Journée 1 - L’enfer existe, il s’appelle Springton High – Partie 1
Le cliquetis des conversations du couloir s'estompe à mesure que je pousse la porte de la salle 204. L'endroit est d'une tranquillité inattendue, déconcertante. Les chaises sont encore empilées, le tableau noir porte les vestiges de la dernière leçon. Au centre, sous la lumière blafarde du néon, Lia se tient droite, un cahier à la main. Mes craintes augmentent, ma peur s'affole. Tout de suite, nos yeux se croisent. Ce simple contact visuel porte le poids de tout notre passé conflictuel. Finalement, elle brise le silence, comme elle sait bien le faire. Sa voix est douce, mais chaque syllabe qu'elle utilise est tranchante :
— Tu n'aurais pas dû venir ici, Virginia.
Rassemblant tout mon courage, je riposte :
— Va te faire foutre, Lia. Tu ne contrôleras pas mes mouvements.
Elle esquisse un sourire glacial.
— Tu penses vraiment que tout ça concerne juste le lycée ? Tu es plus naïve que je ne le pensais.
Je fis un pas en avant, ma détermination grandissant.
— Qu'est-ce que tu veux de moi ? Pourquoi t'acharnes-tu ainsi ?
— À cause de ça. Ça te rappelle quelque chose ? me demande-t-elle en me montrant sa lèvre inférieure entaillée. Tu m'as défigurée, salope !
— Ça, c'était pour Jessica !
J'aurais aimé dire que je n'ai pas peur, que je suis parfaitement calme, mais ce serait vous mentir. À cet instant, je suis en train de me chier dessus, je suis terrifiée, mais surtout très en colère. En rogne que Lia ait envoyé Jessica à l'hôpital, qu'elle ait joué les faux-semblants avec moi. Tout à coup, des murmures et des chuchotements s'élèvent parmi les élèves présents. Ils arrêtent tous ce qu'ils leurs petites activités pour observer notre confrontation.
"Hey, la nouvelle ! Montre-lui de quel bois tu te chauffes !"
Il est évident que Lia n'a pas l'habitude d'être défiée de la sorte, surtout pas devant un public. Son visage se durcit et sa mâchoire se crispe. Elle s'avance brusquement vers moi, laissant tomber ses affaires au sol. Mais avant qu'elle ne puisse atteindre mon visage, je recule rapidement, me positionnant de manière à être prête à parer n'importe quel coup.
— Tu veux vraiment faire ça ici, devant tout le monde ? lui dis-je d'une voix ferme.
Elle rit, un rire cruel et strident.
— Tu crois vraiment que ces minables vont te protéger ?
Je lève mon menton, je cache la peur qui menace de m'envahir.
— Je n'ai pas besoin de leur protection. Tout ce que je veux, c'est que tu me foutes la paix.
Un autre élève s'interpose entre nous, essayant d'apaiser la situation.
— Les filles, ce n'est pas le moment, d'accord ? Pas ici.
Lia le repousse violemment.
— Dégage le puceau, ça ne te concerne pas !
Soudain, la foule commence à se serrer autour de nous. Je peux voir dans les yeux de certains de mes nouveaux camarades de classe une étincelle de rébellion. Pour la première fois, j'ai l'impression que je ne suis pas seule contre Lia.
Elle réalise qu'elle est en train de perdre le contrôle de la situation. Avec un dernier regard menaçant, elle ramasse ses affaires et sort de la salle en bousculant plusieurs élèves sur son passage.
— On ne va pas en rester là, Virgie ! Ta journée en enfer ne fait que commencer.
Je reste là, tremblante, mais soulagée. Encore en état de choc, j'ai survécu à mon premier face-à-face avec Lia. Et bien sûr, ça ne sera pas le dernier. Après l'altercation, l'atmosphère dans la salle de classe est devenue électrique. Les murmures persistent, sont empreints d'une nuance d'inquiétude. Certains élèves me lancent des regards discrets, mais dès que nos regards se croisent, ils détournent rapidement les yeux. Comme s'ils craignent d'être vus en train de me regarder. Je m'assois à une table près de la fenêtre. L'air est lourd et je peux sentir une sorte de paranoïa s'installer. Chaque fois que je tourne la tête, je vois des groupes d'élèves qui chuchotent entre eux. Je suis l'étrangère, la nouvelle fille dont tout le monde parle, mais avec laquelle personne ne veut être associé.
Tout à coup, en entendant la porte s'ouvrir, tout le monde tourne les yeux vers l'entrée de la classe. Une femme d'âge moyen, élégamment vêtue, se dirige vers le bureau près du tableau, un sourire chaleureux éclaire son visage. Elle semble sereine, malgré l'électricité ambiante.
— Bonjour à tous, commence-t-elle, Je suis Mme Henderson, votre professeure principale et aussi votre prof de Speech et de débat. J'espère que nous passerons une excellente année ensemble.
