Chapitre 22

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Iron - Woodkid


Le ciel était nuageux et l’air humide. La brise caressait les joues d’Antoine, qui se tenait debout, aux côtés de son père mais avec un bon mètre de distance, face à la tombe de son oncle.

– Tous les dimanches, je viens ici pour m’en occuper et me recueillir un peu. C’est important de garder la foi avec notre situation, c’est ce qui nous permet de tenir le coup. Regarde ta mère, elle n’a pas réussi à s’en sortir à cause de ça.

– Aucun rapport avec ta religion de merde, pesta Antoine. Tu nous a abandonnés, et c’est la seule raison pour laquelle elle est dans cet état. Tu t’accroches juste à ta foi pour te donner bonne conscience.

Son père poussa un long soupir de lassitude en fermant les yeux. Il resta immobile durant quelques secondes, Antoine comprit qu’il était en train de prier.

– Bon, je commence à me les peler. Quand t’auras fini ton cinéma, tu pourras me raconter ce pour quoi j’suis venu ?


Il rouvrit les yeux, l’air apaisé, puis il se tourna vers lui.

– Juste avant de mourir, mon frère m’a dit que c’était impossible de s’en sortir, que ça ne servait à rien de se battre, et que le seul moyen de mettre fin à la malédiction, c’était que notre lignée prenne fin.

Antoine déglutit, cette phrase lui donna des sueurs froides.

– Pourquoi j’suis là, alors ?

– Plusieurs années ont passé, j’ai rencontré la femme de ma vie. On était heureux ensemble, mais elle voulait un enfant, pas moi. J’avais déjà connu la douleur de perdre mon frère, je ne voulais pas connaître celle de perdre mon fils. Mais tu connais ta mère, elle est têtue, beaucoup trop, et elle n’arrêtait pas de répéter qu’on devait te donner une chance… Alors un jour, sans me prévenir, elle a arrêté de prendre la pilule, et elle a fini par tomber enceinte. J’ai quand même tenu huit ans, huit putain d’années, comme tu dis !

– Tout ça pour qu’à la fin, elle me laisse tomber à son tour…

Antoine ne savait pas quoi dire, il avait du mal à en vouloir encore à son père, il ne voulait même pas de son existence. Mais c’était peut-être encore pire : il n’aurait même pas dû faire partie de ce monde, et il n’aurait pas dû avoir la chance de se battre, de lutter, de vivre tout ce qu’il avait vécu.

– Voilà, tu es venu pour avoir des réponses, tu les as eu. T’es satisfait, maintenant ?

– Oui, et sache que je te déteste encore plus qu’avant.


Son père fronça les sourcils et le regarda, il avait l’air dans l’incompréhension totale et ne s’attendait sans doute pas à cette réaction.

– Pourquoi donc ? Je voulais t’épargner toutes ces souffrances, tout ce calvaire ! Tu sais très bien comment ont fini tes prédécesseurs !

– Je te déteste autant que Maman, parce qu’elle a été la pire des mères et qu’après ton départ, ma vie a tourné au cauchemar. Mais toi, t’as même pas voulu me donner ma chance de me battre à mon tour, tu voulais même pas que j’essaye ! Mais moi, j’aime ma vie, je suis reconnaissant de toutes les expériences que j’ai vécues, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, elle m’ont construit et ont fait de moi la personne que je suis fier d’être ! Et puis j’ai rencontré quelqu’un qui m’aime, que j’aime aussi, et avec qui je suis heureux. Alors arrête d’avoir cet air hautain et de te comporter comme si c’est toi qui avais raison. La vérité, c’est que t’es qu’un sale égoïste et que t’as fait tout ça parce que t’avais pas le courage de te battre !

– J’ai vu mon frère crever ! hurla-t-il. De mes propres yeux, sous mon nez ! Et j’ai rien pu faire !


Les joues de son père avaient rougi instantanément et ses dents étaient si serrées qu’elles grinçaient les unes contre les autres. Il ferma les yeux et prit une grande inspiration, la main posée sur les yeux.

– Pardon… souffla-t-il. Je voulais pas m’emporter. Enfin bref, j’ai plus rien à te dire, c’est tout ce que je savais. Dans quelques mois, tu te rendras compte que j’ai fait tout cela pour ton bien, et que j’ai eu raison de le faire.

– C’est vraiment tout ? Ça s’arrête là ? Tu me jures que tu me caches rien ?

– Je peux te le jurer sur ma vie, si ça te fait plaisir. La vérité, c’est que ton oncle en savait beaucoup, il avait perdu énormément de temps à enquêter sur sa mort. Mais moi, je voulais rien savoir, je l’ai interdit de me raconter quoi que ce soit.

– Et il avait pas des notes, des carnets où il écrivait ce qu’il savait ?

– Il a tout brûlé à une semaine de sa mort. Et il a même failli mettre le feu à la maison, en faisant ça. Il a dit qu’il faisait ça pour nous protéger, que nous mourrions à notre tour si on venait à être au courant.

Antoine déglutit, la gorge serrée. Il fixait la tombe de son oncle, en s’imaginant toutes les souffrances, toute la peur qu’il avait dû endurer avant sa mort. Qu’est-ce qu’il pouvait bien avoir vu qui l’avait tant effrayé ?


– Alors c’est tout ? Je rentre chez moi et j’attends ma mort ? Et toi, tu rentres chez toi et tu continues ta vie, comme si j’avais pas existé ?

Il regarda son père avec des yeux de chien battu. Même si celui-ci l’avait abandonné, et qu’Antoine s’était répété des milliers de fois qu’il le détestait du plus profond de son coeur, qu’il avait envie de le tabasser pour ce qu’il avait fait à sa mère, ça en restait quand même son père. Et il tuerait pour avoir le droit d’avoir un père, même pour les quelques mois qui lui restaient. Alors il priait pour qu’il change d’avis, qu’il lui réponde “Non, je veux t’accompagner, je veux essayer de rattraper un peu du temps qu’on a perdu !”


– Oui, je pense que c’est mieux pour nous deux. Bon courage, Antoine.

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