Le Crépuscule (Partie 1)

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La nuit fut longue et froide. Les vents dévalaient les pentes des Montagnes des Précieuses et parvenaient à traverser le mantel pourpre d’Ædemor et faisaient grelotter ses compagnons moins couverts. Galanodel restait prostrée dans un angle de sa cellule, le crâne entre les mains, le regard perdu.

Seul le bruit des soldats perturbait le silence pesant du campement. Des discussions étouffées, des chocs de métal et le crépitement d’un brasero ponctuaient leur insomnie.

Ædemor redressa la tête. Même sans nuage, les étoiles lui paraissaient blafardes et bien peu rassurantes. Trois des lunes se regroupaient dans un coin du ciel et semblaient fuir la quatrième. Le chevalier distingua cette dernière avec plus de difficulté : se levant de l’horizon tel un disque plus obscur que la nuit, Maaros, la lune noire, apportait de sombres présages.

Il sursauta quand il s’aperçut que Kanaka l’observait depuis tout ce temps, juste devant son cachot. Il soutint le regard sans âme du moine déchu, qui le dévisageait dans une absence d’expression glaçante. Il y décela une lueur de conscience apparaître fugitivement, fantôme de lucidité bientôt chassée par une ombre qui voila ses yeux. D’une rage soudaine et inattendue, le Talwen cogna contre la cellule de son poing monstrueux, arrachant une plainte des barreaux rouillés, puis s’éloigna comme si rien ne s’était passé, traînant sa jambe déformée sur le sol humide tel un soc de charrue dans le sable. Ædemor crut voir une inscription sur le métal tordu ornant la main corrompue du Talwen. Comme un cri dans son esprit, son intuition lui intimait que ce détail ne fût pas anodin.

Il observa Pyrkaia et celle-ci tourna lentement les yeux vers lui. Elle lui sembla si faible et si vulnérable qu’il en eut pitié. La nuit s’acheva sur les soupirs et les ruminations des compagnons.

Le lendemain dessina leur itinéraire à travers Opalys. Ils voyageraient vers l’ouest, vers la forêt de Cyseam, au milieu des étendues arides au nord des plaines d’Ezagorn : le Désert des Murmures sans Fin. L’histoire de ses sables relevait plus du mythe que de simples contes. Ædemor avait eu connaissance des légendes sur les civilisations qui y naquirent et des batailles qui s’y déroulèrent. Les êtres y vivant avaient disparu dans des circonstances mystérieuses, leur rumeur planait encore dans des ruines, telles des énigmes du passé attendant d’être résolues.

Ils n’avaient pas avancé depuis plus de trois jours que le vent du désert les fouettait déjà. Chaud et desséché, il soufflait sans discontinuer à contresens de l’expédition, comme pour décourager ceux qui souhaiteraient traverser les lieux. Les premiers sables s’étendaient devant eux, couvrant petit à petit les collines avoisinantes.

Enchaîné et bâillonné, le groupe prisonnier était traîné derrière un chariot de matériel, en queue de peloton. Ils étaient réduits à suivre à marche forcée la caravane, sous l’œil de cinq gardes lourdement armés. Les montures avançaient péniblement, leurs sabots hésitants qui glissaient sur les pentes meubles. Un destrier chuta et entraîna son cavalier au bas d’une petite dune. Un capitaine rapporta l’incident auprès de Zenyassa et l’instant d’après, le cheval à la patte brisée fut abattu et débité. Elle décida dès lors de ne plus s’enfoncer davantage dans le désert afin d’éviter d’autres pertes.

Chaque jour et chaque nuit se répétaient. L’épuisante marche succédait à un sommeil agité. Le paysage ne changeait pas : cheminant vers le couchant avec les dunes lointaines à leur droite et les plaines désolées et grises à leur gauche. La fatigue et les privations du voyage s’accumulaient au fil du temps et pesaient sur le moral des compagnons. Seule Pyrkaia avançait sans souffrir, dépossédée de toute sensation et de tout sentiment.

Les trois dragons n’apparaissaient que rarement. Leurs silhouettes noires, immenses ombres mouvantes dans le ciel, restaient à bonne distance du convoi, évitant ainsi d’effrayer les montures des cavaliers. Les gardes étaient également rassurés de pouvoir compter sur eux tout en n’ayant pas leur présence sous les yeux.

Le soir, Ædemor priait en silence. Il pensait à Marchwavald. Il aurait aimé y retourner pour en apprendre davantage sur Tyasimar et ceux qui avaient défendu sa cause. Le pendentif caché sous sa chainse sale battait contre sa poitrine au rythme de sa marche, comme un rappel protecteur que son dieu était toujours présent avec lui. Il regarda ses compagnons avec ferveur, se disant que même si leur chemin se terminait à Reamwen, ils auraient été ensemble jusqu’au bout. Sentant son attention sur lui, Galanodel se retourna et lui fit une moue complice, mais la peur et l’incertitude peignaient son visage.

Imae l’argentée s’était vue réduire, disparaître, puis croître à nouveau dans le ciel durant une complète lunaison, tandis que les pas des voyageurs les menaient aux portes de Cyseam. Harassée par les caprices du sable et du vent, la cohorte de soldats laissa tomber un soupir de soulagement alors que le chemin paraissait s’améliorer au loin. La lisière de la forêt allait être en vue d’un jour à l’autre et avec elle, la promesse d’un trajet plus aisé. Le campement monté profita de la douceur d’une combe abritée. L’hiver se faisait plus rigoureux à l’intérieur des terres que sur la côte et davantage de feux furent embrasés. Déferrés, les prisonniers furent conduits à des cages autour d’un brasero.

Kanaka revint passer les voir ce soir-là. Depuis des jours, il n’était pas reparu et son absence avait attisé la curiosité d’Ædemor. Alors que le regard du jeune homme glissa sur la main monstrueuse du Talwen, son expression se figea quand il reconnut, au travers du voile de la nuit, le symbole de Tyasimar orner l’une des plaques du gantelet de métal désormais incrusté dans sa chair. Le même symbole qui pendait à son cou depuis tout ce temps, le symbole de l’Esprit Gardien de Marchwavald.

L’emblème d’Orkham ! songea Ædemor. Comment est-ce possible ? Celui qui a trouvé Kanaka à Karshai était-il un rescapé de Marchwavald ? Ce gantelet ne peut être que celui de Phaendar, la Feuille d’Acier, le chevalier perdu dans Cyseam. D’une façon ou d’une autre, Kanaka est parvenu à le retrouver et à le porter, sans avoir connaissance du danger qu’il recelait. Il a succombé au pouvoir corrupteur de la Perle de Sang que Phaendar transportait enserrée dans le gantelet. L’Empire a dû le trouver et…

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