Le monde dans trente ans

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 Sa tête bourdonne comme si un marteau frappait à l'arrière de son crâne. Ouvrant les yeux petit à petit, un ciel bleu éclatant lui fait face. Leah se relève péniblement et regarde autour d'elle. Une étendue de sapins aux branches touffues l'entoure. Se demandant où elle se trouve, la jeune fille regarde à sa droite et voit le rocher de l'ours qui symbolise l'entrée d'Idrolat, la ville où elle a toujours vécu. Se demandant toujours ce qu'elle fait ici, elle sort son téléphone portable de sa poche pour envoyer un message à sa mère. Elle grimace à la vue de l'écran... Il reste désespérement noir ! Encore ce problème de batterie ! Elle décide alors de se hâter à regagner la ville avant que sa mère ne s'inquiète.

 Une fois devant le rocher de l’ours, le visage de Leah se fige. Le rocher lui indique bien qu’elle se trouve dans sa ville natale mais les bâtiments ne sont plus les mêmes. Alors qu’Idolat était connue pour ses immeubles de briques rouges, la voici à présent parsemée de buildings tout en verre et d’acier perçant les nuages. Ils sont si hauts que la jeune fille doit se tordre le cou pour en apercevoir la fin. Elle poursuit son chemin. Tout a changé. Les trottoirs sont plus larges, les vitrines de magasins laissent voir des objets futuristes qui sont totalement inconnus à Leah.

 Elle s’approche intriguée devant un immeuble projetant l’hologramme d’une présentatrice de météo qui annonce des jours ensoleillés. “Demain, nous serons le 25 Mai 2050 et nous fêterons les Sophie”. La jeune fille croit, au départ, avoir mal entendu mais la date indiquée à côté de la présentatrice confirme sa crainte. Leah est dans le futur, elle a fait un bond de trente ans. Elle réfléchit à un moyen de revenir à son époque et se persuade qu’en retrouvant sa maison, tout redeviendra normal.

 Elle continue donc son périple. Soudain, elle s’arrête devant un bâtiment qui arbore un drapeau de son pays avec sa devise. Elle en déduit qu’elle se trouve face à la mairie. Elle a bien du mal à reconnaître la bâtisse, elle qui était autrefois bien austère et qui semblait tomber en ruine. A présent, les murs sont tapissés de nombreuses plantes luxuriantes dont certaines que Leah n’a jamais vues. Des personnes sortent de l’hôtel de ville. Ils portent des vêtements plutôt extravagants. Une personne a notamment une veste grise argentée avec de grosses lunettes noires cachant totalement son regard. Une autre porte un pantalon recouvert de strass multicolores. Même la mode a changé !

 Leah poursuit son chemin et s'engage dans une rue à sa gauche qui débouche sur un grand boulevard.

Ce qu’elle voit lui paraît soudainement surréaliste : les voitures circulent sans conducteur ! Elles transportent des passagers à l'arrière qui ne se donnent même pas la peine de regarder la route. Un feu tricolore indique aux voitures de s'arrêter et les véhicules s'arrêtent d'eux-mêmes. Leah s'engage ainsi sur le passage piéton et continue son chemin vers le sud de la ville pour retrouver sa maison.

 Une ombre passe au-dessus d’elle. Elle sursaute. Elle lève la tête et aperçoit une boule géante voler entre les immeubles. La jeune fille plisse les yeux et distingue des personnes à bord. Le véhicule à la peinture blanche nacrée ressemble à un téléphérique. Est-ce un nouveau moyen de transport ? A l'angle d'une rue, elle remarque un regroupement d'individus : ils lèvent la tête pour regarder l'écran géant d'un gratte-ciel. Leah s'approche. Elle est stupéfaite. Des personnes avec un énome brassard où il est inscrit "POLICE" arrêtent des passants, peu importe leur âge, leur sexe. Ils les menottent et les obligent à s’agenouiller à même le sol. Étonnamment, aucun ne semblent se révolter. Sont-ils paralysés par la peur ?

 Soudain, des hommes en tenue de scientifique sortent d’une camionnette. L’un d’entre eux tient une mallette métallique. Il la pose délicatement sur le trottoir et l’ouvre. Il en sort un objet que Leah ne connaît pas. Cela ressemble à une sorte de pistolet-seringue. Le scientifique introduit à l’aide d’une pince un élément que la jeune fille n’arrive pas à déterminer puis le pointe à l’arrière de la nuque d’une des personnes agenouillées. Soudain, cette dernière hurle de douleur mais reste à genoux. Leah en est certaine, le scientifique vient de greffer une puce à l’individu. Un assistant donne une tablette tactile au scientifique qui fait quelques manipulations dessus. Leah regarde les passants à côté d’elle : ils semblent tous impuissants. Elle remarque qu’ils n’ont pas de puce dans le cou.

"Ca ne cessera donc jamais..." soupire un vieil homme.

La jeune fille le regarde. Sur son visage, on peut y lire de la résignation et du désespoir.

- Excusez-moi, que font-ils ? lui demande Leah.

