Le Déclin (Partie 1)

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Ædemor rêva de ténèbres. Il rêva du loup corrompu, et des ombres grandissantes du Cœur de Cyseam. La lumière de son médaillon les tenait à distance, mais elles devenaient de plus en plus menaçantes. Lorsque le loup parvint à se jeter sur lui, il se réveilla en sursaut, baigné de sueur, la main crispée sur le symbole de la Lumière Gardienne.

— Bien dormi, Ed ? J’ai refait un petit feu pour réchauffer le reste de ragout d’hier. T’en veux ?

Ædemor ouvrit les yeux sur une forêt plongée dans le brouillard. La rosée perlait sur la mousse au creux des arbres, et la fumée du feu avait du mal à s’élever tant l’air était épais.

— Galanodel est partie ?

— On dirait bien. Tu parles d’une surveillance…

— J’espère que vous marchez plus vite que vous ne réfléchissez, car vous ne rejoindrez pas Ferziliath avant des mois, à ce rythme.

Ils entendirent une foulée légère, et Galanodel atterrit avec souplesse juste derrière eux. Pas le moins du monde impressionné, Grum reprit :

— J’t’ai déjà dit qu’on peut se tutoyer, hein, je suis pas un seigneur, ou truc du même genre, Gal.

— « Gal » ?

Elle fronça les sourcils.

— Ouais, trop long ton nom. Galana-truc. Désolé. J’ai pas de mémoire. Gal c’est bien. Pareil pour Ed et il en fait pas tout un fromage.

— Désolé, Grum est un peu… rustaud, mais il a bon fond. Il m’a sauvé la vie quand j’ai eu des ennuis, le reprit Ædemor.

— Ouais, et il m’a sauvé la mise le lendemain, c’est pas beau ça ?

Galanodel regarda ces deux-là en soupirant, puis reprit d’un ton docte :

— De toute évidence, vous avez besoin d’aide pour rejoindre votre destination. Les routes pour le royaume d’Eaudormante ne sont pas sûres. Vous n’êtes pas armés, sans provisions, sans ressources, ni talents particuliers de survie… Seul un fou vous laisserait partir de la sorte. Vous risquez de finir sur le bas-côté de la route, morts de faim, de froid ou de maladie… peut-être même d’une lame dans le dos pendant votre sommeil.

Aedemor voulut répliquer, ouvrit la bouche, mais ne trouva rien à dire. Il n’aimait pas être infantilisé de la sorte, mais les arguments de la Valwyne ne valaient pas la peine d’être débattus. Il prit le bol de ragout que lui tendait Grum et se tut. Le semi-Gor se contenta de hausser les épaules.

Ils plièrent le campement et se dirigèrent vers la route quittée auparavant. Arrivée en lisière de la forêt, Galanodel se retourna et dit :

— Mal enalas, Eliogas. Talani inali tal’ona.

Un bruissement de feuilles se fit derrière eux. Un Valwyn apparut, il portait le même équipement que Galanodel. Grum et Ædemor échangèrent une expression médusée.

— Mal enalas, Galanodel. Vous pouvez partir sans crainte de Cyseam, anili. Nous veillerons sur Reamwen et retrouverons Theren. Mais vous ? questionna le Valwyn en fronçant les sourcils.

— Talani, je reviendrai. J’ai… je dois achever quelque chose avant.

Le Valwyn parut acquiescer. Ædemor ne distinguait qu’à peine ses traits au travers du brouillard. Il présentait une stature plus athlétique et plus grande que Galanodel. Il fit un petit signe et disparut comme il était apparu.

— Un ami à vous ?

— Oui. Venez, je vous expliquerai sur le chemin, ne restons pas là.

Ils prirent la route du sud et marchèrent dans la lumière automnale, rafraichis par la légère brise maritime.

— Nous devons éviter les grands chemins, pour ne pas nous faire repérer par les gardes du royaume. Nous sommes… poursuivis, Grum et moi, lança Ædemor.

— Pour quel crime ?

La Valwyne avait posé la question d’un ton tranquille, mais le jeune homme et le semi-Gor se retournèrent vers elle, sentant poindre une menace à peine cachée. Elle les dévisageait sévèrement, son arc à la main.

— Attendez, ne vous méprenez pas. Nous n’avons rien fait de mal, enfin… balbutia Ædemor.

— « Enfin » quoi ?

— Holà, calme-toi, bougresse ! gronda Grum.

— Je suis très calme, mais je ne vois pas pourquoi je devrais prendre le risque de me mettre le royaume de Lerminon à dos en vous aidant. Alors, merci de vous expliquer. Rapidement.

Ædemor se racla la gorge et lui raconta leurs mésaventures. La découverte du pendentif, la destruction de son Culte, leur rencontre et leur fuite depuis Rivguen.

— Un tueur et un pyromane. Quel beau duo, conclut Galanodel !

— Nos intentions ne sont pas mauvaises, croyez bien que nous sommes victimes du mauvais sort !

— Tu vas pas nous tuer de toute façon, hein ? s’inquiéta Grum.

La Valwyne marqua une longue pause et reprit, un sourire narquois sur ses lèvres délicates :

— Pourquoi vous tuer et perdre une occasion de gagner un peu d’or en vous livrant ?

— Quoi ?

— Passez devant. Un mauvais pas et ce sera une flèche dans le dos. À une allure convenable, nous atteindrons Montaupré à la nuit tombée.

Ædemor tressaillit. Montaupré était le dernier hameau du royaume avant la frontière avec Eaudormante. En outre, il accueillait en son sein une modeste caserne de soldats qui se chargeraient de deux criminels en fuite avec grand plaisir. Désarmés, ils n’étaient guère menaçants pour la Valwyne. La confiance qu’elle avait inspirée à Ædemor la nuit dernière s’était envolée.

La matinée passa au rythme des mécontentements de Grum ponctuant le chemin. Galanodel suivait les deux complices à une portée de tir raisonnable tout en réprouvant le moindre de leur chuchotis.

La sente serpenta le long d’un bosquet d’érables et de bouleaux. Alors que le soleil passait à son zénith, le regard d’Ædemor se figea.

— Là-bas ! Regardez !

Il désignait un grand érable à une centaine de mètres de là, à l’écart de la route. Une charrette était renversée sur le côté, et le jeune homme devinait une silhouette pendue à l’arbre.

— Pas un geste ! lança Galanodel. Continuez d’avancer.

— Nous devons aller voir ! Si vous comptez nous livrer, rien ne vous empêche d’aller voir s’il y a des gens à sauver, non ? La Lumière Gardienne m’en soit témoin, je vous jure que je ne tenterai pas de fuir !

Ædemor, à son propre étonnement, s’était dressé face à la Valwyne, alors qu’elle le visait de sa flèche. Elle le regardait avec incrédulité, puis hocha la tête.

— Allons voir. Mais au premier geste brusque…

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