m’occuper d’elle. C’est mon rôle de…
• T’immiscer dans sa vie ?
• Exactement. Ajoute-t-il après un bref silence.

Constatant de lui-même que les tresses ne cessent de se défaire, il se relève de lui-même et se penche vers moi avec un sourire malicieux.

• Désolée, j’arrive à rien.
• Ce n’est pas grave, mais laisse-moi te dire une dernière chose avant de m’en aller.

Faisant mine de m’enlacer Edwin se penche à mon oreille.

• Peu importe ce qui se passe entre nous, ma sœur me reviendra toujours. Fait attention à toi, parfois un simple coup de fil peut changer beaucoup de choses. Tu dois en savoir quelque chose.

Un frisson me parcoure l’échine lorsqu’il prononce ses derniers mots.

Sans un mot de plus, Edwin part rejoindre Lynn et Andrew qui se chamaillent un peu plus loin.

L’esprit dans le vague, je me frotte le bras nerveusement, rejetant ma tête en arrière pour respirer à grandes bouffées.

J’ignore si c’est une chance où une malédiction de l’avoir rencontré dans ce café, mais je suis impuissante devant ces mastodontes. Tout ce que je peux faire, c’est prier que le tout ne m’explose pas à la figure.

*****

Installée à l’ombre, je passe un bon moment à observer le joyeux groupe, Edwin tout particulièrement.

Son autorité et son contrôle sont si manifestes qu'il est difficile de ne pas remarquer à quel point il infantilise Lynn, bien qu'ils soient probablement du même âge. Chaque action de sa sœur requiert son approbation, que ce soit pour nager, manger ou même courir. Le gentil Edwin doit d’abord juger de si le moment est inapproprié ou si c’est sans danger pour sa sœur chérie.

Le plus déconcertant, c'est que pour eux, cette attitude semble parfaitement normale, même avec une jeune femme dans la vingtaine. C'est presque comme si elle devait obtenir sa permission pour se rendre aux toilettes.

• Tu n’as pas l’air de beaucoup t’amuser… Excuse moi, j’aurais voulu qu’on aille faire les magasins mais Edwin n’était pas d’humeur.

Je ne l'ai pas entendu approcher. Scrollant, en apparence nonchalante, sur mon téléphone, je fais un effort monstre pour me retenir de dire ce que je pense.

Elle semble hésitante, je sens qu’elle veux me parler mais qu’elle n’y arrive pas.

• Es ce que ça va ?

Elle sursaute légèrement lorsque je lui parle.

• Pardon pour tout à l’heure.

Je pose mon téléphone et me tourne vers elle, intriguée.

• Mon frère, il t’a menacé pas vrai ?

Très surprise, je regarde immédiatement autour de moi pour voir s’il est à proximité, confirmant immédiatement les doutes de Lynn qui me fixe intensément.

Reprenant mon sang froid, et souhaitant savoir ce qu’elle sait exactement, j’opte plutôt pour des questions innocentes, me doutant qu’elle ne doit probablement pas saisir toute l’ampleur de la situation.

• Comment tu as deviné ?
• Tu es très bizarre depuis votre conversation de tout à l’heure. Qu’es ce qu’il t’a dit exactement ?

Mes doutes semblent se confirmer, j’ai bien fait de demander.

• Il m’a fait comprendre que je devais faire attention à toi.
• C’est tout ?

J’hoche simplement la tête sans rien ajouter. À moitié convaincue, elle tente d’insister mais je ne dis pas un mot de plus.

Même si c’est égoïste de ma part, j’estime qu’elle ne mérite pas d’apprendre la vérité aussi brutalement. De plus, étant largement impliquée, vu que son frère me paie littéralement pour être à ses côtés, j’ai parfaitement conscience que les menaces ne me dédouanent pas complètement.

• Je sais qu’il essaie d’agir pour mon bien mais à la longue ça devient difficile à vivre. Souffle-t-elle tout d’un coup. Merci de ne pas être partie.
• Tu as déjà essayé de lui en parler ?
• Oui… mais la dernière fois que j’ai essayé il… il a très mal réagit.

L’expression de son visage me dissuade d’essayer d’en savoir plus. Comme perdue dans ses pensées, Lynn regarde au loin d’un air morose.

• Tu sais, je me sens si seule parfois. C’est dur d’être entourée de gens qui ne te fréquentes que par intérêt. D’ailleurs des amis, je crois que je n’en ai jamais vraiment eu.

C’est triste à dire, mais je constate amèrement que Lynn me ressemble plus que j’aurais cru. Autant me montrer solidaire en lui apportant du soutient.

Je lui prends la main et la regarde dans les yeux.

• Alors considère moi comme la première.

Un sourire triste se dessine sur son visage. Je me sens affreusement coupable de cette situation, c’est si dur de ne pas savoir quoi faire.