10. La salsa de l'amour

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Alken

Rafael est agaçant avec le charme dont il sait faire preuve à tout moment, mais comment lui en vouloir ? Il fait ça avec un tel naturel et une telle innocence qu’on ne peut que lui pardonner ! Je commence à avoir l’habitude depuis le temps, mais sa manie de faire des vers tout le temps fait tourner la tête de toutes les femmes ! Même celle de Joy qui a l’air d’apprécier ses rimes. Il faut dire qu’il a du talent, l’avocat, et je ne peux de toute façon pas être jaloux car c’est vers moi qu’elle lance tous ses regards amoureux, c’est moi qu’elle embrasse dès qu’elle en a l’occasion, c’est moi qu’elle caresse discrètement sous la table.

En attendant le dessert, j’écoute distraitement Charlotte raconter une histoire sur ses enfants et ce qu’elle a prévu de faire avec eux pour Noël. J’ai clairement l’impression qu’elle ne fait pas les choses à moitié quand il s’agit de cette fête et cela a l’air de mettre Rafael un peu mal à l’aise. Tu m’étonnes, je suis sûr qu’il lui demande d’aligner les guirlandes et de les rendre symétriques par rapport à une ligne que seul lui peut voir dans la pièce.

— Et vous, vous allez faire quoi pour Noël ? demande Rafael qui a envie de changer de point de vue afin d’oublier toutes ces histoires qui mettent à mal son sens de l’ordre.

— Joy va aller chez ses parents à Paris, soupiré-je. Et Kenzo va sûrement aller skier avec ses amis. Moi, je ne sais pas encore. Aller manifester mon mécontentement devant l’ESD ?

— Je doute qu'il y ait du monde pour te voir manifester, mon Cœur. Mais si tu veux me kidnapper et m'éviter les retrouvailles familiales, j'aurais une excuse pour rester avec toi, si tu veux de moi, rit Joy à mes côtés.

— Ah non, je ne veux pas me mettre Beau-Papa et Belle-Maman à dos avant même d’officialiser notre couple, ris-je. La seule chose pour laquelle je te kidnapperais bien, ce serait un concours de danse !

— Il faudrait que ce soit bien loin, pour être sûr qu’on ne se fasse pas surprendre… Y a vraiment des inconvénients à être avec toi, en fait, sourit-elle en me faisant un clin d'œil, moqueuse.

— Et si ce soir, on oubliait tous ces inconvénients et qu’on allait danser au bar cubain, pas loin du centre-ville ? demandé-je soudainement en la regardant. Je suis sûr que Rafael et Charlotte pourraient se joindre à nous ! Tu en penses quoi, ma Chérie ? Peu de risques de tomber sur tes camarades, non ?

— Moi, je suis partant, répond tout de suite Rafael. J’ai trop envie de vous voir danser tous les deux !

— Je ne sais pas, Elizabeth va me trucider si je ne suis pas à trois cents pourcents demain matin, grimace Joy. D’un autre côté… Un peu de salsa ne ferait pas de mal.

— On s’en fout d’Elizabeth, non ? Moi, j’ai trop envie de danser, ce soir. Et avec toi, ça fait trop longtemps. Si tu veux, je te ferai un mot d’excuse, pouffé-je sous le regard amusé de nos amis.

— Oui, bon, ok, mais pas trop tard alors. Je m’en fiche d’Elizabeth, mais c’est quand même une note qui compte pour mon diplôme.

Je ne sais pas ce qu’il m’a pris, mais j’ai eu tout à coup envie de danser avec elle, de retrouver les sensations de Cuba. Sûrement l’évocation, tout à l’heure, du voyage que nous avons fait et qui avait été si merveilleux. Ou alors, ce prospectus que j’ai reçu dans la boîte aux lettres et que j’ai mis de côté sur la table du salon. Il me fait de l'œil depuis un moment, mais je n’avais pas saisi l’occasion. Là, c’est le moment rêvé pour y aller. Et je suis content que Rafa et Cha viennent avec nous, ça leur changera les idées à eux aussi. Ou alors, car ils ont plutôt l’air heureux de vivre, ils pourront ainsi célébrer leur victoire au procès de Marie.

