La Lumière (Partie 1)

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Ædemor se releva, chancelant légèrement. Grum vint vers lui :

— Hé, Ed, ça va ?

— Je… crois.

Hérilis s’approcha et lui tendit le symbole doré de Tyasimar.

— Il vous appartient de le porter désormais, avisa-t-elle. De même que le choix de vos armes de chevalier. Thorcil, voulez-vous bien lui montrer, je vous prie ?

Ædemor prit le symbole tandis que Thorcil l’emmena vers l’arsenal en exposition. Grum et Galanodel le suivirent silencieusement. Hérilis s’assied en les observant de loin.

— Dès lors que vous êtes Chevalier, vous pouvez porter les armes pour Tyasimar. Celles conservées ici ont été portées par des guerriers d’une époque révolue. De même que vous devez respecter vos vœux, vous devez brandir vos couleurs avec courage et honneur contre l’adversité.

— En clair, il doit absolument attirer le regard avec tout cet attirail, au risque de se faire tuer à vue juste parce que son dieu le lui dit ? demanda la Valwyne, narquoise.

Pour la première fois depuis qu’il la connaissait, Ædemor désapprouva Galanodel. Lui qui découvrait le véritable visage de sa foi ne s’attendait pas à un commentaire vitriolé de sa partenaire.

— Je ne fais que répéter les préceptes qui datent de l’époque du Culte du Dracosire, reprit la Gardienne. Je suis sûre que Tyasimar pourra comprendre si vous restez discret en attendant des jours plus favorables pour l’Ordre.

Ædemor n’écoutait plus vraiment. Il avait le regard fixé sur un mannequin en armure, à l’écu d’argent et à la garde de l’épée frappés du même symbole que le pendentif. La cuirasse semblait d’acier, mais une lueur dorée s’y reflétait.

— La parure que vous regardez est celle de Lagredor de Landraken, un vaillant défenseur de Marchwavald. Il est tombé lors des derniers instants de la citadelle. Il était bien plus grand que vous, mais fort heureusement, les armures bénies telles que celle-là s’adaptent à leur porteur.

— Elle est bénie ? demanda Ædemor.

— Oui, tout comme le sont le bouclier et l’épée, précisa Hérilis. Je vous en prie, essayez-les.

Le jeune chevalier ne se le fit pas dire de fois. Il semblait excité comme un enfant récompensé. La panoplie était composée d’une veste, de jambières, de gantelets et d’une jupe de cuir, recouverts d’un motif de pièces de métal se chevauchant à la manière des écailles d’un poisson. La teinte bleu acier reflétait un discret éclat doré, rehaussé par des ornements argentés sur les brides et les spallières.

Ædemor s’attela à enfiler seul l’ensemble, malgré la difficulté que cela représentait. Il quitta son surcot pour revêtir le gambison molletonné qui amortirait les coups portés sur l’armure. Puis, entreprenant d’endosser la cuirasse, il constata avec effroi à quel point il ne possédait pas la carrure de son ancien propriétaire. Hérilis l’enjoignit de continuer d’un hochement de tête. Ædemor suivit son conseil et, alors qu’il tentait d’ajuster les brides, le métal et le cuir s’adaptèrent à sa morphologie, s’étirant, s’emboîtant et s’alignant avec précision sur son corps. Le harnois s’était éveillé à un état de conscience subtil afin de revêtir au mieux son nouvel hôte d’une seconde peau impénétrable.

Galanodel le regardait en soupirant, pensant que les humains étaient parfois étranges dans leurs comportements. Même si elle en comprenait l’importance d’un tel héritage, cette dévotion à un dieu la laissait de marbre. Quant à Grum, il inspectait un grand maillet de pierre, posé un peu à part des autres armes.

Thorcil le remarqua et lui dit :

— C’est le Poing de Pierre. Une arme dont on ne sait pas grand-chose. Elle possède une magie très ancienne et la pierre à partir de laquelle il est fabriqué ne vient pas d’Opalys.

— Il me plaît bien, ce gros marteau ! dit Grum en le soulevant et en battant l’air.

— Un autre chevalier le maniait ? demanda Galanodel.

— Peu sont ceux qui l’ont déjà manié et ils n’étaient pas tous de l’Ordre. On l’a trouvé lors d’une expédition dans le Désert des Murmures Sans Fin. Vous pouvez le prendre, il sera plus utile dans vos mains qu’ici.

Alors que Grum passa la sangle du maillet pour le porter dans son dos, Hérilis s’adressa à Galanodel.

— Vous n’avez besoin de rien, Valwyne ? Vous semblez déjà parée à toute éventualité avec votre arc.

Galanodel hocha la tête.

— Je n’ai besoin de rien. Merci, dame Hérilis. J’ai déjà tout ce qu’il me faut.

Ædemor s’esclaffa derrière elle, ajustant ses brassards et ses spallières. Il portait en bandoulière l’écu argenté orné du même symbole que son pendentif.

— Bah t’es beau là-dedans, Ed ! Tu ressembles déjà un peu plus à quelque chose ! fit Grum.

— Effectivement, même si je pense que tu devais garder ton manteau quand tu déambuleras en ville, ajouta Gal.

— L’avantage, c’est que la plupart des gens ont oublié Tyasimar, observa Thorcil. Les profanes le confondent souvent avec Telantes.

— C’est qui celui-là ? demanda Grum, manquant faire tomber une armoire en se retournant avec son maillet de pierre dans le dos.