La classe répond poliment. Mme Henderson continue.
— Sachez une chose mes chères élèves et je veux que ça rentre dans vos têtes : je ne suis pas votre ennemie, mais votre alliée. Si quelque chose ne va pas, vous m'en parlez. Est-ce bien clair ? Je veux que nous passions tous une excellente année. Pour ça, tout le monde doit être sincère. Compris ? Bien, commençons !
Quelle femme ! Je crois que je l'aime déjà.
— Maintenant, je voudrais que nous fassions un petit exercice de présentation. Chacun d'entre vous va se lever, dire son nom, une chose qu'il aime et une chose qu'il n'aime pas, explique-t-elle.
Les élèves commencèrent à se lever un par un. J'écoute attentivement chaque introduction, tout en essayant de retenir les noms et les visages.
Quand ce fut mon tour, je me lève, nerveuse comme jamais.
— Je m'appelle Virginia Jonas, dis-je, mais je préfère qu'on m'appelle Virgie. J'aime les gens sincère et je n'aime pas les gens faux. Je souris timidement, puis m'assois.
La porte s'ouvre soudainement : Lia est de retour. Ses talons claquent sur le sol, chaque pas amplifie son assurance. Ses yeux rencontrent brièvement ceux de Mme Henderson avant de se poser sur moi. Un éclair noir, malveillant brille dans ses yeux.
Mme Henderson, au lieu de la réprimander pour son retard, attendit patiemment que Lia s'installe au fond de la classe.
— Lia, veux-tu te présenter ? demanda-t-elle d'une voix douce.
Lia se lève lentement.
— Je m'appelle Lia Harrison. J'aime avoir le contrôle et je n'aime pas perdre mon temps, dit-elle, le ton tranchant, tout en me lançant un regard provocateur.
L'atmosphère se tend à nouveau. Mme Henderson, cependant, reste calme.
— Merci, Lia. Asseyez-vous, s'il vous plaît.
Je sens les regards des autres élèves se tourner vers moi, curieux, après cette présentation audacieuse de Lia. Merde. L’année vient à peine de commencer et je sens qu'elle va être très, très longue pour moi. Mais je me suis déjà fait une promesse à moi-même : je ne me laisserais pas intimider. Comme Maman l'a dit, je suis forte.
Le cours reprend, Mme Henderson essaie d'établir une atmosphère d'apprentissage positive. Cependant, à chaque occasion qui se présente, Lia trouve le moyen de me piquer. Lors d'un exercice de groupe, elle commente bruyamment :
— Espérons que certaines personnes ici ne tirent pas le groupe vers le bas. On sait tous de qui je parle, n'est-ce pas ?
Elle rit, quelques élèves se joignent à elle, probablement par peur de devenir sa prochaine cible. Lors d'un autre moment, alors que Mme Henderson demande des exemples d'obstacles dans la vie, Lia répond :
— Comme déménager et essayer de s'intégrer dans un nouvel endroit, surtout quand on est manifestement indésirable.
Je sens un nœud dans mon estomac, mais je refuse de lui montrer combien elle m'affecte. Je reste forte.
Même pendant la pause, elle continue à glisser des commentaires désobligeants à mon égard. J'entends des rires étouffés et des murmures, bien que je ne comprenne pas toujours ce qu'elle dit, je devine le contenu grâce aux regards amusés de certains élèves. Il est clair qu'elle essaye de marquer son territoire, de montrer à tous qui a le pouvoir ici. Pourtant, aussi blessantes que soient ses paroles, au fond de moi, je sais qu'elle ne fait cela que par insécurité. À chaque pique, je me rappelle la Virginia forte et résiliente qui a surmonté tellement d'épreuves dans la vie. Je ne laisserais pas Lia, ou quiconque d'ailleurs, ébranler ma confiance. Je réponds avec un sourire calme, je me concentre sur le contenu du cours, sur ma propre croissance. Avec le temps, sa vraie nature sera révélée, je n'ai qu'à être patiente et rester vraie envers moi-même.
C'est marrant, car le cours de Mme Henderson est principalement axé sur la prise de parole en public et le débat, ce qui, ironiquement, donne à Lia une plateforme pour exprimer ses opinions tranchées. D'ailleurs, lorsque Mme Henderson nous demande de choisir un sujet à débattre, Lia a levé la main rapidement.
— Je propose qu'on parle de l'importance de l'authenticité dans les relations amicales et comment reconnaître les faux amis.
Ses yeux me fixent, une lueur de défi dansant en eux. C'est évident pour moi qu'elle essaie encore de me provoquer, de me pousser à réagir. Mais je lui réponds encore avec un large sourire, ce qui l'horripile davantage. Mme Henderson, inconsciente de la tension sous-jacente, trouve le sujet intéressant.