L'homme la dévisage avec surprise :

- Mais vous vivez dans une grotte Mademoiselle ? Le gouvernement a décidé d’insérer une puce pour chaque habitant de ce pays car pour eux, c’est l’avenir ! Plus besoin de téléphone, nous pourrons appeler les gens par la pensée, plus besoin d’ordinateur, ces puces seraient dotées d’une encyclopédie en ligne. Beaucoup de personnes sont contre ce dispositif mais le gouvernement ne nous donne pas le choix, il nous force à les mettre.

Leah détaille le visage de l’homme. Ce dernier semble contenir beaucoup d’amertume dans son regard.

- Pourquoi y a-t-il de la résistance ? demande la jeune fille.

- Tout simplement parce que tout ce que je viens de dire, c’est leur blabla ! répond avec colère le vieil homme. Il poursuit : “Mais personne n’est dupe. Il y a une trentaine d'années, une pandémie mondiale a touché toute la planète si bien qu’elle était devenue hors de contrôle. Au début, les gouvernements ont essayé de réguler les contaminations en confinant leurs populations. Elles ont accepté dans un premier temps mais au fur et à mesure, elles ont commencé à montrer des signes de résistance et c'est devenu une rébellion. Il faut savoir que dans certains pays, cela a été un véritable carnage ! Les gouvernements ont réussi au fil du temps à éteindre les braises et notre pays a voulu se démarquer en se lançant dans l’expérimentation d’introduction de puce.”

 Un silence s'installe.

L'adolescente a un temps d'arrêt. A-t-elle bien compris les informations qu'elle vient d'entendre? Voici à quoi ressemblerait le monde dans trente ans ?

- Mais vous ne l'avez pas encore ?

- Non ! J’ai réussi à passer entre les mailles du filet mais je sais qu’un jour où l’autre, ils me retrouveront, je profite de mes derniers instants de liberté, souffle le vieil homme.

 Leah reporte son attention sur l’écran. Ce qu’elle voit l’horrifie. Un jeune homme semble montrer de la résistance et se débat comme un lion. La police le maîtrise avec un lasso lançant des éclairs blancs. Serait-ce un lasso électrique ? se demande la jeune fille. Comme pour répondre à sa question, le garçon à terre hurle de douleur et la scientifique en profite pour lui injecter la puce.

 Les badauds regardent l’écran géant. Ils s'écrient en chœur et paniquent. Leah se met alors à courir à en perdre haleine. Où se trouve-t-elle ? Ce n’est pas sa ville. Elle s’arrête et ferme les yeux pour se persuader qu’elle est dans un rêve et qu’elle va bientôt revenir à la réalité. Lorsqu’elle ouvre les yeux, une statue représentant un soldat de la Seconde Guerre mondiale lui fait face. Le regard de la jeune fille s’illumine d’un coup. Cette statue n’est autre que l’entrée de son quartier. Excitée à l’idée de retrouver sa mère, elle prend le chemin à droite. Sa maison se trouve dans une zone pavillonnaire calme où tout le monde se connaît. En regardant les habitations, elle a bien du mal à reconnaître son quartier. La plupart des maisons en brique rouge, qui faisaient le charme de ce lieu, ont disparu laissant place à des maisons aux larges baies vitrées, à la pelouse synthétique, au dispositif de caméras de vidéo surveillance. Ces maisons ont la particularité d’être construites à l’identique. Elles possèdent toutes un toit pouvant accueillir jusqu’à cinq panneaux solaires.

 Elle continue de marcher et remarque sur le trottoir d'en face, un robot à quatre roues portant une cargaison. Ce dernier s'arrête devant le portail d'une maison puis émet un signal sonore. Quelques secondes plus tard, un enfant sort de chez lui et tape un code sur le pavé digital du robot. Une fois le code activé, une trappe s’ouvre et le petit garçon plonge la main à l’intérieur du robot pour en sortir un sac en kraft où s’y trouve de la nourriture. Leah reste émerveillée par cette révolution technologique ! Plus besoin de faire les courses !

 Elle regarde le robot s’éloigner et décide de poursuivre son chemin jusque chez elle. Le soleil est brûlant, il semble faire beaucoup plus chaud qu’à son époque.

 Alors qu’elle marche depuis une dizaine de minutes, elle s'arrête devant une maison. Elle est enfin arrivée. Leah reconnaît la porte d’entrée bleue de sa maison. Elle remarque également que la voiture de sa mère n’est plus garée devant le garage. Elle s’approche de l’entrée et tente d’ouvrir la porte avec ses clés. La serrure a été changée ! Elle fait alors le tour de l’habitation pour entrer par la porte de derrière. Soudain, elle passe devant la fenêtre de la cuisine et se pétrifie de stupeur. Tous les meubles ont changé. La vieille table en bois de la cuisine a été remplacée par une imposante table noire, la tapisserie a été enlevée pour laisser place à des murs blancs.

“Je peux vous aider jeune fille ?” l’interpelle une voix dans son dos.

