Fourmis

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 Les jours qui suivirent furent paisibles et sans grandes péripéties notables. Si Minos restait très peiné, il regagnait, petit à petit, de sa bonne humeur caractéristique. Il parlait de plus en plus et écoutait désormais avec intérêt les racontars de Kelvin. Ils s’étaient tout de même arrêtés un jour dans une ferme pour proposer leurs services contre un peu de nourriture. C’était du quitte ou double, mais l’homme n’avait pas paru intrigué par le mutisme de la jeune fille. La nouvelle n’était pas encore venue jusqu’aux oreilles de l’agriculteur. Il leur avait donné de précieuses vivres pour quelques jours en échange de la tonte des advouquetin.

 Lorsque Minos s’écorcha le genou sur une pierre, Maya ouvrit pour la première fois sa caisse à pharmacie. Elle lui avait fabriqué un cataplasme et désinfecté la plaie, redécouvrant au passage les parchemins reliés que madame Cardamome lui avait confiés en même temps. Elle n’avait pas le temps en ce moment, mais elle se jura d’en trouver pour les lire.

 Ils venaient de reprendre la route après leur pause de midi quand ils arrivèrent à l’orée d’un bois. Il s’agissait généralement de passages tranquilles, parfois ponctués par le passage d’un petit gibier qui provoquait le ravissement de Minos et les gargouillis de Kelvin. La marche était menée par Pan, à l’affût. Cette fois-ci encore, tout paraissait calme et serein et il n’y avait pas d’autre bruit que celui du vent dans les feuilles mortes.

  Ils écoutaient distraitement Kelvin déblatérer pour la sixième fois une histoire dont il ne cessait de changer les détails. Cette fois-ci, Minos préféra observer les alentours. Soudain, le berger remarqua l’attitude particulièrement méfiante de Pan. Il était plus proche d’eux que d’habitude, lui qui menait toujours la marche en éclaireur. Il ne cessait de tourner la tête à droite et à gauche et tapait parfois le sol avant de faire un pas. Ce n’est qu’après quelques minutes que le dompteur remarqua un objet d’une blancheur étonnante parmi les feuilles mortes. Il s’en approcha prudemment et écarquilla les yeux en distinguant enfin l’objet de sa curiosité.

 Il s’agissait du squelette d’un animal de la taille d’un jeune aurulve. Il n’aurait su dire avec certitude s’il s’agissait bien d’un félin sauvage, mais ce qui le choquait le plus était la blancheur immaculée des ossements. Il ne restait pas la moindre parcelle de chair ou de poil. Il regarda autour de lui avec suspicion puis se décida à rejoindre les autres, Pan sur les talons. En marchant, il remarqua, près d’un buisson, un autre squelette. Il allait s’en rapprocher quand, par hasard, il vit le responsable. Ou plutôt les.

 — Stop ! s’écria-t-il en s’immobilisant. Faut qu’on s’éloigne d’ici !

 — Quoi ? s’étonna Kelvin, Maya manquant de lui rentrer dedans. Qu’est-ce qu’il se passe ?

 — Faut qu’on sorte avant qu’on se fasse attaquer ! Faites attention où vous mettez les pieds !

 Maya et Kelvin échangèrent un regard interrogateur. Ils s’avancèrent prudemment pour le rejoindre malgré les avertissements. Puis, quand ils furent à sa hauteur, la muette frissonna.

En file indienne depuis le sol, des centaines d’insectes grouillaient pour grimper dans l’arbre ou en descendre tout en transportant de petits morceaux de chair. Ces fourmis étaient particulièrement grosses, de la taille de son petit doigt. Qui plus est, elles disposaient de mandibules proéminentes. Un vrai cauchemar pour toute personne n’appréciant pas le petit monde des insectes.

 — C’est des fourmis ogres, dit Minos d’un ton grave qui ne lui ressemblait pas. C’est super, super dangereux ! Même que parfois, on retrouve des belettes de gens qu’elles ont mangés !

 — Allons, des petites bêtes ne vont manger pas les grosses !

 — C’est pas drôle, elles ont dû tuer un oiseau ou un écureuil en haut de l’arbre !

 — Mais non, voyons, comment une petite fourmi pourrait-elle tuer un écureuil ? Regardez, on peut simplement les écraser !

 C’est ce qu’il fit en appuyant la paume de sa main sur un des insectes qui grimpait, provoquant un petit craquement. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que ses congénères qui la suivaient lui montent dessus. Il retira rapidement sa main puis la secoua dans tous les sens pour s’en débarrasser. Mais c’était trop tard, car les quelques arthropodes déjà là avaient planté leurs puissantes mandibules dans sa peau. Comme si ça ne suffisait pas, toutes les fourmis qui avançaient vers l’arbre changèrent brusquement de chemin pour grimper sur Kelvin, qui se débattait comme il pouvait.

 Saisie d’effroi, Maya fit un pas en arrière. Le pauvre Kelvin était assailli de toutes parts. La muette vit même des insectes tomber depuis les branches et tenter d’atterrir sur le brigand, qui criait de peur et de douleur. Heureusement, Minos intervint et, dans un élan de courage, vida le contenu de sa gourde vers Kelvin. Toutes les fourmis mouillées abandonnèrent aussitôt la bataille et relâchèrent leur proie. Comprenant qu’elles détestaient l’humidité, Maya attrapa sa propre réserve et se rapprocha pour la vider sur Kelvin, là où il restait encore quelques insectes. La malheureuse victime dut vider sa propre gourde sur les dernières bestioles pour, enfin, en être débarrassée. Alors que les fourmis s’éloignaient, il tomba à terre, essoufflé et trempé, le corps plein de petites morsures ensanglantées.

 — Bon… Peut-être que certaines petites bêtes mangent les grandes, finalement.

 — Bha oui, gros bêta, je te l’avais dit ! Heureusement que maman m’avait dit que ça aimait pas l’eau !

 — Du coup, oui, on ferait mieux de pas rester trop longtemps dans ces bois. Puis on n’a plus d’eau, on doit remplir nos gourdes.

 — C’est pas trop dangereux si on marche près de la route ?

 — Ho, hé, juste une fois, quoi, c’est bon ! T’inquiète pas, Maya, ça va aller !

 Il venait de la repousser alors qu’elle observait ses plaies. Elle n’était pas d’accord avec lui, et avait peur de les voir s’infecter. Mais d’un autre côté, si la forêt était remplie de fourmis ogres, il valait mieux en sortir et fissa. Elle pouvait bien attendre qu’ils aient rejoint la rive du Sinistre pour nettoyer tout cela après cette mésaventure.

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