— Très bien, Lia. Mademoiselle Jonas, que pensez-vous de ce sujet ?
Prise au dépourvu, je prends une profonde inspiration.
— Je pense que c'est un excellent sujet. L'authenticité est la base de toutes relations saines. J'ai marqué une pause, regardant Lia. Et il est toujours intéressant de discuter de ce qui fait une vraie amitié, et comment distinguer les personnes sincères des autres.
Lia hausse un sourcil, mais ne dit rien. Le reste de la classe devient intrigué par l'échange, plusieurs élèves se remettent à chuchoter entre eux. Mme Henderson, quant à elle, est ravie de voir que nous étions déjà engagées dans le sujet.
Au fur et à mesure que le cours avance, Lia et moi étions les deux principales rivales dans la salle. Chaque fois que l'une de nous prend la parole, l'autre a une réplique déjà toute prête. C'est un jeu d'échecs verbal, où chaque mouvement est soigneusement calculé.
Mais à travers ce duel, je commence à réaliser quelque chose : sous sa carapace dure, Lia cache une profonde insécurité. Ses piques, ses remarques tranchantes sont sa façon de masquer sa propre vulnérabilité. Et tandis que je m'efforce de rester calme et recueillie, je ne peux m'empêcher de ressentir une certaine pitié pour elle.
— Très bien chères élèves, pour le prochain cours, je veux que vous me présentiez un speech sur votre définition de l'amitié. Le devoir est noté ! À demain !
Le cours enfin terminé, j'ai commencé à rassembler mes affaires en silence, essayant de reprendre mon souffle après la tension des dernières heures. J'ai à peine refermé mon sac lorsque j'ai entendu la voix douce de Mme Henderson m'interpeller.
— Virginia, pourriez-vous rester un moment, s'il vous plaît ?
Je me suis retournée, un peu surprise. Les autres élèves quittent la classe, lance des regards curieux dans notre direction. Une fois que la pièce fut vide, je me suis approchée du bureau de Mme Henderson, où elle m'attendait. Elle m'a regardée avec des yeux pleins de compréhension.
— Virginia, a-t-elle commencé, j'ai remarqué que les choses sont... tendues entre toi et Lia. Je voulais m'assurer que tout allait bien.
J'ai soupiré, hésitant sur la manière de répondre.
— C'est compliqué, ai-je fini par dire. Depuis mon arrivée, Lia semble avoir quelque chose contre moi. Je ne sais pas pourquoi.
Mme Henderson a hoché la tête.
— Tu sais, parfois, les gens agissent de manière hostile parce qu'ils ressentent une menace, ou simplement parce qu'ils ne comprennent pas quelque chose. Peut-être que Lia voit en toi quelque chose qu'elle n'a pas, ou qu'elle aimerait avoir.
J'ai réfléchi à ses paroles.
— Je ne sais pas ce que j'ai qui pourrait la menacer, ai-je murmuré.
— Peut-être ton courage ? Ta beauté ? Désolé je me permets de le dire, mais tu es une très belle fille, Virginia Jonas. Ou alors c'est peut-être ta capacité à vous exprimer avec sincérité ? Ou simplement le fait que tu es nouvelle ici, que certains élèves, comme Lia, sont habitués à être au centre de l'attention.
Elle m'a offert un sourire réconfortant.
— Quoi qu'il en soit, Virginia, sache que tu n'es pas seule. Je suis là pour t'aider. Et je suis sûre que, avec le temps, d'autres élèves verront aussi ta valeur.
Je lui ai rendu son sourire, touchée par ses paroles.
— Merci, Mme Henderson. Cela signifie beaucoup pour moi.
Elle m'a ébouriffé les cheveux doucement.
— Allez, va manger maintenant. Et rappelle-toi que chaque jour est une nouvelle opportunité.
En poussant la porte de la classe, je suis tombe sur un visage familier. Maya. Ses grands yeux expressifs, son sourire amical sont comme une bouffée d'air frais. Elle me fait un petit signe de la tête, m'invite à la rejoindre.
— Salut Virginia, m'a-t-elle dit. Comment ça s'est passé ce premier cours avec Mme Henderson ?
J'ai esquissé un petit rire nerveux.
— Eh bien, disons que c'était plutôt mouvementé, mais je pense que ça s'est bien terminé.
J'ai brièvement raconté à Maya notre débat improvisé et mon échange avec Mme Henderson après le cours. Maya a semblé impressionnée.
— Wow, tu ne perds pas de temps toi ! Mais je suis contente que tu aies pu t'exprimer. Lia est vraiment intimidante.
Nous avons continué à discuter tout en nous dirigeant vers le réfectoire. Le hall est bondé d'élèves, tous pressés d'aller manger. Une odeur de friture et de pizza flotte dans l'air.
