28. Les Irlandais sont partout

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Alken

Lorsque j'entre dans la cuisine, je suis accueilli par des miaulements plaintifs et une boule de poils qui vient se frotter à mes mollets nus.

— Oh, bonjour Salsa. Tu as déjà faim ? Tu sais bien que c'est Joy qui te nourrit le matin, pas moi. Ça lui fait tellement plaisir de s'occuper de toi, il va falloir patienter.

Je me baisse néanmoins et la caresse. Elle arrondit son dos et se dresse sur le bout de ses pattes avant de glisser son cou sous mes mains. C'est fou ce qu'elle est câline avec Joy et moi. Par contre, elle évite Kenzo au maximum et il lui en veut un peu. Qui sait pourquoi elle ne lui fait pas confiance ? Peut-être parce qu'il n'était pas là le jour où on l'a recueillie au refuge ?

Je me fais mon café et prends un peu de pain pour avoir assez d'énergie pour tenir jusqu'à midi. Salsa vient se nicher sur mes genoux et réclame encore des caresses. Elle est aussi demandeuse que sa maîtresse qui est en train de prendre sa douche. Quand elle nous rejoint, Salsa se précipite à sa rencontre. L'appel du ventre est plus fort que l'attrait des caresses !

— Je t'ai préparé ton café, ma Chérie, comme ça, tu peux t'occuper de notre protégée.

— Merci, sourit Joy en prenant la boule de poils dans ses bras.

Elle dépose un baiser sur ma joue et sort les croquettes bio et naturelles qui coûtent un bras qu’elle lui a achetées. Y a pas à dire, cette chatte est dans un cinq étoiles ici, et elle a déjà repris du poids. Il faut dire que ma chérie la bichonne tout particulièrement et que je ne suis pas en reste. Salsa saute d’ailleurs des bras de sa maîtresse sans hésitation lorsqu’elle remplit sa gamelle.

— Et voilà, un peu de nourriture et on n’existe plus, sourit-elle.

— Heureusement que tu n'es pas comme ça avec moi, me moqué-je gentiment.

— Pauvre petit chéri, tu serais totalement délaissé, rit Joy en venant s’asseoir à mes côtés.

— Tu sais si Kenzo a dormi ici, cette nuit ? Si c’est le cas, je peux vous amener tous les deux à l’ESD en voiture ce matin.

— Je l’ai entendu rentrer oui, mais pas se lever. Il faudrait peut-être aller le déjouquer de son lit.

— Tu sais, ça fait extrêmement longtemps que je vis en France, mais toi, tu es toujours capable de me sortir des mots que je ne connais pas, même si je comprends le sens. Déjouquer ? répété-je, incrédule qu’un tel mot puisse exister.

— Pardon, je vais essayer de penser à ne pas utiliser de patois, Chéri, pouffe-t-elle. Va donc réveiller ton gosse, et dis-lui de descendre son linge sale au passage, sinon Belle-maman le laissera sortir à poil.

— C’est pas toi qui fais son linge, quand même ? demandé-je. Il abuse, Kenzo ! Tu n’es pas sa bonne ! m’exclamé-je en me levant.

— C’est moi qui lui ai proposé, charmant bougon. On utilise moins d’eau si on met en commun, non ? Et puis, ça lui arrive de le faire aussi. Enfin, j’évite de lui filer mes sous-vêtements, quand même.

Je n’en reviens pas que mon fils ait réussi à s’arranger comme ça. C’est un petit malin et je vais lui en toucher deux mots même si Joy a l’air de trouver ça normal. En tous cas, ce n’est pas comme ça que je veux l’éduquer et je veux qu’il apprenne à être un parfait gentleman.

— Debout là-dedans ! crié-je en tambourinant sur sa porte. Tu es réveillé, Kenzo ? C'est pas le tout de faire la fête le soir, il faut assumer le matin !

— Oui, oui, je suis debout, une minute ! marmonne-t-il derrière la porte.

— L'Ange de la maison dit que tu peux descendre ton linge sale, Monsieur le profiteur.

