La Caverne (Partie 1)

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Ædemor ouvrit les yeux en premier. À l’instar de ses camarades, il était couvert de poussière et de cendres. La lueur magmatique baignait la caverne dans laquelle ils gisaient. Debout sur un amas de scories, il contemplait le vaste lac de feu qui s’étendait devant lui, dans une gigantesque dépression souterraine. Des ossements humanoïdes en parsemaient les berges, certains calcinés par la trop grande proximité avec la fournaise. La roche en fusion s’écoulait par des fissures au plafond et alimentait sans cesse la poche plutonique. La chaleur était à peine supportable malgré la présence de quantité de galeries qui permettaient à l’air de circuler.

Ædemor vint aux corps inanimés de Grum, Yukihina et Galanodel. La chute les avait gravement meurtris, en plus des stigmates de leur séjour dans les geôles de Malavon. Il posa les mains sur eux, récitant un cantique curatif et leurs blessures se réduisirent sous l’effet des grâces Tyasimar, dans un halo lactescent.

— Quelqu’un peut me dire où on est ? lança Grum en se réveillant.

— La réponse la plus évidente serait : sous la prison impériale, répliqua Ædemor. Nous sommes dans les entrailles du Piton Ardent. La fosse devait être là pour évacuer les cadavres de l’arène.

— Ou pour y jeter les condamnés, renchérit Galanodel en se frottant la tête. Mais la question qui me vient immédiatement à l’esprit est tout autre : pourquoi Zenyassa, ses gardes et son larbin ne nous ont pas poursuivis ?

— Ce n’était pas son larbin. C’était… c’est mon maître, laissa tomber Yukihina dans un soupir.

— Ton maître ? s’étonna Grum. Le truc déformé que ce crevard de reptile a appelé Kanaka ?

La Talwene hocha la tête en silence. Le masque impassible de son visage s’était brisé, révélant une terrible tristesse et une profonde amertume.

— Ben… tu l’as retrouvé, reprit le semi-Gor. Tu vas faire quoi maintenant ? Rentrer chez toi ? Parce que bon, à mon avis, il a pas l’air dans son assiette.

— Tu ne comprends pas ! s’exclama Yukihina. Il n’y a pas pire déshonneur pour un maître… et pour son disciple. Quelque chose lui est forcément arrivé. C’était un homme bienveillant, jamais il ne servirait une cause avilissante de son propre gré.

— C’est sûr que quelque chose lui est arrivé, vu sa tronche ! admit Grum. Quelque chose de moche en plus. Qu’est-ce que tu comptes faire du coup ?

La moniale soupira longuement. Ædemor se retourna vers elle et la vit sangloter silencieusement. Ses larmes chargées de cendres balafraient son visage de gris et de noir.

— Yukihina, s’il y a quelque chose que nous pouvons faire pour t’aider, nous sommes là pour toi, assura le jeune homme.

— Je… je dois réfléchir à tout ça, répondit-elle dans un souffle.

— Et si nous essayions de sortir d’ici ? lança Galanodel. Je n’ai pas trop envie de finir rôtie !

Tous acquiescèrent, et ils se mirent en route au mépris de leurs meurtrissures.

Les galeries que le magma et le temps avaient creusées dans les profondeurs étaient nombreuses et tortueuses. Il fallut toute l’attention du groupe pour se repérer dans ce labyrinthe de basalte. Plusieurs fois, ils durent effectuer des détours, la voie fut bloquée par des cascades de feu, par des éboulis, ou simplement par une température insoutenable. L’air allait et venait le long des corridors minéraux, au rythme des mouvements de roches ignées, comme le souffle d’un gigantesque animal assoupi dans les tréfonds de la terre. La présence de Galanodel paraissait éloigner la chaleur ambiante, tant et si bien que tous restèrent groupés autour d’elle, pour profiter de son aura apaisante.

— Ils se sont peut-être dit qu’on allait forcément crever ici ? lança Grum au détour d’un couloir. Et que c’était pas la peine de nous poursuivre ?