 Leah se retourne pour tomber sur une femme d’une cinquantaine d’années. Elle a une longue chevelure brune et porte des talons si hauts que Leah se demande comment elle fait pour ne pas tomber.

- Qu'est-il arrivé à la femme qui habite ici ? Avant ? lui demande Leah.

- L’agent immobilier qui nous a vendu la maison nous a indiqué qu’elle était partie en maison de repos suite à la disparition de sa fille.

La jeune fille tombe des nues, elle n'arrive pas à croire ce qu'il se passe.

- Mais non ! Je n’ai jamais disparu ! Sa fille c’est moi ! Où se trouve ma mère ? s’écrie Leah. - Écoutez, je n’en sais pas plus et si je peux vous donner un avis, vous ne devriez pas aller la voir, cela risque d’être un trop grand choc pour elle. Sur ce, bonne journée Mademoiselle. Sans même laisser le temps à Leah de répliquer, la femme lui ferme la porte brutalement au nez.

 La mort dans l’âme, la jeune fille retrouve la rue et s’assoit sur le bord du trottoir pour retrouver ses esprits. Que va-t-elle devenir dans ce monde qu’elle ne connaît point ? Où sa mère se trouve-t-elle ? Pourquoi ce monde est-il devenu si violent ?

“Courez ! Ils arrivent” hurle une voix brisant le silence du quartier. Leah se redresse et tourne la tête en direction des cris. Au loin, des bruits de pas se font entendre et semblent se hâter. Des gens courent dans la rue. Son sang ne fait qu’un tour. Elle comprend très vite que la police arrive ! Il est hors de question qu’elle se fasse attraper, qu’elle reste bloquée dans une époque qu’elle ne connaît pas. Elle se met alors à courir et pour aller plus vite, elle enjambe les haies séparant les jardins des habitations. Son instinct de survie se réveille et son corps se transforme en robot. Soudain, elle s’arrête net. Des policiers se dirigent droit vers elle. Elle regarde à droite, à gauche. Aucun échappatoire. Puis, par réflexe elle se dirige vers l’étang à côté de sa maison. Elle ne met pas beaucoup de temps à calculer le taux de dangerosité de ce qu’elle s’apprête à faire, c’est soit ça, soit la puce. Elle fonce alors vers le bassin puis saute toute habillée dans l’eau. L’étang est glacial et l’eau s'imprègne dans ses tissus. Elle ferme les yeux et tente tant bien que mal de retenir sa respiration. Elle entend la voix des policiers. Ils sont sur la rive et la cherchent. L’air de ses poumons commence à se libérer et la jeune fille panique. Son corps la ramène contre son gré à la surface. Ça y est. Sa cavale prend fin. Leah est condamnée à rester ici.

 Une sonnerie stridente se fait entendre. La jeune fille se réveille en sursaut. Dégoulinante de sueur comme si elle avait plongé dans l’eau, elle met du temps à comprendre où elle se trouve. Le mur gris tapissé de cartes postales lui rappelle qu’elle est dans sa chambre. Elle regarde l’écran de son téléphone : Jeudi 15 Avril 2021. Leah prend sa tête qui lui semble bien lourde entre ses mains. A-t elle rêvé ? Elle jette sa couette à ses pieds et regrette, l’espace d’un instant ce geste au vu de la température assez fraîche de la pièce. Elle enfile ses chaussons et se dirige vers la cuisine. Là se trouve sa mère en train de s'affairer pour préparer le petit-déjeuner. La jeune fille lui saute au cou.

Sa mère, surprise par tant d'engouement lâche :

- Et bah ! C'est bien la première fois que ma fille se lève de bonne humeur ! Tu n’as pas dormi cette nuit !?

- Si seulement...

 Elle regarde la cuisine. Rien n’a changé. La tapisserie rouge est toujours présente. La table en bois de chêne est bien cirée, aucune once de poussière ne semble avoir élu domicile sur cette dernière. La jeune fille ouvre la porte d’entrée pour humer l’air matinal du printemps. Dehors, les habitants du quartier se pressent pour ne pas rater leurs transports. La vieille voiture de sa mère est toujours garée devant la porte du garage. Elle ne peut s’empêcher de soupirer de soulagement. Jamais un rêve ne l’a mis dans cet état-là. Tout paraissait si réel.

 Leah s’assoit sur une chaise et sa mère vient la rejoindre avec le petit-déjeuner. Les yeux encore dans le vague, elle mélange son bol de chocolat chaud. Le poste est allumé sur la chaîne des informations. Elle ne regarde guère la télévision habituellement mais cette fois-ci, un élément retient son attention. Leah tourne sa tête vers l’écran, un journaliste sur le plateau présente un nouveau produit qui promet d’être révolutionnaire. Son sang se glace. Il montre une puce à insérer dans le corps des humains pour qu’ils puissent communiquer entre eux. Il annonce même que la phase de test se révèle concluante et que nous pourrions espérer une mise sur le marché d’ici l’année prochaine. N’en croyant pas ses yeux, elle sent son petit-déjeuner remonter et le crache.

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