2-3 L'horreur

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     Une clochette tinta au pied de l’escalier et Lurz se précipita à l’étage, le bruit d’une lourde porte se fermant et d’un verrou se fit entendre puis un silence pesant enveloppa les cellules. Le Boiteux chercha à glaner quelques informations sur leur situation actuelle, la sienne et celle de ses camarades d’infortune. Les langues peinaient à se délier pour diverses raisons, la peur, la résignation, les drogues, mais un dialogue finit par naître :

  • Qui vous êtes ? Ça fait longtemps que vous êtes là ?
  • Je m’appelle Bulk, répondit la voix rocailleuse de la geôle en face, je ne sais pas exactement depuis combien de temps je suis là mais je suis arrivé après ton pote.
  • Ça fait combien de temps que t’es là, Alh ? Demanda le Boiteux.
  • Je ne sais pas, j’ai l’impression d’être là depuis des mois, répondit-il la voix molle et exténuée en s’allongeant tant bien que mal.
  • Moi c’est Hélag, répondit quelqu’un à sa droite, ça ne fait pas longtemps que je suis là et je n’ai pas l’intention de pourrir ici donc si tu veux te barrer, je suis ton homme.
  • Comment tu voudrais partir d’ici couillon ? Réagit une voix semblant venir de la même cellule. Il faudrait que tu te débarrasses de tes chaînes, que tu parviennes à ouvrir la porte de la cellule puis l’autre là-haut. Et sans tomber sur Lurz, parce que ça m’étonnerait qu’il te laisse sortir avec un grand sourire !
  • Putain, t’as abandonné parce que t’étais déjà mort dehors, il y a forcément un moyen.
  • Ouais en commençant par te couper les pieds, héhé, enchaina une voix de fausset.
  • Ta gueule, merde ! Entraîne pas tout le monde dans ton défaitisme !
  • Il a raison, on peut pas se barrer, clamèrent plusieurs voix plus ou moins faibles.

     Le Boiteux avait perdu le contrôle de la conversation qui se dirigeait vers une impasse, quand il entendit un faible râle à quelques pas de lui. Alh agonisait. Le visage crispé en un masque de souffrance, il était recroquevillé en position fœtale et suait abondamment. Le Boiteux, l'oreille tendue, l'entendit quérir de l'aide faiblement, la voix presque imperceptible était semblable à du sable crissant sur de la pierre. Avant que le Boiteux n’ait le temps de s’enquérir de son état, Alh fut secoué par une série de terribles convulsions qui firent jouer à ses chaînes une mélodie macabre et syncopée. Le corps désarticulé dans d’atroces postures, il avait les yeux révulsés et un flot immonde de sang et de bile jaillit de sa bouche et de son nez. Coulant d’abord entre les pavés, une flaque envahissait peu à peu la cellule. Réfugié le plus loin possible dans un coin du cachot, le Boiteux contemplait avec une fascination morbide, de petits bouts de chair flotter avec la paille qui parsemait le sol.

  • Qu’est-ce qui se passe ? S’enquit Hélag.
  • Je sais pas, c’était comme si un démon invisible avait secoué Alh puis du sang est sorti de sa bouche. Il ne bouge plus là, qu’est-ce que je dois faire ?
  • Prier pour son âme, répondit Bulk, et la nôtre aussi peut-être.
  • C’est lui qui a le plus de chance, il est libre maintenant, dit Hélag.
  • Tiens, tu l’as trouvé ton moyen d’évasion, ajouta cyniquement une voix plus loin.

     Les heures passèrent lentement pour le Boiteux, dans un état de panique confinant à la démence, il se balançait d’avant en arrière fixant la scène avec effroi. Le sang commençait à coaguler quand la porte à l’étage s’ouvrit. Lurz descendit et s’arrêta devant la cellule putride.

  • Fichtre, éructa-t-il.

     Il se précipita vers la pièce du fond pour en ressortir avec une longue pièce de tissu sous le bras, puis entra dans la geôle moribonde en évitant les flaques de sang. Il déroula l’étoffe dans un coin propre et y déposa Alh avant de l’envelopper. Lurz enchaîna les allers retours entre la pièce du fond et la cellule tandis qu’il la récurait. Le Boiteux assistait à ce ballet comme désincarné, son esprit replié dans les abîmes de son subconscient.     Alors qu’il avait fini par sombrer dans un sommeil agité, vacant d’un cauchemar à l’autre, une violente piqûre le réveilla en sursaut. Il vit la silhouette floue de Lurz avant de succomber à une lourde et gluante inconscience narcotique. Ce sommeil-ci était sans rêve et lui parut aussi bref qu’un clignement d’œil. Il avait la bouche pâteuse, les yeux secs et le corps engourdi lorsqu’il émergea des ténèbres. Malgré sa vue trouble, il parvint à observer les lieux et comprit qu’il était dans la mystérieuse pièce du fond. Le laboratoire était dans un désordre savamment agencé. Deux tables étaient surchargées de parchemins, d’alambics et de diverses fioles, d’innombrables étagères étaient encombrées de bocaux aux contenus aussi divers que sordides, organes, sang, bile ou urine, et deux tables en fer équipées de sangles, dont une accueillait le Boiteux. Son torse, ses bras et ses jambes étaient attachés et des tuyaux faits de boyaux reliaient ses veines à des poches élaborées à partir de vessies animales, contenant des liquides indéterminés. D’un côté, dans la lumière des chandelles, la masse sombre de Lurz s’afférait à une tâche inconnue, de l’autre côté, un feu brûlait dans l’âtre d’une cheminée immense. Un gémissement lui échappa, ce qui lui avait semblé être des bûches un instant plus tôt, étaient les restes calcinés de cadavres humains. Alh était parmi eux.

  • Vous êtes décidément bien résistant 87, dit Lurz qui s’était approché silencieusement, il va falloir que je fasse attention à ne pas vous tuer en augmentant les doses.

     Alors que le Boiteux tournait son regard vers la voix de son bourreau, une vision de cauchemar s’offrit à lui. Lurz arborait un masque hideux sanglé derrière la tête et façonné à partir d’un crâne de bouc colossal fixé sur une base de cuir. Les orifices oculaires avaient été limés pour laisser place à deux surfaces circulaires vitrées serties d’or et les côtés de la mâchoire supérieure avaient été creusées pour installer un ingénieux système qui filtrait l’air. Il était vêtu d'une combinaison intégrale de toile rouge amidonnée et serrée à la taille par une large ceinture noire, ses bras, quant à eux, étaient couverts jusqu’aux coudes par de longs gants en cuir. Les yeux écarquillés de terreur, le Boiteux voulait se débattre mais son corps ne répondait pas, si son esprit avait refait surface, les drogues conservaient jalousement le contrôle de ses membres. Seul son cou bougeait péniblement.

  • Bien vous ne semblez pas à même de vous débattre, c’est l’essentiel. Nous allons tranquillement attendre la fin de l’inoculation et nous guérirons ce mal ensemble.
  • Qu’est-ce que c’est ? Demanda le Boiteux la voix tremblante.
  • La peste.

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