05. Les filles sont d'attaque

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Joy

Me voici de retour à l’ESD, et j’avoue que je suis moins heureuse que je ne le pensais. Sans doute est-ce dû au fait qu’Alken est à la maison par obligation depuis bientôt une semaine et que je le vois plonger lentement mais sûrement dans la déprime. J’arrive à lui faire oublier ses tracas de temps à autre, mais lorsque je suis en cours en visio, je le vois sur le canapé, à lire encore et encore la même page, perdu dans ses pensées, et ça me fait mal au cœur.

Revenir ici ce matin pour un cours de classique avec cette folle qui ne croit même pas le père de son fils, celui de qui elle a partagé la vie pendant des années, ne m’a pas non plus réjouie plus que ça. D’autant plus que j’ai déjà mal à la cheville et qu’il n’est même pas treize heures. Je pense que je vais souffrir pendant un moment et ça me gonfle particulièrement, mais je ne peux pas me permettre d’être absente trop longtemps. Trois semaines, c’est déjà beaucoup, et j’ai des cours à rattraper, des notions manquées à apprendre. Heureusement, Kenzo m’a montré pas mal de choses à la maison, au fur et à mesure, ce qui m’a permis, je pense, de ne pas prendre trop de retard, même si rien ne vaut la pratique.

J’ai croisé Charline en arrivant, et mon envie de l’étriper s’est brusquement accrue. Et elle est encore bien présente à la cafétéria, alors que je la vois rire et s’amuser à quelques tables de là. Kenzo, à mes côtés, bouillonne lui aussi, et forcément, les conversations tournent autour d’Alken à notre table, encore et toujours. Enfin, ce n’est pas pour les mêmes raisons aujourd’hui. La présence de son propre fils ne semble même pas gêner nos camarades de classe. C’est fou.

— Vous voulez bien arrêter deux minutes de jaser, sérieusement ? m’agacé-je alors que je suis restée silencieuse jusqu’à présent.

La conversation s’arrête brusquement et tous les yeux se tournent vers moi, avant de dévier sur Kenzo.

— Oui, tu as raison, c’est pas très poli. Excuse-nous, Kenzo.

Mon ami fait un signe de main et replonge le nez dans son plat de pâtes alors que plus personne n’ose piper mot.

— Vous ne croyez tout de même pas à ces conneries, sérieusement ? ne puis-je m’empêcher de demander alors qu’ils se lancent des regards.

— Ben… On ne sait jamais vraiment, Joy, soyons honnêtes, me répond Jasmine.

— Est-ce qu’Alken a déjà eu un geste déplacé à votre égard ? Est-ce qu’il a déjà tripoté l’une de vous en cours ? Posé sa main là où il ne fallait pas alors qu’il vous montrait un pas ? Est-ce qu’il vous a déjà fait des avances ?

Personne ne me répond par la positive, et les filles font tour à tour non de la tête. Hallelujah.

— Alors arrêtez de douter, bon dieu. Alken n’aurait jamais fait ça.

— Oui, enfin, elle a quand même pu clairement dire qu’elle l’avait vu nu, jusqu’à parler de sa cicatrice d’appendicite, Joy.

— Et alors ? Si c’est elle qui est entrée dans la salle de bain pendant qu’il y était ?

— Joy, intervient Kenzo, laisse tomber.

— Mais non ! Ça me tue que vous le voyiez tous comme coupable alors qu’il a toujours été respectueux avec chacun de nous. J’ai passé le weekend à Paris avec lui quand on a fait le concours de salsa, il n’a rien fait de déplacé avec moi.

Enfin, rien que je n’ai pas demandé.

— Peut-être que tu ne l’intéresses juste pas, intervient Camille.

Ah, si tu savais, ma petite.

— Peut-être bien, continué-je alors que j’entends Kenzo pouffer peu discrètement.

— Comment il va, Kenzo ?

— Mais mal ! m’emporté-je. Comment veux-tu qu’il aille ?

Kenzo me donne un coup de genou dans la cuisse et je me dis qu’il faut vraiment que je me calme. Il a raison. Je prends ça bien trop à cœur pour la tablée, mais je le vis de l’intérieur et cela me tue de voir Alken dans cet état. Il oscille entre colère, et c’est là qu’il est le mieux, et déprime, ça me fait tellement mal au cœur. Je me sens totalement impuissante et je déteste ça. Même ses petits messages me semblent refléter son humeur maussade.