— Vous n’avez pas un couvre-feu pour les enfants ? demandé-je alors que Rafael insiste pour régler l’addition pour tout le monde.

Repas d’affaires selon lui.

— Non, ils sont chez mes parents, dit-il, tout sourire. Soirée de jeune couple pour nous, ce soir.

— Vous avez l’air trop heureux, ça fait plaisir à voir. Mais ce soir, plus de rimes, c’est moi qui vais séduire ta partenaire. J’ai un déhanché contre lequel tu ne peux pas rivaliser, je te préviens ! dis-je en rigolant alors que nous rejoignons nos dames devant le restaurant.

— Tu le préviens de quoi ? demande Charlotte, suspicieuse.

— Il pense pouvoir te séduire avec un déhanché, Chadamour. Dis-lui à quel point le mien te fait moins d’effet que mes poèmes, tu t’en fiches des postérieurs, hein ?

— Ah non, mon chéri. Je suis sûre que les fesses d’Alken, c’est quelque chose ! Et j’adore ton petit cul, Rafajoliesfesses. Alors, si tu peux me faire des vers en dansant, là, je me jette sur toi tout de suite !

— Allez, arrêtez les enfantillages, vu le temps, on prend le bus pour y aller. Suivez-moi ! dis-je en prenant le bras de Joy.

Elle s’abrite sous mon parapluie, me permettant ainsi de profiter de sa chaleur contre moi.

— Je t’aime, lui soufflé-je doucement après lui avoir volé un petit baiser.

— J’espère bien, je risque les foudres de ton ex pour danser avec toi, quand même, rit-elle. Si c’est pas une preuve d’amour, ça !

Nous arrivons rapidement au bar et nous nous installons à une table qui donne directement sur la piste de danse. Quelques couples sont déjà en piste, mais personne que nous connaissons, c’est déjà ça.

— Alors, vous nous faites une petite démonstration ? me demande Rafael. Que je sache si j’ose me lancer ou pas !

— T’inquiète, Rafa, tu n’as pas le choix de toute façon, Charlotte ne va pas te laisser tranquille tant que tu ne l’auras pas entraînée sur la piste de danse ! Mon Amour, on y va ? demandé-je à Joy en lui tendant la main.

— Avec plaisir, Prof, ça fait une éternité que nous n’avons pas dansé tous les deux, ça me manque !

— Nous, on vous admire. On vous rejoint après, indique Charlotte en me poussant dans le dos.

Moi aussi, ça m’a manqué, cette sensation qui nous prend quand on va débuter un spectacle ou un show. Ces dernières semaines, avec la pause dans le spectacle à Paris, je n’ai pas beaucoup dansé et là, pouvoir le faire avec Joy en plus, c’est un vrai plaisir. Comme dans une parade amoureuse, je fais le beau et m’incline devant ma jolie brune qui me fait une petite révérence, un grand sourire affiché sur ses lèvres. Elle se saisit ensuite de ma main et, pris par mon envie de redécouvrir cette joie avec elle, je la saisis par les hanches et l’entraîne au milieu de la piste alors que la musique termine son introduction. Le rythme se lance et, immédiatement, je retrouve mes réflexes et prends le contrôle de la danse. Joy, dans une parfaite communion, répond d’instinct à toutes mes invitations, même les plus discrètes. Rapidement, les autres danseurs s’arrêtent et se mettent en cercle autour de nous, aussi bien pour admirer ce que nous faisons, les pas que nous enchaînons a priori sans difficulté, mais aussi pour nous laisser la place de nous exprimer.

