Chapitre 14

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Boulevard of Broken Dreams - Green Day (le contraire parfait de la précédente :o )


“T’as vu ça ? Le PSG a perdu :(“

Antoine haussa les sourcils en fermant les yeux. Rien de mieux que ce genre de message pour égayer son lundi matin…

“Ouais j’suis dégoûté… Ils ont intérêt à se reprendre après les vacances parce que c’est loin d’être parfait, là :/”

Depuis ce soir-là, Antoine ne lâchait plus Tom. Ils étaient restés ensemble toute la soirée et s’étaient bien amusés ensemble. Tom était revenu prendre sa revanche sur Mario Kart le soir qui suivit, mais ils s’étaient rapidement endormis sur le canapé, tous les deux, épuisés après la fête de la veille.

“D’ailleurs, j’ai une question à te poser, si ça te dérange pas.”

“Oui bien sûr, vas-y”

“J’ai l’impression que t’es pas du tout le même quand t’es en public et quand on est juste tous les deux…”


***


Tom leva les yeux de son téléphone et regarda droit devant lui. Il s’était lui-même posé la question, et il ne comprenait pas pourquoi il changeait brutalement de comportement quand il se trouvait seul avec Antoine. Ça n’arrivait avec personne d’autre, c’était comme s’il perdait d’un seul coup toute confiance en lui, et qu’il se retrouvait comme intimidé par sa présence.

Peut-être que c’était à cause du fait qu’il allait bientôt mourir, mais Tom sentait qu’il n’y avait pas que cela. C’était comme si Antoine dégageait quelque chose, et produisait sur lui un effet qu’il n’arrivait pas encore à bien comprendre.

Après un court moment de réflexion, il se contenta de répondre :

“Ah bon ? Comment ça ?”

Quelques secondes plus tard, son portable vibra.

“Bah… quand t’es entouré de monde t’es pote avec tout le monde, tu flirtes avec les meufs et tu fais souvent des blagues beaufs ; et quand t’es avec moi bah t’es… gentil :) J’ai pas trouvé d’autre mot, désolé…”

Tom se mit à sourire doucement en soufflant du nez. Il relit plusieurs fois le message, et celui-ci lui faisait encore plus plaisir à chaque fois.

“Euh bah… je sais pas, j’avais jamais remarqué.”

“T’es sûr que tu me caches pas quelque chose ? Moi je t’ai promis de tout te dire, tu dois faire pareil de ton côté !”

***


Antoine leva la tête, et constata avec des yeux grands ouverts qu’il avait raté son arrêt. Il s’insulta intérieurement et descendit la tête baissée au prochain arrêt, avant de changer de quai et d’attendre le métro qui allait dans la direction opposée.

Il eut le temps de monter dans le métro et d’arriver à sa station, Tom n’avait toujours pas répondu à son message, alors qu’il avait été rapide jusqu’ici. Ça ne pouvait pas être un hasard…

Dix heures dix. Il avait pris du retard à cause de son loupé. Mais ce n’était pas ce qui le tourmentait le plus, à ce moment-là. Il gardait son portable allumé, la conversation avec Tom toujours ouverte.


Il poussa la porte du café. Roland était là, son journal était plié en quatre et posé sur le comptoir, son verre de jus d’orange était vide.

– Bonjour, vous allez bien ? J’vais vous prendre un café, un chocolat chaud et un croissant, s’il vous plaît.

Le patron lui fit un clin d’oeil et partit préparer sa commande. Et il jeta un regard en direction de Roland, puis regarda à nouveau Antoine avec une tête qui voulait dire quelque chose comme : “Il est pas content, fais gaffe à toi”.


Antoine se contenta de secouer la tête en signe d’approbation et tenta une approche naturelle.

– Tu te souviens de Tom ? Eh bah il se trouve que c’est pas fini, avec lui !

Roland ne répondit pas. Il regardait dans le vide, droit devant lui, les yeux légèrement plissé. Il faisait semblant de réfléchir, penché en avant.

– T’es en retard, finit-il par dire après quelques secondes de silence, toujours fixant droit devant lui.

– Ouais, j’suis désolé… J’ai raté mon arrêt. Bah justement, c’est parce que j’étais en train de parler par messages avec Tom, j’ai pas fait attention.

– C'est pourtant pas compliqué de lever la tête de temps en temps pour vérifier. 

Antoine recula d’un coup, surpris par la froideur de Roland.

– Qu’est-ce qui te prend, là ? T’as mal dormi ?

– J’ai très bien dormi, répondit-il sèchement. Une des meilleures nuits de toute ma vie.

– Alors tu peux m’expliquer ton problème, au lieu de me bouder comme un enfant ?


Roland tourna la tête d’un coup et lui jeta un regard noir. Mais Antoine était fort à ce jeu-là, il le connaissait suffisamment pour savoir qu’il avait besoin d’être provoqué pour qu’on lui tire les vers du nez.

– Mon problème, je vais te le dire franchement et honnêtement, d’accord ? Ça fait trois fois de suite que t’es en retard.

– Je suis désolé pour ça, et je ferai en sorte que ça ne se reproduise plus. Mais si ça n’était que ça, tu serais pas dans un état pareil.