— La déesse de la Lumière, compléta Hérilis. Mais votre amie a raison, mieux vaut rester discret dans l’enceinte des cités.

Ædemor régla une dernière bride, et s’étira. Les écailles métalliques composant son armure cliquetèrent quand il dégaina la lame portée à sa taille. L’épée nue semblait dotée d’une aura propre, la bénédiction qui l’imprégnait ne faisait aucun doute. L’équipement au complet lui pesait moins que ce qu’il n’avait pu l’imaginer, sans doute était-ce là le fruit de quelque magie et du talent des forgerons d’antan. Le chevalier se sentit plus déguisé qu’empreint du rôle qu’on lui avait attribué, même si l’apparence qu’il arborait flattait délicieusement son égo.

— Ça me semble bien, même si je ne sais pas plus que tout à l’heure me servir de ça, fit Ædemor.

— Ne vous inquiétez pas. Le moment venu, vous saurez, assura Hérilis.

— Vous semblez tellement convaincue…

— J’ai vu des choses que vous ne croiriez probablement pas si je vous les racontais, alors je vous laisse découvrir par vous-même.

— C’est pas tout ça, mais maintenant on fait quoi ? On va à Mâche-ou-avale ? coupa Grum.

Thorcil, Hérilis et Galanodel pouffèrent tandis qu’Ædemor rit de bon cœur.

— J’ai dit quoi ? fit Grum.

— Marchwavald ! rétorqua Ædemor, hilare.

— C’est c’que j’ai dit !

— Oui, presque, reprit Hérilis. Oui, je pense que vous ne devriez pas trop tarder à y aller. Rappelez-vous que nous avons brisé l’enchantement de lien récemment et que ceux qui vous cherchent peuvent encore vous trouver dans la cité ou ses alentours, si vous ne vous dépêchez pas.

— Et vous ? demanda Ædemor.

— Nous nous retrouverons, si Ateyar le permet, répondit la Gardienne.

— L’avantage des égouts, si l’on oublie les vers charognards et l’odeur, c’est qu’ils possèdent de nombreux passages menant au dehors de la cité.

Tous se retournèrent vers Thorcil qui venait de parler d’un ton malicieux. Elle s’était avancée au fond de la pièce et positionnait ses mains sur un symbole gravé à même le mur. La pierre au sol sembla s’enfoncer, et à ses pieds un escalier dérobé apparut.

— Sauf si vous avez quelque chose de plus intéressant à faire, suivez-moi, dit-elle en empruntant les premières marches.

Ædemor se tourna vers Hérilis. Celle-ci ajouta :

— Quoi que vous pensiez, ne réfléchissez pas trop au passé. Pensez à chaque possibilité et aux actions pour y parvenir.

— Allez, Ed, on y va ! grogna Grum. J’ai envie d’essayer mon nouveau pote !

— Allez-y, Ædemor. Vos compagnons attendent. Que Tyasimar vous guide.

Le chevalier hocha la tête, puis emboîta le pas de son compagnon, suivi de près par Galanodel qui salua la dernière Gardienne du Prisme avant de s’enfoncer dans l’obscurité.

Ils suivirent à nouveau l’archiviste, suivant la petite sphère verte luminescente dans le dédale des corridors souterrains. L’ambiance s’était quelque peu détendue et la marche plus rapide. Même la rumeur des vers charognards si dangereux paraissait moins menaçante. Ils en aperçurent au loin, au croisement d’un large couloir, masse spongieuse s’extrayant paresseusement d’une canalisation, dévorant une carcasse de rat en décomposition dans un bruit de succion insupportable.

Ils passèrent ainsi un bon moment à arpenter les égouts, jusqu’à déboucher face à un long couloir dont la lumière lointaine provenait de l’extérieur. Parvenue à l’autre bout du corridor, Thorcil déverrouilla la grille leur barrant le passage, qui donnait sur l’intérieur d’un caveau inutilisé. Celui-ci s’ouvrait sur le versant d’une petite colline, dans un cimetière abandonné. Au loin, Ferziliath se réveillait doucement dans l’aube naissante.

— Nous sommes dans l’ancien cimetière de Ferziliath. On y a camouflé une entrée dérobée des égouts. J’avoue que je suis plutôt fière du résultat, avoua Thorcil une fois tout le monde dehors.

Elle reprit :

— En remontant l’Eldenore, vous trouverez la cité de Lacasar. Je vous suggère d’y aller pour y trouver tout ce qui serait nécessaire pour votre périple vers Marchwavald. Et… ceci vous aidera également.

Elle prit une petite bourse de cuir à sa ceinture qu’elle tendit à Galanodel.

— De quoi vous permettre de vous approvisionner.

— Merci, dame Thorcil.

— Thorcil tout court, c’est bien. Merci à vous. Dame Shandranor attendait la venue de gens comme vous depuis longtemps. Elle a toujours l’espoir que l’Ordre reviendra. En attendant, je l’aide à tenir bon.

Elle pointa du doigt vers le fleuve en contrebas.

— Vous êtes à environ deux jours de marche de Lacasar. Bon courage à tous les trois.

Grum s’avançait déjà dans la descente de la colline sur le sentier envahi d’herbes folles, ignorant ceux laissés derrière lui.

Ædemor fit un petit signe de tête à Thorcil et le suivit. Galanodel ajusta son manteau et rabattit sa capuche, se retournant pour voir l’archiviste dessiner des symboles magiques de sa main puis disparaître dans une brume bleutée.

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