— Effectivement, il n’est pas très bien, avoue Kenzo. Il est accusé à tort, il ne le vit pas bien. Surtout qu’il n’a pas vraiment pu se défendre pour le moment.

— Elle a porté plainte ou pas ? demande Sarah.

— Pas que je sache, j’en sais rien en fait, mon père n’a pas de nouvelles depuis qu’il a été mis à pied. Et elle… Elle vit sa petite vie tranquille alors que lui est au fond du trou.

— Vous la pensez capable de mentir, sérieusement ? s’interroge Jasmine.

— Et pourquoi pas ? demandé-je. Vous pensez vraiment Alken capable de ça ? Si ça marche dans un sens, ça marche dans l’autre. Charline a pu tout inventer parce qu’elle n’a pas supporté qu’il la repousse.

— Je n’ai pas menti !

Oups. Je comprends mieux les gros yeux des filles assises en face de moi. Je me tourne vers la mytho et la toise sans gêne. Elle a un aplomb monstre qui pourrait presque me faire douter si je ne connaissais pas Alken.

— Ah oui ? Prouve-le. Parce qu’on sait tous, ici, qu’Alken est incapable de faire ça.

— Je n’ai rien à prouver, moi, j’ai ma conscience pour moi. Il me harcèle depuis le début de l’année, tout le monde l’a vu, et là, il a dépassé les limites. Tu imagines qu’il a failli me sauter dessus alors qu’il était nu ? demande-t-elle en prenant un air courroucé.

— Il te harcèle ? On ne doit pas avoir la même définition de ce mot, grogné-je en repensant à la fois où elle lui a montré ses seins. Tu te rends compte que tu bousilles une carrière par frustration ? Que tu fais du mal à une famille parce que tu joues ton enfant gâtée ?

— N’importe quoi, tu délires, Joy ! Tu es amoureuse de lui, c’est ça ? Je m’en fous de bousiller sa carrière, lui, il est en train de bousiller ma vie. Je n’arrête pas d’avoir en tête la vision de son sexe encore à moitié dur et couvert de sperme, tu imagines le choc ? Le traumatisme, ce n’est pas pour sa famille, c’est pour moi. Il mérite ce qui lui arrive et tu devrais t’estimer heureuse qu’il n’ait rien tenté sur toi, si tu veux mon avis. A moins qu’il l’ait fait et que tu aies aimé ça ? me demande-t-elle, perfide.

— Oh arrête tes conneries d'actrice ! Tu es dans une école de danse ici, pas une école de cinéma ! m'énervé-je en me levant pour m'approcher d'elle. Crois-moi, je sais à quel jeu tu joues, espèce de folle. Moi, je t'ai vue danser avec lui en répétition, je t'ai vue te pavaner devant lui, prête à ouvrir les cuisses à la moindre sollicitation de sa part. Tu mens, et ça finira par te retomber dessus. Il n'y a pas besoin d'être amoureux de quelqu'un pour vouloir la justice.

Autour de la table, tout est silencieux et tout le monde nous écoute. Tous les regards sont portés sur nous et je me sens telle une guerrière au milieu de l’arène. Malgré mes attaques et mes coups, Charline n’abdique pas. Elle me regarde méchamment.

— N’empêche que si vraiment ce que je disais n’était pas vrai, tu crois pas que ça fait longtemps qu’il l’aurait dit ? Tu as beau prendre sa défense et me critiquer, lui, il est où pour se défendre ? Il se terre dans son coin, c’est un aveu de culpabilité, si tu veux mon avis. Et je dis ça devant son fils sans rougir, tu vois. Parce que lui est un type bien, pas comme son père. Alken est un pervers qui ne mérite plus d’être enseignant. Il mériterait presque de finir ses jours en prison pour éviter qu’il n’attaque d’autres jeunes femmes comme moi. Alors, si tu ne veux pas que je t’en mette une, arrête tes insinuations sur moi, s’il te plaît. C’est moi, la victime, je te rappelle, pas cet enculé de prof qui ne pense qu’avec sa bite, vocifère-t-elle. Je te jure que si je devais inventer des trucs pour le couler, je le ferais.

Je serre les poings pour ne pas être la première à lui en coller une. Son aplomb me démonte.