— C’est aussi mon avis, répondit Ædemor. J’ai l’impression que cet endroit est destiné à ceux à qui l’Empire réserve un sort plus long et plus cruel qu’une exécution rapide.

Au méandre d’un boyau, ils débouchèrent dans une large caverne, mais dont les parois étaient taillées dans la roche. De plus, des piliers stylisés gisaient à terre, brisés. Les marches d’un escalier béant étaient sculptées, invitant à la descente vers les brumes soufrées. À l’opposé, un grand éboulement avait englouti le restant de la salle.

— Bon, ben on y va… grogna Grum, cramponné au manche de son épée.

Des marques balafraient les parois, telles des griffures faites par des serres gigantesques. D’autres torrents rougeoyants s’échappaient du plafond pour couler en contrebas, de chaque côté de la pente. La lueur orangée des fluides telluriques irradiait le visage des quatre partenaires et illuminait leur chemin. L’atmosphère était empreinte d’une présence écrasante, oppressante. La respiration caverneuse sentie auparavant était désormais organique, animée d’une vie dégageant une puissance démesurée. La vapeur et la fumée s’épaississaient tandis qu’ils empruntaient les marches.

— C’est vraiment une bonne idée d’aller par là ? On va bientôt voir aussi bien que dans un trou de la Fange ! remarqua Grum.

— Tu préfères remonter dans la prison ou traverser le lac de lave ? répondit Galanodel d’un ton sec.

— Restons sur nos gardes, nous ne connaissons pas les horreurs qui peuvent se cacher dans ces profondeurs, prévint Ædemor qui dégaina son épée.

Galanodel l’imita, encochant une flèche, prête à tirer. La brume soufrée les enveloppa dans son étreinte étouffante et aveuglante, tel un linceul tissé par le volcan.

Ils poursuivirent leur avancée à tâtons, retenant leur souffle à chaque pas et conscients qu’un danger apparaîtrait tôt ou tard.

Une voix terrible et grave se fit alors entendre :

— Venez, venez à moi, petites souris. Venez donc.

— Qui est là ? lança Ædemor.

Ils suffoquaient sous la température. Leurs sens étaient brouillés par la visibilité quasiment nulle et le rugissement continu du magma autour d’eux. La caverne dans laquelle ils progressaient devait se situer au cœur du volcan, et ce cœur palpitant bouillonnait littéralement d’énergie.

Alors qu’ils arrivèrent aux pieds de l’escalier, ils s’avancèrent, tentant de percer le voile vaporeux qui leur barrait la vue. Ils sentirent un mouvement au-dessus de leur tête, lent et ample, et un puissant vent balaya le brouillard.

Le spectacle qui s’offrit à eux leur coupa le souffle. La cavité cyclopéenne abritait un grand dragon de feu, lové contre la paroi, colossal et menaçant. Étendu sur une corniche d’une trentaine de mètres de long, ses membres repliés sous son corps serpentin et musculeux, son cou ondulait d’une grâce prédatrice. Une crête aiguisée parcourait son dos jusqu’au bout de sa queue. L’une de ses immenses ailes qui avaient dissipé les volutes opaques qui les enveloppaient était étirée au-dessus. Ses écailles rouge sombre étaient d’acier, et ses griffes plus effilées que des lames d’épée. De nombreuses cicatrices émaillaient ses flancs, et l’une des excroissances qui ornaient son crâne était brisée. Ses yeux étaient tels des charbons ardents, leur pupille pareille à des tisonniers.

— Quatre petites souris, un bien maigre festin, continua-t-il.

Le dragon se leva sur ses quatre pattes, dans toute sa redoutable splendeur. Son épaule arrivait à dix mètres au-dessus de la saillie rocheuse et sa tête cornue se perdait dans les hauteurs de l’ancienne cheminée volcanique. La chaleur émanait davantage de son corps que de la lave environnante. Il déploya ses deux ailes, dont la peau écailleuse tendue parsemée de trous témoignait d’âpres combats passés.

Les quatre compagnons furent pétrifiés et n’osèrent dire un mot. Ils s’étaient échappés des geôles malavoniennes pour se jeter dans l’antre d’un dragon.

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