Un cadeau pour Garp, un gâteau pour tous les autres

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Une salve d'applaudissement partit dans les airs, si fort qu'on pouvait se demander si ce n'était pas à celui qui aurait les mains les plus douloureuses. Quelques uns sifflèrent, d'autres giflèrent la table et tapèrent du pied. Bertholomé fourra quatre doigt dans sa bouche et souffla jusqu'à ce qu'une veine apparaisse sur son front, ne produisant qu'un « pfffff » qui partit comme un pet foireux, pendant que les filles et petites-filles de Garp courraient derechef à la taverne.

Lorsque les dames et demoiselles revinrent, tirant une planche à roulette surmontée d'un paquet de papier kraft marron si encombrant qu'elles eurent du mal à passer la porte – sans qu'il ne vienne à l'idée de qui que ce soit de venir les aider –, les acclamations éclatèrent de plus belle.

« Joyeux anniversaire, mon chéri » lança Belle-Marie, une fois que les filles eurent laissé le cadeau au milieu de la cour. Et la foule répéta un « joyeux anniversaire » tonitruant, avant de prendre une lampée de vin dilué.

Sauf pour le Gros Todd, qui n'y mettait plus d'eau. Comme il avait dégobillé, peut-être qu'il battrait son record à l'occasion de la fête. Beaucoup restait à venir.

Ému, Garp se leva du banc, gentiment raillé par ses amis, et entama le déballage du cadeau. Quand tout le papier fut à terre – et Garp prit un malin plaisir à prendre son temps, déchiquetant l'enveloppe par tous petits bouts, au plus grand damne de celles qui auraient à tout nettoyer –, les applaudissement fusèrent encore, avec beaucoup de sifflets d'admiration.

Feints, pour la plupart, car presque tous savaient de quoi il s'agissait : une gigantesque horloge de noyer, gravée de dessins d'or. Sous l'énorme loupe de verre, les aiguilles de platine filaient une course bien étrange, pendant que le balancier d'or marquait la cadence.

« Comme tu n'arrêtes pas de dire que tu préférerais décompter les ans plutôt que de les additionner, reprit Belle-Marie, j'espère que cette horloge là te donnera satisfaction.

  • Je n'aurais pas pu rêver mieux, chevrota Garp en regardant les aiguilles grignoter le temps à rebours. Désormais, l'Hameçonnoire ne donnera la bonne heure qu'à midi et minuit ! Merci à tous de ce cadeau magnifique, mes amis ! »

Et sous la cacophonie des claquements de mains, de pieds, de tables, de coupes, des sifflements et des acclamations, Garp entreprit d'embrasser tout le monde, alors que les larmes lui faisaient briller les yeux.

Et quand je dis qu'il se mit à embrasser tout le monde, c'était véritable tout le monde ! Croyez-moi sur parole, ça en faisait un paquet. Mais qu'importe, à présent il avait tout le temps devant lui, avec son horloge qui trottait à l'envers.

Après la horde de câlin qui s'en suivit, c'est sur le coup de 17h30 – ou 6h30 dans l'autre sens – qu'on apporta le gâteau d'anniversaire, lui aussi aussi sur planche à roulettes. La pâtisserie tenait sur plusieurs étages, tous remplis de crèmes et de fruits différents, chacun soutenu par des piliers de biscuit au pain d'épices. À l'extérieur de la tour, un colimaçon fait de chocolat grimpait jusqu'au sommet, une bougie sur chaque marche. Il y avait bien plus à souffler que Garp n'avait d'années, mais la coutume voulait qu'on plante le plus de flamme possible sur un gâteau d'anniversaire.

Selon la superstition, l'intéressait vivrait autant d'années qu'il parvenait à souffler de bougies – je vous vois sourire d'ici, mais c'est pas plus con que de faire un vœu. Bien sûr, il fallait les éteindre en une seule fois. Alors, se frottant les mains, le vieux Garp s'accroupit jusqu'en bas de l'escalier, encouragé par les cris des invités. Fin prêt, le tavernier inspira une grande goulée d'air, puis souffla sur la première bougie. Pas très fort, mais assez pour qu'elle vacille et s'éteigne presque aussitôt. Il devait économiser son souffle pour aller jusqu'en haut.

Et c'est bien mieux, à mon avis : ça empêche de cracher sur le glaçage en expirant comme un bœuf.

Après la seconde bougie, Garp fit un pas de côté, pour tourner autours du gâteau en même temps que le colimaçon, se redressant également au fur et à mesure. Plus il soufflait de flammes, plus les encouragements étaient intenses. À la cinquantième bougie, pas loin de la mi-parcours, le vacarme était assourdissant. Devlan Royce et Lily-Beth y allaient aussi de bon cœur, main dans la main. À la cinquante neuvième, Garp avait le teint rouge et suait du front, presque à bout de souffle. Ce qui ne l'empêcha pas de continuer, loin de là, puisqu'il parvint à la soixante et onzième, avant de buter sur la soixante douzième, qui flancha un peu mais sans s'éteindre.

Les applaudissements giclèrent encore, et les tapes dans le dos et sur l'épaule aussi. Soixante et onze c'était bien, ça lui faisait quatre ans de rab. Le temps de récupérer sa respiration normale, le tavernier attrapa un couteau à faire frémir un boucher et gueula :

« amenez-moi vos écuelle, qu'on fasse sa fête à ce gâteau ! »

Nouveaux applaudissement. Et c'est avec un enthousiasme non dissimulé que Garp coupa la première part, qu'il fourra dans l'assiette de Belle-Marie. Après quelques coups de couteau supplémentaires, il laissa les petites-filles faire.

En Gentleman, Devlan Royce s'empara de l'écuelle de Lily-Beth et alla lui en chercher une jolie part. Une de l'étage à la fraise, avec une crème blanche épaisse et onctueuse. Pour sa part, il prit de celui aux noix, accompagné d'une crème au beurre couleur châtaigne. Les convives ne prirent même pas la peine de retourner s'asseoir, et c'est sur la pelouse verdoyante de la cour qu'on dévora la pâtisserie. Maladroitement – ou adroitement peut-être –, Lily-Beth réussit à se mettre de la crème blanche au bout du nez. Sans attendre, Devlan s'essuya les mains au torchon qui pendait à sa ceinture, avant d'épousseter délicatement la belle. Elle le remercia d'un baisé sur la joue, et pour la seconde fois de la journée, Devlan Royce se trouva bien emmerdé de ne pas pouvoir mettre les mains dans ses poches.

Quand à peu près un quart de la tour de crème, de fruit, de pain d'épices et de chocolat fut partie, l'ambiance tomba un peu, digestion d'un repas copieux oblige. Certains dormaient, comme Joe Raverdi. Allongé dans un hamac tendu entre deux hêtres en fleur, le violon reposant dans sa boite qui gisait sur l'herbe, le musicien ronflait comme deux personnes. Les enfants turbulents des Primvairs et des Bourgont ne semblaient pas le déranger, alors que ces derniers s'amusaient des bruits qu'il faisait avec son nez.

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