La Citadelle (Partie 3)

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Ædemor opina, décrocha le pendentif de la statue et le brandit pour éclairer le passage. Le mausolée cachait un escalier dérobé qui descendait vers une alcôve abritant la véritable chambre funéraire d’Orkham de Jemeliah. La présence de la marque de Tyasimar rendait vie à la sépulture : les braseros s’enflammèrent d’eux-mêmes, des glyphes s’embrasèrent sur les parois au passage du groupe ; leurs arabesques gracieuses courraient jusqu’au tombeau du prince. De nombreux dessins, inscriptions finement ouvragées et motifs complexes ornaient la pierre de taille dans laquelle l’aura dorée se reflétait.

L’atmosphère était peinte d’une sérénité tragique, d’un destin empreint de sacrifices. Tous se sentaient humbles devant ce monument d’héroïsme et de gloire.

— Il fut un temps où ces lieux furent un fanal éclatant pour tout le pays, décréta une voix qui résonna entre les murs.

Le groupe sursauta, Ædemor et Grum saisirent leurs armes.

— Qui va là ? s’écria le chevalier.

— La lumière que vous apportez vous rend-elle donc aveugle à ce point ? reprit le souffle sépulcral.

— Prince Orkham ?

Le gisant se fissura. Un flamboiement le traversa et inonda la place de clarté. La pierre tomba en poussière et la silhouette pétrifiée se mit à bouger silencieusement ; elle se leva de toute sa stature dans une splendeur éblouissante.

— J’ai été Orkham de Jemeliah, c’était mon nom. Chevalier du Dracosire, défenseur des justes. J’ai été tué il y a fort longtemps, mais Tyasimar m’a confié une mission dont je m’acquitte depuis. Je suis désormais l’Esprit Gardien de Marchwavald.

L’homme endossait une armure de plaques faite d’or pur, habilement ouvragé. La cuirasse paraissait avoir enduré mille combats, mais son lustre défiait l’éternité. Malgré l’imposante protection, il portait une profonde plaie à l’abdomen, dont s’échappait un fin filet de sang éthéré. À son bras, il brandissait un grand pavois frappé des armoiries du Dracosire. Un épais et long manteau pourpre reposait sur ses épaules, retenu à son cou par une broche évoquant une tête de dragon doré.

— Sire, je vous rapporte votre emblème, hésita Ædemor.

Orkham se rapprocha et le contempla. Ædemor, à genoux devant cette majestueuse incarnation, put éprouver l’espace d’un instant l’aura surnaturelle qui en émanait. Il ressentit la même présence impérieuse que lors de ses rêves.

— Il y a des éons de cela, j’ai confié ce symbole à l’un des nôtres, un frère d’armes, Gawen de Luta. Ces temps étaient troublés, mais je pensais avoir en avoir écarté la menace. Si vous venez aujourd’hui me le présenter, alors cela ne peut signifier qu’une chose : cette menace a ressurgi.

— Que voulez-vous dire ? Quelle menace ? s’inquiéta Ædemor.

— De tout temps, Morgastar a désiré retourner dans notre monde. Lui qui fut jadis exilé met tout en œuvre pour fouler à nouveau Opalys et prendre Sa revanche.

— Ouh, c’est pas bon, ça…, fit Grum.

— Comment… comment peut-il revenir ? réagit Ædemor.

— Par Son sang.

Orkham marqua un long silence, comme pour peser les mots qu’il allait prononcer. Ædemor nota qu’il portait la main à sa blessure.

Comment un tel être divin a-t-il pu être mutilé de la sorte ? pensa le jeune homme.

— Morgastar a besoin des Perles de Sang pour être libéré, continua Orkham. Huit orbes, huit gouttes de Son sang cristallisé. Il les perdit pendant Son tout premier combat, à l’aube de cet âge, celle qui fit de Lui le monstre qu’Il est. Lorsque l’Ordre de l’Écarlate arriva en ces terres pour nous anéantir et menacer les peuples libres, nous résistâmes. Là, Gravonleek, leur empereur, Son Champion, décida d’utiliser les Perles pour Le convoquer, nous sûmes que nous ne gagnerions pas. À l’instant où Tyasimar vint nous rejoindre sur le champ de bataille, nous menâmes une contre-attaque et je réussis à voler deux des Perles.

— Pourquoi ne pas les avoir détruites ? demanda naïvement Grum.

Galanodel et Ædemor jetèrent un regard noir à Grum. Yukihina haussa les épaules en levant les yeux au plafond.

— On ne le peut pas, répondit Orkham. Les Perles ne peuvent être brisées. Pas ici, ou pas par nous, ni même par moi. La seule solution fut de les dissimuler pour ne plus pouvoir les réunir. Dans la mêlée, je confiai la première à notre Gardien des Rayons, un chevalier valwyn du nom de Phaendar la Feuille d’Acier. Il la cacha au plus profond de la forêt de Lumière.

— La forêt de Lumière ? Vous voulez dire Cyseam ? interrompit Galanodel.

Orkham acquiesça.

— Et la deuxième ? reprit Ædemor.

— Je la donnai à nos alliés dragons, ils me jurèrent de le défendre au péril de leur vie.

— Des dragons ? Comment savoir où ils sont partis aujourd’hui ?

— Je ne puis vous répondre. Les Perles sont hors de mon champ de vision et je ne peux pas les rechercher moi-même, car mon temps est compté.

— Boh, t’as bien survécu jusqu’à maintenant ! Tu peux nous aider, non ? Tu vas quand même pas te débiner après tout le chemin qu’on a fait pour venir te voir ! râla Grum.

— Lors de la bataille, je fus affaibli par la magie des Draconiens. Ce fut à cause de leurs maléfices qu’une lance ennemie réussit à m’atteindre, répondit Orkham. À la fin des combats, les derniers soldats me ramenèrent ici, où je me séparais de mon pendentif et m’extrayais du temps, suspendu dans une stase divine. Cette bénédiction m’a retenue en vie jusqu’ici, mais cette existence offerte par le dieu Dragon arrive maintenant à son terme.

Le filet de sang s’écoulait de sa blessure à travers sa main et se répandait au sol lentement. L’Esprit Gardien mit le genou à terre.

— N’oubliez pas, la Lumière vous guidera. Retrouvez Phaendar. Retrouvez les dragons. Retrouvez les Perles de Sang avant les serviteurs de l’Écarlate. Empêchez Son retour.

Ædemor vint vers lui et lui soutint l’épaule. Orkham le regarda droit dans les yeux et ce que vit le jeune chevalier le troubla au point qu’il en échappa le pendentif.

— Vous êtes désormais le dernier suivant du Dracosire pour empêcher Morgastar de ressurgir. Tyasimar compte sur vous. Soyez digne de lui comme je l’ai été…

Sa voix s’effaçait et la lumière qui émanait de lui se fanait. Les étincelles se dispersaient de son corps qui s’évanouissaient dans le caveau.

— Morgastar ne doit pas revenir. Retrouvez… les Perles.

Sa dépouille se dissipa dans l’air et la sépulture retomba dans l’obscurité. Le halo du pendentif s’éteignit en même temps que son premier porteur, la lueur des inscriptions murales mourut et désormais seule la flamme vacillante des braseros éclairait le tombeau.

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