13. Mélissa sait ça, Mélissa me tue

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Joy

Je ne sais pas si c’est l’idée de retrouver Alken dans une petite heure, mais le repas passe à une lenteur encore jamais atteinte. Et pour autant, je suis d’une humeur joviale. Ma mère peut me dire ce qu’elle veut, je m’en fous totalement, tout me passe au-dessus de la tête. Je ne pense qu’à mon amoureux qui, depuis le train, me harcèle de messages. Je sens mon téléphone vibrer encore et encore dans la poche de mon pantalon, et je n’hésite pas à me précipiter dans la cuisine pour aller chercher la bûche et en profiter pour lire ses textos.

— Arrête Alken, mon téléphone devient presque un vibromasseur avec tes sms ! Aussi agréable que cela puisse être, j’ai déjà vraiment hâte de te retrouver, tu sais ? Je n’ai pas besoin de ça. C’est pour bientôt ! ♥

— Qu’est-ce que tu fais ?

Je sursaute et me retourne en entendant la voix de mon frère. Le sourire qui se dessine sur ses lèvres me dit qu’il sait exactement ce que je peux bien faire et je lève les yeux au ciel en riant.

— J’ai besoin que tu m’aides, Angel. Trois jours chez les parents, je suis au bout de ma vie, j’ai besoin de prendre l’air.

— Tu n’aurais pas plutôt un chéri à aller retrouver ?

— Justement, c’est le bol d’air en question, oui.

— Je peux avoir la vraie version ? Je veux bien t’aider, mais j’ai besoin de comprendre pourquoi tu ne l’invites pas ici.

— Pour entendre Maman balancer plein de saloperies à mon sujet ?

— Joy…

Son regard inquisiteur et à la fois réellement peiné me trouble, et je soupire en lui tournant le dos pour sortir la bûche du congélateur. Je crève d’envie de tout avouer à mon frère, d’avoir son avis sur la question, sur comment mes parents pourraient réagir concernant mon couple. Mais je ne suis pas sûre de pouvoir compter sur sa discrétion. Quoiqu’on a quand même fait quelques bêtises ensemble qu’il n’a pas caftées.

— Il a quarante-et-un ans, Angel, avoué-je. Et encore, s’il n’y avait que ça…

— On s'en fout de l'âge, non ? Il a l'air de te rendre heureuse, c'est ce qui compte. Il y a quoi d'autre ? C'est un meurtrier ? Un bandit internationalement recherché ? Non, ne me dis pas que c'est un danseur de tango ! rigole-t-il affectueusement.

— Tu me promets que tu ne diras rien, même aux parents ? C’est super important, Angel, pour ma carrière, pour la sienne… Enfin… Disons que c’est l’un de mes profs, soupiré-je.

— Tu fricotes vraiment avec un de tes profs ? Et c'est du sérieux ou c'est juste pour le fun ? Tu as l'air accro, en tous cas.

— Je le suis. Et c’est réciproque, même si particulier puisqu’on doit se cacher de tout le monde ou presque. On… On vit ensemble, à vrai dire.

— Ah oui ? Et tu caches ça même à ton frère ? Tu n'es pas enceinte aussi ? Il faut qu'on retourne avec la bûche sinon elle va être fondue, mais après tu me racontes tout. J'ai envie de savoir comment tu as dragué ton prof en cours !

— Je ne veux pas te casser ton petit kiff, là, mais en fait je l’ai rencontré avant les cours. Je ne savais pas que c’était mon prof quand j’ai couché avec lui, ris-je. Bref, je te raconterai tout ce que tu veux savoir, mais demain, parce que j’ai rencard dans une heure et je compte bien découcher.

— Je plains tous tes camarades de classe qui s’imaginaient déjà te séduire, rit-il. Mais OK, motus et bouche cousue, foi d’Angel la tortue !

Je lève les yeux au ciel en souriant et l’embrasse sur la joue avant de ramener la bûche à table, me prenant, évidemment, une réflexion de ma mère sur le temps passé dans la cuisine. Je m’en fiche, je laisse courir. Mon père doit être content que tout se passe bien alors que ma mère ne se repose pas, même un jour férié et qui plus est celui de Noël.

