Chapitre 30

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Venom - Eminem


– Réponds-moi, putain !

La créature prit alors une chaise qui traînait dans un coin de la pièce, et qui était en tous points similaire à celle sur laquelle Antoine était ligoté. Elle la posa en face de lui, à deux bons mètres de distance, et s’écrasa lourdement dessus en poussant un soupir de soulagement. Puis elle se racla la gorge et le regarda droit dans les yeux.


“Il y a environ 300 ans, en 1734, la guerre de succession de Pologne bat son plein. Mon arrière-arrière-arrière-etc… grand-père, un éminent scientifique, se rend à Dantzig le lendemain de la capitulation, dans une mission secrète confiée par le roi Louis XV en personne : il doit y récupérer une certaine plante qui était restée jusque-là entre les mains de Stanislas de Varsovie, qui a dû s’enfuir en catastrophe. On dit que cette plante possède des vertus époustouflantes et est aussi rare qu’elle peut être dévastatrice. On l’appelle d’ailleurs le “venin mauve”, en raison de la couleur de ses fleurs.


On raconte que s’il est bien exploité, ce venin peut changer n’importe quel homme en un monstre absolument terrifiant, aux capacités physiques décuplées, et dont la seule apparence suffisait à terrasser son ennemi. Une armée d’hommes-monstres permettraient au roi de conquérir le monde et d’établir un empire qui durerait au moins mille ans ! 


La mission se passe à merveille, aucun incident n’est à déplorer, et mon ancêtre retourne en France avec le précieux butin, dans le but de l’étudier et de l’exploiter au maximum de son potentiel. Mais un certain Jean-Baptiste Pélissier, un scientifique controversé et fortement opposé à la royauté, refuse qu’un tel pouvoir se retrouve entre les mains de Louis XV. Et alors que les recherches sont en cours et qu’on ne connaît pas encore exactement son fonctionnement, il va chercher à éliminer mon aïeul, la seule personne capable de la transformer en l’arme de guerre qu’elle est destinée à devenir.


Mais il est protégé par le roi lui-même, et cela le rend presque inatteignable. Il est accompagné en permanence de gardes, et Pélissier n’est qu’un scientifique pauvre et maigrichon. Alors il va chercher à ralentir au maximum les recherches : un de ses partisans s’est infiltré dans l’équipe de recherche de mon ancêtre quelques mois auparavant. Il lui rapporte que les premiers essais sur des chevreuils sont fascinants, que les animaux doublent de taille et deviennent de véritables monstres, et que leur apparence est profondément transformée. Pélissier se frotte les mains : il tient sa vengeance ! 

Alors il lui demande de lui procurer un peu de ce sérum magique ! La taupe réussit à en voler un peu et le lui donne. Pélissier invite alors mon ancêtre à déjeuner, pour enterrer la hache de guerre. Il lui dit qu’il se fait vieux et va prendre sa retraite, et que même sa famille est la bienvenue. Mon aïeul emmène alors sa femme et son fils aîné, qui fête en ce jour ses vingt-et-un ans. Et il met quelques gouttes dans leur assiette, à tous les trois.


Lorsqu’il s’aperçut des véritables effets de ce venin, il fut terrifié et se débarrassa en panique de l’échantillon qu’il avait récolté.”


Il se leva alors et écarta les bras.

– Et voilà ! Regarde ce qu’il a fait de moi, de mon père, de mon grand-père, et de tous ceux qui les ont précédés ! Le roi avait pour but de créer une armée invincible, une armée de surhommes, si hideux qu’ils n’auraient même pas à combattre, tant ils terroriseraient leurs ennemis. Et le plus magnifique, dans tout ça ? Le venin mauve se transmet de père en fils, celui qui en a subi les conséquences condamne sa descendance au même sort. Tu croyais que tu étais maudit ? Elle est là, la véritable malédiction, elle est sous tes yeux !


Antoine ne bougea pas d’un poil, il ne cligna même pas des yeux. Il prit le temps nécessaire pour traiter toute la quantité d’informations qu’il venait d’accumuler. Il n’avait jamais semblé aussi sérieux, son visage était fermé, il ne laissa transparaître aucune émotion. 

Après quelques instants, il passa sa langue sur ses lèvres, et dit : 

– Ça y est, ça me revient… C’est toi, le monsieur, là…

– De quoi ? 

– Quand j’étais petit, je faisais tout le temps des cauchemars, avec un monsieur horrible. Et il me tuait à chaque fois, et je me réveillais en sueur dans mon lit. 


Un grand sourire se dessina sur le visage de la Mort.

– Alors tu te souviens de moi… Finalement, je retire ce que j’ai dit tout à l’heure : tu ne me déçois pas. Ce que tu viens de dire, là, ça va décupler mon plaisir quand je vais enfin te prélever la vie !