– Non, tu as raison. Ce qui m’agace, c’est la cause de ton retard.

Antoine fronça les sourcils. Il ne comprenait pas de quoi Roland lui parlait. La seule explication qu’il put trouver, c’était qu’il était souvent tête en l’air le matin, en particulier le lundi. Mais ça ne pouvait pas être ça, il voulait certainement parler d’autre chose.

– Je vais t’aider, lança Roland, vu que t’as l’air d’avoir du mal. Pourquoi tu étais en retard, aujourd’hui ?

– Euh… j’ai raté mon métro…

– En envoyant des messages à Tom, termina froidement Roland. Et pourquoi tu étais en retard la semaine dernière ?

– Bah…

– Tu étais épuisé après une soirée où t’avais décidé de te foutre en l’air, parce que Tom t’avait déçu. Et pourquoi tu étais en retard la semaine dernière ?

– Ecoute, je vois où tu veux en venir, pas la peine de…

– Tom, Tom et Tom. Félicitations, tu es amoureux !


Et Roland se mit à l’applaudir bruyamment en riant fort. Le patron derrière son comptoir et tous les clients du café se retournèrent en le dévisageant. Et Antoine devint rouge de honte, il posa sa main sur celles de Roland pour le calmer.

– Donc t’es jaloux de Tom, c’est ça ? Parce que depuis le début, t’étais amoureux de moi, et tu croyais que je l’avais pas remarqué ?

Roland le saisit alors violemment par le col et le tira d’un coup vers lui. Leurs visages se trouvèrent à quelques centimètres de distance. Il respirait fort, par la bouche, et Antoine pouvait voir en détail ses traits tirés, ses yeux chargés de sang et ses dents jaunes et serrées.

– Si je suis jaloux de quelqu’un, Antoine, c’est bien de toi, ouais. De toi et personne d’autre. Tu me répètes sans cesse qu’on est dans le même panier, qu’on va foncer tous les deux tout droit vers la mort, main dans la main. Mais c’est faux, Antoine, c’est pas ça, la réalité. J’ai un putain de cancer du côlon. Ça me fait tellement mal que, même avec cinquante ans de moins, je serais en train de chialer par terre en hurlant. Alors imagine en ce moment.


Roland le lâcha et le repoussa en arrière. Antoine était encore sous le choc et manqua de tomber en arrière sur le coup, et se rattrapa de justesse en tendant la main et en s’agrippant au comptoir.

– T’as complètement pété les plombs…

– J’en ai rien à foutre, j’ai le droit, c’est légitime. Même toi, tu peux pas savoir ce que j’endure. Et t’as l’immense chance d’être sûr que ça t’arrivera jamais. T’as des amis qui te soutiennent, t’as des Emma, des Martin, des gens qui sont là à tes côtés et qui t’aident à garder le moral. Et maintenant, cerise sur le gâteau, t’as un Tom ! Et t’as eu un Hippolyte, avant lui ! J’ai jamais eu de Tom ou d’Hippolyte, moi. La seule que j’ai eue, elle s’appelait Mathilde, et elle allait coucher avec d’autres hommes, pendant que moi, j’allais coucher avec les mêmes hommes ! Parce que j’me suis rendu compte à quarante-trois ans que j’étais qu’une tarlouze ! Toi, t’as ce bonheur inouï d’être préservé de ce genre de révélations qui bousillent plus de quarante-ans de ta vie.

– Au moins, t’as eu le droit à une jeunesse, souffla Antoine en commençant à se lever.


Roland posa sa main sur sa cuisse et pressa pour le forcer à rester assis.

– Reste là, j’ai pas terminé. Par rapport à ta remarque : oui, je suis jaloux de toi, mais pas que. Je suis aussi jaloux de ce Tom, parce qu’il a la chance d’être aimé par un mec comme toi, et ce con s’en rend même pas compte.

La main de Roland commença lentement à remonter le long de sa cuisse, approchant l’endroit interdit. Dangereusement, trop dangereusement.

Antoine l’écarta d’un geste de la main.

– Qu’est-ce que tu fais, putain ? s’exclama-t-il. Y a des gens autour, en plus !

– J’en ai rien à foutre, des gens autour ! hurla Roland. Tout ce dont j’ai à foutre, en ce moment, c’est toi !


Tout le café s’était tu et était en train de regarder la scène. C’était trop malsain, Antoine se leva et le tira par le bras pour terminer cette conversation dehors, à l’abri des regards indiscrets.

– Tu comprends pas ! reprit alors le vieil homme. Les médecins ont dit qu’il me restait moins de temps que prévu, la tumeur progresse plus vite qu’ils pensaient. Il me reste plus beaucoup de temps… Alors rends-moi juste ce service, permets à un vieillard de mourir heureux !

Antoine effectua un pas en arrière, des milliards de questions se bousculaient dans son esprit. Son visage affichait un mélange de pitié, de tristesse et d’une pointe de dégoût. Il ne pouvait pas faire ça, même pour lui, c’était inconcevable !

– Je… Je suis désolé… balbutia-t-il, honteux.

Alors il tourna les talons et partit en courant, les larmes aux yeux, le cœur battant la chamade.


Fin de la deuxième partie

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