— Je ne profite pas, me dit-il en ouvrant la porte. On partage les machines. Vous ne faites pas ça, vous ?

— Je me suis toujours occupé de mon linge, mon Grand. Je suis un gentleman qui assume sa part de tâches ménagères !

— Je fais des lessives aussi, P’pa. On pense juste un peu plus à la planète que toi, pour le coup, parce que tes machines ne doivent pas être pleines, contrairement à nous, dit-il en haussant un sourcil, presque accusateur.

— Ah, si c'est pour l'environnement, je m'incline. Dépêche-toi quand même. Je vous emmène à l'ESD et je ne veux pas être en retard !

Il grommelle une réponse presque inaudible et je repasse par ma chambre pour récupérer mon téléphone et regarder mes messages. J'essaie de me concentrer sur mes notifications mais ce n'est pas simple avec Joy qui se change à côté. Elle est tellement sexy quand elle enfile ses leggings rouges sur ses jambes galbées. Et le décolleté de ce top est tout simplement divin ! J'adore !

— Ferme la bouche, mon Chéri, ce n'est que moi ! me lance-t-elle avant de souffler un bisou dans ma direction.

— Comment font les garçons de ta classe pour rester concentrés quand tu es là ?

— Mais ils ne le sont pas, c'est pour ça que je suis la meilleure, non ? Je rigole, ajoute-t-elle rapidement en voyant mon air jaloux que je n'arrive pas à masquer. Personne ne s'intéresse à moi, à l'ESD. Ce qui n'est pas le cas pour toi. Tu en fais mouiller des petites culottes, sexy Prof !

Elle me gratifie d’un immense sourire et file s'occuper du linge pendant que je passe enfin à la lecture de mes messages. Et un nom me saute aux yeux immédiatement. Tim O'Field ! C'est le frère de ma mère, un peu la seule personne qu'il me reste comme famille. Quand il m'écrit, ce n'est jamais bon signe, c'est que quelqu'un que je connais est décédé. J'hésite à ouvrir le mail avant de partir au boulot, mais la curiosité est la plus forte. Avec son style d’écriture, j’ai l’impression qu’il est là, en face de moi, en train de s’adresser à moi avec son fort accent irlandais. Il est fermier et n’a pas eu beaucoup d’éducation. Il a passé une bonne partie de sa jeunesse à aider les combattants de l’IRA en plus, pas vraiment l’endroit pour apprendre l’anglais londonien. Bref, pour une fois, il n’écrit pas pour annoncer un décès, mais lui et sa femme, Suzanne, veulent célébrer leurs quarante ans de mariage en venant en France. Et il me demande s’il peut venir me voir à la maison. Lui, le fermier irlandais va sortir de chez lui ?

— Joy ! crié-je à travers l’appartement. Tu es là ?

— Oui, je suis dans la salle de bain ! J’arrive ! Un problème ? dit-elle en débarquant dans la chambre.

— Mon oncle Tim vient de m’écrire. Le frère de ma mère. Tu sais, je t’en ai déjà parlé un peu rapidement.

— Oui, je vois de qui tu parles. Et ?

— Eh bien, il fête ses quarante ans de mariage et ils vont venir nous rendre visite ! Tu imagines ? Des fermiers irlandais qui ne sont même jamais allés en Angleterre et n’iront probablement jamais, vont venir en France, c’est pas incroyable, ça ?

— Heu… Oui, oui, incroyable, vraiment. Ils viennent quand ? Que je sache quand je dois retourner à la coloc.

— Ben non, tu restes ici ! Il n’y a aucun souci à les rencontrer, voyons ! Je veux pouvoir te présenter à ma famille, quand même ! Ils viennent dans quinze jours et devraient rester entre trois et cinq jours. Ils veulent aller à Paris, aussi.

— Tu crois qu’on ne risque rien à se montrer ensemble devant eux ? Qu’est-ce qu’ils vont penser de moi ? Enfin… De ce que tu me dis, ils sont un peu coincés quand même.

