Un matin fatiguée avec ma mère

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J'Anaïs hésite encore, toujours. Dans tous les sens marche, suit des pas comme l'on suit des gens. Traverse au rouge derrière ceux qui traversent au vert. Des pas assurés à suivre, en se disant que les autres savent mieux, en apprenant à jouer les gens.

Aucun cours à donner ce jour-là, le travail attendra la nuit. Le temps est au jeu, à l'évasion, à la noyade cathartique pour avoir le mode d'emploi du bonheur des passants. Comment ils ne se renvoient pas leur utilité sociale ? Comment ils ne se renvoient pas leur égoïsme ? Comment ils ne se renvoient pas leur passivité face au monde ? Comment ils ignorent les exigences de papa et maman ? Comment tant de choses ? Comment sourient-ils encore ? Comment trouvent-ils encore de nouvelles choses à vivre ? 

Pourtant... oui pourtant, je vois cette fille dans le métro, en train de monter au septième ciel grâce à la force de sa musique, écoute-t-elle du Philip Glass ? Je suis ce vieillard, aussi, qui ne fait pas grand chose si ce n'est admirer ce qui se présente à lui en souriant, ce gosse qui se rend à l'école en sautillant avec ses parents, ce chien qui essaie d'attraper un pigeon, les nuages dans leur balai incessant à travers le ciel, ce taxi qui insulte un passant qui traverse n'importe où. Tant d'occasions pour montrer ses dents au monde entier, si tentée qu'elles soient vraies. Puis ce gars, un coran dans la main, en train de lire à fond, de comprendre, de faire tourner tout ça dans sa tête, de se questionner et se requestionner encore, puis sourire de la coconstruction amenée par la lecture. Cet adolescent, aussi, qui, comme le vieillard, regarde tout le monde, non avec le sourire goguenard du vieillard, mais avec une innocence questionnante du pourquoi des comment de tous.

Il me regarde d'ailleurs. Je sais ce qu'il se dit ce petit con... Déjà trop vieille mais pas si laide que ça, que je dois être casé, surement un gosse ou deux étant donnés les quelques kilos en trop, c'est ça ? Puis quoi d'autre ? Un phantasme d'adolescent, une bonne pipe au fond de la rame ? Rêve pas trop non plus mon petit, tu as toute la vie devant toi avec des filles qui te comprendront mieux que moi avec mes souvenirs qui datent d'une époque où on avait même pas de téléphone... Ouais bon les téléphones, ça casse le romantisme mais ça rappelle à la réalité, les autres ont des gens importants pour eux, qu'ils ont pas juste à côté d'eux... Et ils osent se plaindre.


Cette nuit je n'ai pas dormi. Demain j'ai cours. Demain je remets mes choix à demain et toute la faute sur les autres, leur bonheur qui empêche le mien, leurs choix insensés qu'ils ne comprennent même pas et des deux mains, j'empoigne mon téléphone, et je dis au revoir à ma mère par ce SMS, qu'elle ne recevra pas :  « Salut maman, j'ai philo, tu sais, pas le temps tout ça, je dois lire, je te laisse, sinon je n'arriverai à rien, même pas à profiter de toi avant que tu sois morte. Je t'embrasse, Anaïs. »


Découverte brutale pour tout le monde, j'en conviens, mais il y a parfois où il faut arrêter de se croire unique, une mère reste une mère, en tout cas la mienne ne faisait pas exception. Je l'avais de toute façon déjà abandonnée derrière les belles excuses. 


Maman me remémore ma haine de la nostalgie... Je la vois faire un tas de choses simples, toutes les autres mères font pareil, ou peut-être pas, peu importe, elle me prend sur ses jambes et je me balance, je lui souris et elle me couvre de bisous. Une simple chaleur humaine basée sur des gestes qui font qu'elle se donne à moi, flatte mon égo déjà trop fort de gamine, voilà tout. Je me souviens aussi quand elle a voulu que je n'aille pas vers ce doctorat, que je serai malheureuse. Mon conseil du jour serait donc d'écouter sa mère. Je devrais peut-être lui parler, à moins qu'il ne soit un peu trop tard ? Ah mais suis-je bête, elle reste une mère prévisible qui a tout fait comme il faut au détriment d'elle-même, facile de deviner ce qu'elle dirait : « Bonjour Anaïs, j'espère que ton travail actuel te plaît et que tes élèves ne sont pas trop durs. J'espère que tu te remets bien de ta séparation et que tu reprends du poil de la bête... Tu peux m'appeler si tu veux... Papa te passe le bonjour. Tu viens cette année à Noël ? Bisous ma puce, maman. »


Et j'en tirerai pas grand chose, à part que je ne peux pas l'appeler, merci de l'utilité Maman. Et si je t'appelais tu écouterais sans rien m'imposer, je te connais tu l'as toujours fait, mais non, j'ai besoin que tu me dises quoi faire, un peu, maman, s'il te plaît, que je puisse dire que c'est ta faute, encore un peu, comme avant.

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