A plusieurs reprises, Joy me surprend par des enchaînements que je ne la croyais pas capable de faire et je hausse donc mon niveau pour répondre au sien. Nous ne sommes plus deux individus qui dansent ensemble mais un couple fusionnel où chacun est un élément de ce tout qui nous unit, où chacun exprime une partie des émotions et sentiments que l’autre complète. Défiant toutes les conventions, à plusieurs reprises pendant la danse, nous nous embrassons comme si cela faisait partie de la chorégraphie sous les sifflets envieux des spectateurs et leurs applaudissements. Du coin de l'œil, je vois que tout le monde nous regarde, même les clients assis au bar. Je suis fier de cette attention qui démontre la magie qui opère quand je me produis avec ma dulcinée qui virevolte avec une grâce extraordinaire. Je pense que même si j’étais agile comme un éléphant, avec une partenaire comme elle, notre danse serait un succès. Et comme je me défends moi aussi plutôt bien, le résultat dépasse toutes nos attentes et quand la musique s’arrête et qu’elle se retrouve lovée contre moi, le silence s’empare de la pièce. Il n’est brisé que lorsque Joy se jette à mon cou et m’embrasse à pleine bouche, ce qui déclenche les applaudissements de tous les présents. Je me retrouve à faire un salut avec ma jolie brune avant de regagner notre place auprès de Rafael et Charlotte.

— Eh bien, je vais avoir du mal à rejoindre la piste après ça, rit Rafael. Merci pour les complexes !

— Même pas un petit poème pour nous féliciter ? le charrié-je, heureux que Joy choisisse de s’asseoir sur mes genoux. Tu sais que nous avons remporté un concours, tous les deux, c’est notre métier, la danse. Tu n’as pas à avoir de complexe !

— Ne trouve pas de mauvaises excuses, Rafacomplexé ! La prochaine danse, on leur montre aux deux tourtereaux que nous ne sommes pas que des avocats incapables de se trémousser ! Ça n'a pas l’air bien compliqué : un peu de déhanché, quelques baisers et surtout, beaucoup d’amour ! Vous étiez beaux tous les deux. Et toi, Joy, tu rayonnais tellement, c’était magnifique !

— C’est tellement agréable de danser avec Alken que je ne pouvais que sourire, rit Joy. Il ne fait pas tourner les têtes pour rien, hein ! C’est… Magique, quand il danse, quand on danse avec lui… Bref, difficile de ne pas être sous le charme.

Lorsque la musique s’arrête, je m’amuse de voir Charlotte insister auprès de mon ami avocat pour qu’il se bouge de sa chaise. Je me penche vers eux et dis assez fort pour qu’ils m’entendent :

— L’avocat est invité à danser par la princesse, il va falloir qu’il se bouge les fesses, sinon c’est avec le danseur qu’elle s’en ira, et ce sera tant pis pour l’avocat !

— Si même Alken se met à faire des vers, tu es obligé de venir, Rafabloqué ! Allez, en piste, mon Amour. Je suis prête, moi !

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Rafael se lève et se joint à Charlotte pour danser la salsa. Ils s’aiment tous les deux, c’est clair. Leurs pas sont improvisés et ils n’y connaissent rien en danses cubaines, mais ils y vont sans se préoccuper du regard des autres. Ils ne se voient qu’eux et c’est beau de les voir se mouvoir à deux. Ils évoluent au milieu des autres comme s’ils étaient dans une bulle que personne ne peut percer. Je suis sûr que c’est aussi ce qu’il se passe quand je suis avec ma jolie brune. Je l’observe et elle a l’air aussi attendrie que moi en les regardant danser. Elle se tourne enfin vers moi et, constatant que mon attention est dirigée sur elle, elle m’embrasse comme si c’était la première fois, avec une fougue et une passion qui me réchauffent le cœur.

Joy a beau dire qu’elle adore danser avec moi, c’est moi qui suis sous le charme. Je l’aime, cette femme, plus que tout au monde. J’aime danser avec elle, j’aime zouker, valser, tanguer, salser et tout le reste quand elle est dans mes bras. Etre avec elle est le meilleur des remèdes contre le mal qui me ronge petit à petit. Et la danse n’est pas le problème. Clairement, quand je danse, je me retrouve. Ce n’est pas parce que l’ESD me refuse ce plaisir que je dois m’en passer. Je suis un danseur, moi. Il faut que je vive ma passion !

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