— C’était délicieux, dis-je en posant ma cuillère. On a assuré, Papa, comme toujours. Tu es un formidable cordon bleu.

— C’est toujours un plaisir de cuisiner avec vous deux. Vous devriez venir plus souvent, on vous accueillerait de bon cœur !

Une pointe de culpabilité me gagne en pensant au fait que je suis venue plusieurs fois à Paris sans passer le voir. S’il n’y avait pas ma mère, franchement, je suis sûre que je viendrais plus souvent, mais j’avoue que notre relation est tellement compliquée que je n’ai pas envie de me prendre la tête plus que nécessaire.

Je me lève pour débarrasser la table et apporte son café à mon père. Pas envie, et pas le temps, d’en prendre un également cette fois. J’ai vraiment envie de filer, besoin d’aller retrouver mon chéri, et rien ne m’en empêchera. J’espère… J’envoie un message à Alken pour lui demander de m’appeler et enlève le vibreur de mon téléphone. Quand il sonne, je réponds et prétends qu’il s’agit d’une de mes meilleures amies du lycée que je n’ai pas vue depuis des lustres. Je ne suis même pas sûre qu’elle soit encore sur Paris, mais à la guerre, comme à la guerre.

— Tiens, salut Mélissa ! Ça me fait plaisir de t’avoir au téléphone, ça fait une éternité. Comment vas-tu ?

— Mélissa ? Tu fais quoi là, mon Amour ? me répond Alken qui n’a pas tout suivi. Tu es seule, c’est pour ça que tu voulais que je t’appelle ?

— Oh, oui, oui, ça va très bien, merci ! Je suis chez mes parents, oui, dis-je en tentant de rester sérieuse. On sort tout juste de table d’ailleurs.

— Tu es bizarre, ma Chérie. Ça me fait plaisir d’entendre ta voix, mais je sais que tu sors de table, tu viens de m’envoyer un SMS, répond Alken, toujours aussi perplexe. Il y a un souci ?

— Non, non, je vais voir avec mes parents, merci pour l’invitation Mel, je te tiens au courant alors. Ça me ferait plaisir de te revoir, c’est sûr !

— Oh, je vois ce que tu fais, rigole Alken. Mélissa t’attend au café habituel, dans le quinzième, d’accord ? Et Mélissa t’embrasse plus que tendrement, coquine !

— Moi aussi je t’embrasse, à tout à l’heure !

Je raccroche en souriant et me tourne vers mes parents, l’air désolé. Mentir… Je prends un peu trop l’habitude à mon goût, mais je me vois mal leur dire que j’ai rencard avec mon homme. Autant dire qu’ils ne me lâcheraient pas la grappe pour que je l’invite ici plutôt que de pouvoir profiter tranquillement, loin du giron de ma mère.

— Mélissa m’a invitée à manger chez eux ce soir. Je ne sais pas si vous vous souvenez d’elle ? Bref… Ça ne vous dérange pas si j’y vais ?

— Tu nous laisses déjà le jour de Noël ? s’indigne ma mère. Elle n’a pas de famille, cette Mélissa, pour t’inviter alors qu’on est en famille ? Dis-lui que tu iras la voir demain ou plus tard dans la semaine !

— Je suis là depuis trois jours, et pour encore quasiment une semaine, Maman. On a tout le temps de profiter pour se chamailler, ne t’inquiète pas.

— Invite-la donc ici, me dit mon père, conciliant. Elle est la bienvenue et au moins ta mère n’aura pas à te reprocher ton départ.

— Mais non, moi ça me ferait plaisir de revoir Mélissa, intervient mon frère qui a vu que je galérais. Et puis, ça nous fera un petit temps entre jeunes si on y va. Ylona, ça te dit de venir faire un tour avec nous ? Promis, on ne rentre pas tard. Allez, Joy, dépêche-toi d’aller te préparer, il ne faut pas faire attendre cette pauvre Mélissa !

