Chapitre 10

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Le plan fonctionna à merveille, peut-être même un peu trop. Mélinda ne savait si c’était le fait de l’avoir mis dans un état d’ébriété avancé ou s’il s’agissait d’une simple réaction au fait de parler d’un passé qu’il n’avait pas digéré, toujours est-il qu’après trois heures du matin, Paul s’était révélé assez collant et passablement insistant pour se faire consoler.

Dans tous les cas, Paul ne connaissait pas la vraie histoire. Pour lui, sa camarade s’était sûrement fait avorter ou bien avait fait une fausse couche. De toute manière, il n’avait jamais pu la revoir d’une quelconque façon. De plus, l’épisode lui avait collé une sale réputation et il n’était donc pas enclin à en rajouter. Cela dit, il semblait que pour lui, la grossesse n’était pas tant un accident que cela. C’était plutôt un discours qu’ils avaient tenu, une fois la chose visible et découverte. C’était elle qui avait rétropédalé face à la réaction de sa famille. De son côté, même s’il reconnaissait que c’était facile de l’affirmer a posteriori, il assurait qu’il aurait tenu tête si nécessaire. Mais à l’époque, par naïveté et solidarité, il avait joué la même partition que son ex.

Quand il lui raconta cela, avec ses mots, ses hésitations qui contrastaient totalement avec le commercial plein d’assurance et de verve pour vendre son matériel de chauffage, la détective comprit un petit peu mieux ce qui pouvait avoir attendri et charmé Lisa.

Mélinda raccompagna Paul à son hôtel et laissa la charge de le ramener jusqu’à sa chambre au pauvre réceptionniste qui, épais comme un casse-croûte de chômeur, eut toutes les peines du monde à le faire monter dans l’ascenseur en ligne droite.

*

Le lendemain, elle rentra à Paris. Maintenant qu’elle savait tout ce qu’elle avait à savoir, il lui fallait tenter de revoir Lisa. Vu que cette dernière n’avait pas donné de nouvelles depuis l’envoi du SMS avec le résultat du test de paternité, il n’était pas très compliqué de deviner que la prochaine entrevue serait tendue. Mais il fallait le faire.

La détective se rendit donc à la sortie de l’université où Lisa suivait ses cours. Elle ne connaissait pas exactement son planning mais elle connaissait les lieux où elle était susceptible de traîner. Le troisième fut le bon. Quand Lisa l’aperçut, elle tenta d’abord de faire changer de direction, le groupe avec lequel elle marchait mais les autres ne comprenant pas pourquoi, elle dut se résoudre à continuer d’aller en direction de Mélinda.

« Salut, j’ai besoin de te parler. C’est important. » fit la détective suffisamment fort pour que tout le groupe entende.

Les autres regardèrent avec des yeux interrogateurs leur amie. Lisa eut un air d’abord gêné puis se rendant compte qu’elle n’allait pas pouvoir s’esquiver, lança d’un ton énervé :

« C’est une de mes tantes. Ne m’attendez pas, il faut qu’on parle. »

Les autres acquiescèrent et commencèrent à s’éloigner. Une fois qu’elle les estima à bonne distance, Lisa se retourna vers la détective, les yeux brûlants :

« Que faites-vous là ? Vous n’avez pas suffisamment gâché ma vie ?! Vous avez vraiment un culot monstre de vous pointer ici.

— Je sais. Je voulais d’abord m’excuser pour tout. Mais surtout, je voulais vous dire que je sais ce qu’il s’est passé.

— Et qu’est-ce que ça change ? Cela ne va pas me faire remonter le temps.

— Pour vous, ça ne change rien. Mais pour Paul, peut-être.

— Vous n’en avez pas eu assez avec moi ? Vous voulez gâcher la vie de Paul aussi ?

— J’ai retrouvé sa fille. La vraie. Celle avec qui vous avez été échangée à la maternité. »

Lisa déglutit. D’évidence, elle aurait voulu pouvoir dire quelque chose, avoir une répartie un peu cinglante mais rien ne vint.

« Mon enquête n’était pas totalement erronée. Il n’y a que cet échange qui m’a échappé et qui vous a coûté cher. En revanche, pour Paul, cette enquête pourrait être l’occasion d’apprendre qu’il a une fille et qu’elle est vivante.

— Comment ça, apprendre ? Il n’est pas au courant ? Et comment vous pourriez le savoir d’abord ?

— C’est lui qui me l’a dit. »

Lisa secoua la tête.

« Vous êtes malade ?! Vous êtes allée tout lui raconter ?!

— Pas du tout. »

La détective expliqua alors à Lisa comment elle avait procédé et pourquoi il ne tenait désormais qu’à elle de lui faire découvrir la vérité. Bien entendu seul le test de paternité prouverait les allégations de Mélinda mais quand elle lui montra la photo de Laura, Lisa fut bien obligée de reconnaître que l’air de famille était évident.

« Vous êtes folle. Comment voulez-vous que je lui raconte l’histoire depuis le début ? Vous êtes consciente qu’il va croire que j’ai fait tout ça parce que je n’avais pas suffisamment confiance en lui ?

— Peut-être. Si vous arrêtez l’histoire au début. Mais si vous la racontez dans sa totalité, je ne crois pas que ce sera le début qu’il retiendra. Et puis, sinon, vous n’êtes pas obligée d’en parler. Imaginez que ce soit vous qui, en tentant d’accéder au dossier de votre naissance, qui ayez découvert la chose. Vous auriez juste fait le chemin inverse de celui que j’ai fait dans mon enquête, et c’est là que vous auriez fait appel à mes services. »

Lisa resta silencieuse après ça. Mélinda reprit :

« Je ne veux pas prendre cette décision à votre place. Simplement, je veux que vous sachiez que je regrette vraiment la manière dont les choses se sont passées. Et compte tenu de cela, je ne pouvais qu’aller au bout et vous donner vraiment la conclusion finale. Ça ne change rien au passé mais la vérité est importante. Il y a beaucoup de choses dans la vie dont on voudrait qu’elles se soient déroulées autrement. Mais le vouloir ne change rien. Ce qui change les choses en revanche, c’est de connaître la vérité et l’accepter. Le reste, ce qu’on en fait, c’est du bonus : en bien, en mal. Dans tous les cas, je crois vraiment qu’on gagne en sérénité, en n’arpentant pas le chemin de la vie les yeux bandés. »

Les yeux de Lisa s’arrondirent et s’embrumèrent. Elle aurait voulu dire quelque chose d’intelligent mais rien ne vint. La détective lui glissa un papier dans la main.

« Les coordonnées de mon amie avocate si vous voulez donner suite à tout ça. Elle a tout le dossier. Au revoir. »

La détective tourna les talons et s’éloigna. La culpabilité était toujours là, cependant elle avait désormais l’impression d’avoir fait ce qu’il fallait pour que ce sentiment ne la submerge pas. Elle le savait maintenant : cette affaire n’était pas sa dernière. Mais elle resterait très sûrement de celles qui marquent un tournant dans une carrière.

FIN

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