— Et tu le fais déjà, espèce de cinglée ! Il a été suspendu sans même pouvoir donner sa version des choses, où veux-tu qu'il soit ? Bon sang, mais tu es complètement dingue. Elle est complètement fêlée, cette fille ! Tout le monde connaît Alken ici, et toi tu débarques et tu penses qu'on va tous gober tes salades ? Et pour quoi, au juste ? Parce qu'il ne s'est pas jeté sur toi quand tu lui as montré tes seins en pleine répétition pour votre concours ?

Je sais que je n'aurais pas dû dire ça, mais c'est sorti tout seul, et au final, j'espère la déstabiliser un peu et lui faire perdre de sa superbe, à cette foutue garce qui ne doute de rien.

— Joy, calme-toi, intervient Kenzo alors que Charline rougit jusqu’en haut de ses oreilles. Elle n’en vaut pas la peine, cette conne. C’est gentil de prendre la défense de mon père, mais ce n’est pas en lui criant dessus que ça va changer quelque chose.

Il s’arrête de parler et la regarde finalement, provoquant ainsi une forte gêne chez elle, qui s’accroît encore quand il reprend la parole.

— Charline, je sais que tu mens. Tout le monde sait que tu mens. Réfléchis bien à ce que tu fais car quand mon père arrêtera de vouloir protéger l’ESD et ira porter plainte contre toi pour diffamation, c’est ta carrière à toi qui s’arrêtera. Et quand ce sera le cas, je peux t’assurer d’une chose : je serai le premier à t’enfoncer. Les salopes comme toi, elles ne finissent pas danseuses, même si elles ont du talent. Elles finissent au mieux caissières dans un supermarché avec trois gosses à nourrir à la maison. Au pire, elles finissent dans un bordel, et je crois que tu es bien partie pour ça.

Je souris car il me dit de me calmer mais s’emporte à son tour avec la même énergie que moi.

— Kenzo, calme-toi voyons, ris-je en prenant mon plateau. Attention au karma, la Mytho. Le retour de bâton risque de faire mal. C'est quand même dommage d'avoir autant de talent et de le gâcher parce qu'on est vexée par un mec qui nous rembarre. Tu viens, Kenzo ?

— J’arrive, la Mytho va pouvoir continuer à déblatérer ses mensonges tranquillement. Salut les amis, ça pue le mensonge, ici, on se casse, nous.

Il se lève alors que la rousse nous regarde toujours la bouche ouverte. Elle ne s’est pas remise du coup des seins montrés en répétition et je jubile de l’avoir mise en difficulté comme ça. Nous allons vider nos plateaux et sortons du réfectoire sans plus lui accorder un regard. Kenzo soupire à mes côtés alors que nous nous installons sur un banc dans la fraîcheur de cette fin d'automne.

— Ça me tue de la voir ici comme si de rien n'était alors que ton père… Bon sang, j'ai envie de la défigurer, je te jure. Je suis pas quelqu'un de violent, mais là…

— Tu l’as bien remise à sa place, déjà, c’est cool. Mais elle a raison sur un point, il faut que mon père arrête de se lamenter et commence à se battre. Si les gens n’entendent que le point de vue de cette pimbêche, il ne s’en sortira jamais.

— Si seulement il avait parlé de ce qu'elle faisait plus tôt à Elise, bon sang, soupiré-je. Elle s'en sort bien, là. Pourquoi le croire lui ? Ah, ça m'agace. Je sais pas quoi faire avec ton père en plus, c'est frustrant.

— Il faut juste continuer à le soutenir et à lui redonner la foi. Là, il croit que sa carrière est foutue, mais la petite, elle craque facilement. Il faut qu’il se batte et toi seule peux réussir à lui donner envie, Joy. Je compte sur toi.

Je ne suis pas persuadée d’être la seule à pouvoir lui donner envie. Et il me colle une pression de dingue sur les épaules, là. Qu'est-ce que je peux bien faire de plus ? Je ne vais tout de même pas le menacer de partir s'il ne se bouge pas ? Si seulement elle pouvait vraiment craquer et avouer qu'elle ment comme elle respire, tout serait bien plus simple. En attendant, nous devons faire avec un dépressif en colère à la maison qui ne sait plus qui il est où presque. Parce que mon amoureux est un danseur, et aussi fataliste soit-il, il n'envisage pas sa vie sans danser. Opération sauvetage ? Plus facile à dire qu'à faire.

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