Chapitre 9

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Any Way You Want It - Journey


Le bowling venait d’ouvrir, ils étaient pour l’instant les seuls clients. Il se rendirent jusqu’au comptoir et commandèrent deux parties, on leur donna des chaussures et ils partirent se changer.

Roland fut prêt en une poignée de secondes, et commença à s’échauffer tandis qu’Antoine était encore en train d’enlever ses baskets. Il faisait de grands cercles avec les bras tout en soufflant bruyamment.

– La dernière fois que j’ai joué au bowling, ça doit remonter à quelques années.

– T’auras besoin d’aide pour porter les boules, ou tu penses que t’as assez de force ?

Roland se retourna vers lui en haussant les sourcils.

– Je dégoûtais mes amis parce que je gagnais tout le temps. Alors fais bien attention à ce que tu dis, avant de te prendre la raclée de ta vie. Même Hippolyte t’a pas autant humilié !

Antoine lui frappa l’épaule.

– Eh ! Pas de blague sur lui, c’est pas fair play !


Une fois ses chaussures enfilées, il se leva d’un bond, et ils se rendirent au niveau de la piste indiquée par l’homme au comptoir. Roland regarda tout autour de lui, puis dit :

– T’as de la chance, y a personne pour assister à ce massacre.

– Tu parles trop, Papy.

Antoine prit une boule au hasard et la lança aussi fort qu’il put.

– Huit quilles, c’est pas trop mal ! s’exclama Roland. Mais si je peux me permettre, t’es un peu trop raide quand tu lances. Ça vient avec l’expérience, donc t’auras probablement cassé ta pipe avant d’atteindre mon niveau !

Antoine ne dit rien et se contenta de lui sourire. Il saisit la même boule qu’il avait lancée, prit quelques secondes pour se concentrer… et renversa les deux quilles restantes.

– T’as parlé, maintenant il va falloir faire mieux que moi !

– J’ai pas besoin de deux coups pour faire tomber dix quilles, moi.


Il s’arrêta une bonne minute devant les multiples boules qui se trouvaient devant lui, le doigt sur les lèvres, marmonnant des choses inaudibles, hésitant entre deux, trois, quatre boules différentes.

– T’es perturbé parce que t’as jamais vu autant de boules devant toi ? lança Antoine d’un ton moqueur.

– Les seules qui m’intéressent vraiment, c’est les tiennes.

Roland inséra alors ses doigts dans celle qu’Antoine venait de lancer en poussant un grognement de douleur, puis il prit à nouveau tout son temps pour se concentrer et faire des petits va-et-vient avec son bras pour travailler son geste.

“On y est encore ce soir, à ce rythme”, pensa Antoine en soupirant.

Et finalement, Roland lança la boule, ou plutôt la laissa tomber. Elle roula lentement… jusqu’à la gouttière.

Antoine éclata de rire.

– C’est ça, l’humiliation dont tu parlais ?

– Attends, attends, il faut que je retrouve le geste. Dans quelques lancers, je te garantis qu’il va pleuvoir des strikes !

– J’ai bien envie de voir ça !


*Une heure plus tard*

– Et de quatre ! Quatre strikes d'affilée !

Roland leva les deux poings au ciel avec un grand sourire, triomphant. Antoine était scotché au fond de la banquette, les yeux rivés sur l’écran indiquant les scores.

– Comment c’est possible de marquer autant de points ? soupira-t-il, les yeux écarquillés.

– C’est la différence entre toi et moi, Antoine. Toi, tu es explosif et ça peut être impressionnant au début, mais tu ne dures pas longtemps. Moi, je peux tenir des heures entières, et plus ça avance, mieux c’est !

– Tu parles toujours de bowling, là ?

Roland lui fit un clin d'œil et posa sa main sur son épaule, puis il descendit lentement, caressant délicatement son bras du bout de ses doigts. Antoine recula d’un pas en fronçant les sourcils et en le dévisageant. Le vieil homme se contenta de rire.

– Oh, c’est bon, c’est qu’une blague ! Fais pas cette tête !

– Ouais, ouais. J’suis sûr que t’as envie de m’avoir dans ton lit.

Le front de Roland se plissa, il le regarda de bas en haut avec un air dédaigneux, un rictus au coin des lèvres.

– Un mec comme toi ? Ben voyons…


La partie continua de plus belle, et le vieil homme continua d’enchaîner les strikes. Mais Antoine s’amusait moins, d’un coup. Le doute venait d’être semé dans son esprit, et quelques questions commençaient déjà à germer. Et s’il se pouvait que Roland…

“Nan, arrête de penser à ça, c’est complètement débile”, se dit-il.

***

Une maison de banlieue, tout ce qu’il y avait de plus banal, et qui était identique à celles d’à côté. La rue était calme, ça changeait de l’oppression constante qu’imposait Paris. Il y avait peu de passage, alors Antoine pouvait se permettre de se tenir en face de cette maison en plein milieu de la route, les mains sur les hanches et les manches de son pull retroussées.

Il détestait cette maison. Elle faisait remonter en lui une flopée de souvenirs désagréables. Il avait toujours tout fait pour la fuir, mais c’était plus fort que lui : il fallait qu’il finisse par craquer, et qu’une fois de temps en temps, sans prévenir, il revienne…


Antoine prit une grande inspiration, puis expira d’un coup.

“Allez, après ça sera fini.”

Alors il ouvrit le portail et s’arrêta devant la porte pendant un instant, encore un peu hésitant. Il n’était pas trop tard pour faire demi-tour…


Mais non, il n’avait pas fait tout ce trajet pour rien. Alors il plongea sa main dans la poche de son jean et sortit son porte-clés, sur lequel était toujours accrochée la clé de la maison. Il l’enfonça dans la serrure et la tourna à l'intérieur, puis il appuya d’un coup sur la poignée et ouvrit brutalement.

– C’est moi ! cria-t-il en claquant la porte derrière lui.

– Putain, tu m’as fait peur ! J’ai cru que c’était encore un journaliste !

Une forte odeur de tabac agressa immédiatement les narines d’Antoine.

– Maman, faut vraiment que t’aères ici, c’est irrespirable…

Une femme était avachie sur le canapé, devant la télé, une cigarette entre les doigts. Elle était maigre et avait de grandes poches sous les yeux et les racines de ses cheveux étaient blanches.

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