Chapitre 4

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Papa était fantastique.

Il arrivait à me faire croire que les gens méchants étaient simplement jaloux de moi…

- Tu es tellement belle et intelligente, par rapport à eux, qu’ils veulent te faire croire le contraire pour se sentir mieux !

Si seulement, c’était vrai, papa… Mais qui pourrait être jaloux d’une orpheline ? D’une pauvre fille dont le père est mort. Car c’est ce qui s’est passé ce jour-là. Je refusais de croire que tu avais pu partir, sans te retourner, en me laissant seule dans un appartement miteux. Tu n’avais pas pu faire ça, donc je m’accrochais à l’idée que tu n’étais plus de ce monde, même si tout le monde pensait le contraire.

Le collège était la définition de l’enfer, sur terre ! Les gens n’étaient pas jaloux de moi, mais ils aimaient m’insulter, se moquer de moi, et même me frapper. Dans la cour, alors que je n’étais là que depuis un mois, une fille vint me parler. C’était une fille de ma classe, je ne me souviens plus vraiment de son visage, mais elle était plus grande et mieux habillée que moi. Elle me toisait de toute sa hauteur, tandis que je discutais avec une autre fille de ma classe, qui me paraissait sympathique.

- T’es vraiment moche.

Comme toutes les autres fois, cela me fit mal au cœur qu’on me prenne pour cible aussi gratuitement, mais je ne répondis rien. La phrase de mon père me revint en mémoire et je me mis à sourire, amusée. Ce fut ma plus grande erreur, car elle sortit de ses gonds et me donna une gifle que je ne vis pas venir. Ma tête partit vers la gauche, tandis qu’une douleur lancinante perçait ma peau. Je sentis mon cœur battre à vive allure, alors que tous les sons me paraissaient étouffés. Je ne percevais plus vraiment ce qu’elle disait, j’entendais seulement le sang battre contre mes tempes et le rire de la fille qui disait bien m’aimer cinq minutes avant. Je fixais l’arbre à mes côtés, me demandant ce qui se passerait si je me mettais à jouer les plantes vertes. Peut-être m’oublierait-on ? Peut-être qu’à force de rester immobile, je deviendrais réellement invisible ?

Je crois que cela fonctionna, car elle partit et l’autre fille la suivit. Il n’y avait aucune logique, aucune jalousie dans cette violence, papa. C’était simplement de la méchanceté gratuite. C’est ainsi que je compris que tu m’avais menti et que, peut-être, tu avais bien pu partir sans te retourner… Les gens sont méchants et la plupart n’ont pas de motivation autre que le plaisir de faire du mal aux autres. Si de parfaits inconnus sont capables de ressentir du plaisir dans la douleur des autres, pourquoi les proches ne pourraient-ils pas faire de même ?

Je sentis les larmes couler, quand bien même je demeurais figée, incapable de bouger ou de tourner la tête. Mon regard se noyait dans l’écorce du mûrier, je ne suivais pas les lignes fragmentées qui composaient cette muraille de bois, je me noyais simplement dans ce brun profond. Tout était préférable à la réalité où je me faisais gifler aussi facilement et où personne ne prenait ma défense.

Je connaissais cette réalité, celle où les enfants étaient cruels entre eux, mais avant, j’avais un adulte de mon côté. Là, je me retrouvais face à une mer d’indifférence et je ne devais pas me plaindre, car il y avait mille fois pire que moi. Le directeur du foyer n’avait pas le temps de gérer ce genre de choses, pas avec le nombre d’enfants qui arrivaient, qu’il devait placer dans des familles d’accueil, le nombre de dossiers de potentielles familles d’accueil à étudier, sans parler de veiller à ce que des parents en colère ne cherchent pas à venir récupérer leurs enfants. Il n’avait tout simplement pas le temps pour gérer une gifle… De même, les enfants du foyer avaient leurs propres problèmes, je ne pouvais pas leur imposer les miens. Et les professeurs du collège ne voulaient tout simplement pas voir ce qui se passait sous leurs yeux. Si on ne voit pas un problème, il n’existe pas, c’est bien connu.

Malheureusement, cela ne s’est pas arrêté à une gifle. Les insultes se sont intensifiées et c’est redevenu mon quotidien. J’avais quitté une école primaire détestable, pour un collège tout aussi abject. Finalement, c’était le retour à la case départ, alors que tout mon univers était sans dessus-dessous.

Le seul point positif, c’était le trajet en bus. Pendant ce grand laps de temps d’au moins une demi-heure, je pouvais m’asseoir dans un coin et observer le ciel, en tentant de me rendre invisible. De plus, Margaret prenait le même bus que moi et un jour, elle s’assit près de moi. Elle me tendit un écouteur et me dit :

- Tu veux écouter ?

Elle avait toujours son ton et son visage blasé, pourtant ce simple geste me fit chaud au cœur. Je pris l’écouteur tendu et le mis dans mon oreille pour entendre exploser une symphonie de sons qui me transportèrent, loin d’ici. Margaret sourit discrètement et je sentis mon cœur louper un battement. Nous passâmes un trajet très tranquille. Elle dégageait une aura particulière qui faisait que personne ne venait l’insulter, du moins pas en face. Alors je profitais de cette aura pour me dissimuler et, ainsi, échapper aux hyènes qui nous entouraient.

Au fil des jours, cela devint notre rituel. Le matin et le soir, nous prenions le bus ensemble et nous partagions un écouteur. Un matin, emporté par la musique, je chantais légèrement par-dessus la voix de la chanteuse. Elle grimaça, mais j’étais tellement dans mon monde que je n’y fis pas attention. Plus rien d'autre ne comptait, hormis la musique, qui m’enveloppait et me réconfortait. Je ne me rendais pas compte, à ce moment-là, que sa simple présence prenait de plus en plus de place dans mon univers…

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