– Mais je t’ai rien fait, moi. Pourquoi tu t’acharnes autant sur moi ?

– Parce que tu crois que j’ai fait quelque chose, moi, pour mériter ça ? Au moins, tu as eu le droit de vivre une vie. Et à ce que j’ai pu voir, elle était très belle. Tu devrais me remercier, au contraire. Si tu avais eu plusieurs décennies, comme les autres, tu aurais passé ton temps à procrastiner, à faire des choses inutiles. Soit tu te serais tué au travail et sacrifié un peu de ton temps avec ta famille ou tes amis, soit tu n’aurais été qu’une pauvre loque molle et misérable. Mais là, tu as vécu chaque jour de ton existence à fond, et je peux t’assurer que tu as vécu plus en vingt-et-un ans que la plupart des gens qui vivent plusieurs décennies. Alors vois plutôt ça comme une faveur de ma part.


– C’est pas grâce à toi que j’ai pu avoir une si belle vie ! C’est parce que j’ai rencontré quelqu’un que j’aimais et qui m’aimait en retour. Sinon, je n’aurais jamais pu connaître le bonheur. Et d’ailleurs, mon oncle et mon grand-oncle sont morts dans d’horribles souffrances, ils étaient terrifiés chaque jour de leur vie. Ils ont pas pu profiter, eux, et c’est à cause de toi et de tes ancêtres !


Le monstre secoua la tête de gauche à droite en fermant les yeux. 

– Tu te trompes. S’ils ont fini leur vie comme ça, c’est parce qu’ils l’ont choisi. Ils avaient la chance de savoir combien de temps il leur restait, et au lieu d’en profiter, ils l’ont utilisé pour essayer de lutter contre la mort. Or, s’il y a bien une seule chose dont tout être humain peut être sûr, c’est qu’il va mourir ! Avant que mon père ne tue ton oncle, et que mon grand-père ne tue ton grand-oncle, ils ont essayé de leur faire comprendre que ça ne servait à rien de lutter, que c’était stupide de croire qu’ils étaient immortels. Mais ils n’ont rien voulu savoir. Alors ils ont gâché leur vie et ont fini fous.

Antoine était en train de bouillir sur place, il brûlait d’envie de se battre, pour sa vie, pour Tom. 

– Pourquoi tu viens me parler, six mois avant de me tuer ?

– J’aurais pu le faire avant, j’aurais aussi pu ne pas le faire du tout. Et là, tu dois te dire que je te laisse une chance de t’en sortir, en te montrant mon visage et en te révélant tout mon plan. Mais non, je prépare ça depuis des années, je fais attention à chaque détail, alors ce n’est pas en six mois que tu vas trouver une solution. De toute façon, je te connais par coeur. Je suis juste venu te dire de profiter des six mois qu’il te reste, et je te souhaite d’être heureux avec Tom. C’est sincère.


Antoine serra la mâchoire et le dévisagea. Tout son corps était raide.

– T’as pas intérêt à lui faire de mal, ni à personne d’autre, d’ailleurs.

– Bien sûr, ça va de soit. Toutefois, si tu lui dis quoi que ce soit, je le tuerai. Et où que tu sois, à n’importe quel moment, j’entends chaque mot que tu prononces. Donc je te conseille d’éviter de jouer au con. Tu ne sais pas à quel point je suis puissant.

– Je comptais pas lui dire, de toute façon.

Le monstre se leva alors lentement, sans détacher son regard de celui d’Antoine. 

– Je vais m’approcher de toi, mais je vais pas te faire de mal. Donc évite de gigoter ou d’essayer de me mordre, ça servirait à rien.


Il prit dans sa main un petit flacon en verre qui se trouvait sur la table, puis combla avec précaution la distance qui le séparait d’Antoine, pas par pas. Il s’agenouilla devant lui et glissa le flacon dans la poche de son jean.

– C’est quoi ?

– Tu es le seul concerné par cette histoire. Ça doit rester entre toi et moi. Si jamais il y a des témoins, je me tâcherai de les éliminer. Je suis sûr que tu tiens à Tom. Tu en mets quelques gouttes dans son verre, ça suffit largement à le faire dormir pendant quelques heures. Ça évitera qu’il se retrouve entre nous deux, et que j’aie à le tuer, lui aussi.

– Comment j’peux être sûr que ça marche, que c’est pas une sorte de poison ? 

Un rictus se dessina sur les lèvres du monstre.

– C’est très simple, tu vas en prendre toi-même. Allez, ouvre grand la bouche.

Il reprit le flacon dans ses mains, retira délicatement le bouchon et posa sa main boursouflée sur le menton d’Antoine, qui hésita quelques secondes, avant d’entrouvrir timidement la bouche.


La Mort déposa quelques gouttes sur sa langue, puis il avala. 

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