Une fois dans la file d'attente, Maya m'a lancé :
— Tu sais, j'ai repensé à ce matin et je voulais m'excuser pour ce qui s'est passé avec Lia. Je n'aurais pas dû te laisser tomber comme ça. C'est juste que... cette fille est le diable incarné.
J'ai hoché la tête.
— Je comprends pourquoi tu as fait ça, Maya. Même si je dois t'avouer que ça m'a fait un peu mal.
Elle a baissé les yeux, honteuse.
— Je suis vraiment désolée, Virginia. J'espère qu'on pourra repartir sur de meilleures bases.
J'ai souri, touchée par sa sincérité.
— On peut toujours essayer, n'est-ce pas ?
En entrant dans le réfectoire, je suis frappée par l'immensité de la pièce. Des plafonds hauts et des fenêtres allant presque du sol au plafond, laisse pénétrer la lumière naturelle qui joue sur les tables alignées en rangées, bien ordonnées. Chaque table peut accueillir une dizaine d'élèves, et la plupart se trouvent déjà prises. À l'entrée, des panneaux colorés indiquent les différentes options de repas disponibles pour le jour, je vois les cuisiniers affairés derrière un grand comptoir en inox. Ils s'assurent que les plats chauds soient servis avec efficacité. Le mur du fond est enjolivé d'une grande fresque murale représentant la mascotte de l'école, un fier lion au regard perçant, entouré de devises motivantes et de représentations de diverses activités scolaires. Sans doute le travail d'une ancienne promotion. Les bruits résonnent, forme un brouhaha constant. Des rires, des discussions animées, des couverts qui s'entrechoquent et même le doux murmure de musique provenant d'un coin où quelques élèves ont installé une petite enceinte portable. Ça sent bon le pain chaud, la friture et les épices. Sur la gauche, il y a une zone de détente avec des canapés et des fauteuils, certainement destinée à ceux qui souhaitent discuter tranquillement après avoir mangé. À côté, un distributeur propose une variété de snacks et de boissons pour les petits creux.
— Viens Virgie, on va se mettre par là.
Maya m'a entraînée vers une table près d'une fenêtre, où la lumière naturelle éclaire parfaitement nos plateaux. Alors qu'on se dirige vers la table pour s'assoir, je vois mon plateau repas tomber à mes pieds. Je ne comprends pas encore ce qui se passe. Tout s'est passé si vite. Mon déjeuner est maintenant éparpillé sur le sol. Le choc me fait reculer d'un pas, mais je me suis rapidement ressaisie pour voir ce qui s'est passé. Quand je relève la tête, je vois Lia, Taylor et Rose, me fixant de leurs yeux froids et narquois.
— Regardez, la nouvelle a laissé tomber son déjeuner, a craché Lia, un sourire malsain sur le visage.
Autour de nous, quelques élèves cessent de manger pour observer la scène.
Maya, courageuse, a essayé de s'interposer.
— Les filles, laissez-la tranquille. S'il vous plaît.
Mais Taylor et Rose l'ont stoppée net.
— Toi, la nouvelle copine, reste en dehors de ça, a grondé Taylor.
Rose ajoute avec un rire moqueur :
— Ou peut-être que tu veux rejoindre le plateau de Virginia par terre ?
Maya m'a jeté un regard inquiet, mais je l'ai rassurée d'un signe de tête subtil. Je n'ai pas envie qu'elle soit prise pour cible à cause de moi. La honte que je ressens me fait rougir. Je garde mon calme quoi qu'il arrive.
— Ce n'est pas très mature de votre part, les filles, ai-je lancé, essayant de garder la tête haute.
Lia lève un sourcil, clairement intriguée par ma réponse.
— On s'amuse comme on peut, chérie. Et toi, tu sembles être notre nouveau jouet favori.
Autour de nous, des murmures se s'élèvent. Je sens de nombreux regards sur moi, emplis de pitié, d'autres d'amusement. Mais je n'ai pas l'intention de me laisser briser.
— Si vous voulez jouer, alors jouons, ai-je rétorqué avec audace. Mais comme je l'ai dit la dernière fois, sachez que je ne suis pas le genre de 'jouet' qui se casse facilement.
Lia est surprise par ma riposte, mais son sourire narquois n'a pas faibli.
— On verra bien, a-t-elle murmuré en s'éloignant avec ses acolytes.
Alors qu'elles s'éloignent, je sens une main se poser sur mon épaule. C'est Maya.
— Viens, m'a-t-elle dit. Ne les laisse pas gâcher ton déjeuner. On trouvera une autre table.
Nous avons ramassé ce qui reste de mon repas et avons trouvé une table un peu plus loin. Aussi éloigné du regard des trois pestes. La matinée a été longue, éprouvante. Et ce n'est que la moitié de la journée.
L'Enfer a un nom : Springton High'.
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