Je me retiens de lever les yeux au ciel en l’entendant insister un peu trop lourdement sur le prénom, et vais l’embrasser sur la joue avant de me dépêcher de gagner ma chambre. Bon sang, mes parents sont pires que des sangsues. Moi qui ai pris l’habitude de ne pas les voir souvent, j’avoue que retourner à la maison, redevenir la fille qu’on couve, ce n’est pas le truc que je préfère.

Je me rafraîchis rapidement et me regarde dans le miroir en me demandant si mon frère ne m’est pas venu en aide pour pouvoir en profiter pour rencontrer Alken. En soi, cela ne me dérange pas plus que ça, puisqu’il ne semble pas choqué par le fait qu’il soit plus âgé ou qu’il soit mon professeur. J’envoie malgré tout un message à mon amoureux pour le prévenir.

— Merci d’avoir galéré à jouer le jeu, beau danseur ! J’arrive, je vais partir de la maison. En revanche, possible que je ne sois pas seule, mon frère m’a filé un coup de main pour avoir la possibilité de fuguer.

— De vrais adolescents ! Mais tant mieux, l’important est qu’on puisse se voir ! A tout de suite ma chérie. Signé Mélissa.

Je glisse ma brosse à dents et une culotte propre dans mon sac à main avant de redescendre, trouvant mon frère et sa copine déjà vêtus de leurs manteaux. J’enfile le mien et vais embrasser mes parents en m’excusant, même si je ne suis quasiment pas désolée. J’ai presque envie de courir. C’est stupide, sans doute, mais j’ai trop hâte de retrouver mon danseur.

— J’imagine que vous m’accompagnez jusqu’à ma destination ? demandé-je à mon petit frère alors que nous nous dirigeons vers la bouche de métro.

— Comme tu veux, Joy. Ça me ferait plaisir de rencontrer ton mec et de me faire mon opinion sur lui, mais si tu préfères, on te laisse en route, on joue aux amoureux romantiques avec Ylona et on rentre en disant que tu avais trop de choses à raconter à cette Mélissa barbue, pleine de poils et bien montée, et que tu restes chez elle pour la nuit. Tu vois, je suis le parfait petit frère !

— Désolée de vous faire mentir, soupiré-je. Tu me promets de ne pas être un emmerdeur comme pourraient l’être les parents ? Et qui te dit qu’il est barbu et bien monté, d’abord ?

— Parce que je connais tes fantasmes, ma chère sœur. Et que, pour prendre des risques comme ça, j’espère que la marchandise en vaut la chandelle ! Bref, promis, je ne vais lui poser que cinquante questions et je vais juste lui faire signer un pacte de respect de ta personne avec le sang que j’aurai prélevé directement dans son cœur. Tu vois, c’est pas être emmerdeur, ça, si ?

— Espèce de fou, ris-je. Heureusement que je n’ai pas été aussi barrée quand tu m’as présenté Ylona. La pauvre, sinon ! Promis, pas de pacte avec le sang de ton cœur, Ylona. Je demande le respect, c’est tout.

C’est vrai, quoi. Je fais confiance à Angel sur le choix de sa chérie. En revanche, si elle le fait souffrir, elle va elle aussi morfler, pas de doute. On a beau ne pas se voir très souvent, avec mon petit frère, je reste la grande sœur plutôt protectrice. Mais, ça semble bien coller, tous les deux.

Plus nous approchons de mes retrouvailles avec Alken et plus je stresse. Je suis ravie de le retrouver, mais je ne peux m’empêcher d’appréhender la rencontre avec Angel. Je ne sais pas pourquoi, au final. Je ne doute pas qu’il appréciera Alken. Après tout, une fois qu’on passe outre son mensonge du début de notre histoire, comment résister ? J’ai hâte de le voir, c’est fou qu’après seulement trois jours, mon besoin de le retrouver soit si fort. Cela me conforte dans mon choix de ne pas tenter New York, c’est certain.

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