— Ça va aller, Joy. Tu n’as pas envie d’officialiser un peu les choses ? Et avec eux, aucun risque. Ils vont passer quelques jours avec nous, ensuite visiter Paris et retourner dans leur campagne irlandaise où personne ne va jamais les voir. On est tranquille et j’avoue que j’ai envie de te présenter à eux. Leur montrer qui tu es, que tu me rends heureux, m’enthousiasmé-je.

— D’accord, si c’est ce que tu veux, ça me va. J’espère juste qu’ils… Ne vont pas me détester, rit-elle nerveusement.

Je l’observe et vois qu’elle a dans son regard le même air qu’elle prend quand elle aborde un concours ou un examen. Elle stresse et je ne sais pas pourquoi. Elle est parfaite, et qui pourrait la critiquer ? Je me lève et m’approche d’elle.

— Personne ne peut te détester, ma Puce. Tu es la plus belle, la plus gentille, la plus formidable, que pourraient-ils demander de plus pour leur neveu ?

— Je ne sais pas, moi. Si je suis si formidable, tu m’expliques pourquoi ma mère me déteste ? Je ne dois pas être aussi géniale que ça, soupire-t-elle. Je suis sûre qu’ils vont penser que je cherche à profiter de toi ou je ne sais quelle connerie du genre.

— Tu sais que ta mère se trompe ? Enfin, si tu préfères, j’invente une excuse bidon et je leur prends une chambre d’hôtel, comme ça, tu n’auras pas à les rencontrer. C’est comme tu veux.

— Non, non, Alken. Profite de ta famille. Ça ira. Dans le pire des cas, j’ai l’habitude avec ma mère. Tu es content de les voir ?

— Oui, ça fait trop longtemps, et puis, si tu les connais, quand on ira les voir en Irlande, ça sera plus facile de t’adapter parce que tu les auras déjà vus. Je peux leur confirmer, alors ?

— Oui, oui, bien sûr. Tu peux confirmer. Espérons juste que ça ne chamboule pas trop Salsa, elle est un peu peureuse, quand même.

— Espérons surtout que Salsa va rassurer un peu sa maîtresse, car c’est elle qui a l’air un peu chamboulée. Tout va bien se passer, ma Chérie. Je t’aime, et on a affronté pire que ma famille pendant quelques jours, tous les deux. Viens donc me faire un câlin, je crois que tu en as besoin.

— Ne te moque pas, adorable danseur, sourit-elle en venant se lover dans mes bras. C’est stressant de rencontrer la famille de la personne qu’on aime, tu ne te rends pas compte, tu connais déjà mes parents et mon frère, toi.

— Je connais tes parents en tant que Prof, oui. Le jour où ils sauront pour nous deux, je ne donne pas cher de ma vieille peau ! souris-je un peu amèrement. Et tu as de la chance, car après eux, tu auras rencontré quasiment tout le monde, je pense. C’est pas si compliqué que ça, tu vois !

— J’ai tellement hâte de voir la tête de ma mère quand je vais lui dire qu’on est ensemble, pouffe Joy. Mon frère t’aime bien, et il ressemble beaucoup à mon père niveau caractère. Je suis sûre que mon paternel ne dira rien non plus. Quant à ta famille… Ils aiment bien Elizabeth ?

— Elizabeth ? Non… Ils la trouvaient trop… Française. Il faut dire qu’elle n’a jamais fait l’effort de leur parler en anglais. Il fallait toujours traduire pour elle, cela n’aide pas l’intégration, tu sais. Mais toi, ça va aller !

— On verra bien, soupire-t-elle. Au pire, je leur collerai Salsa dans les bras, ça les détendra !

La petite chatte a dû entendre son nom car elle vient nous rejoindre et se glisse entre nous pour obtenir les caresses dont elle raffole. Sa présence a l’air de détendre Joy qui retrouve immédiatement le sourire. Si c’est le remède magique au stress de mon Amour, je crois que j’ai vraiment bien fait d’accepter sa demande d’avoir un animal de compagnie !

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